Rentrée politique: la forêt qui cache l’arbre

La forêt, c’est évidemment la zizanie chez les souverainistes. On ne voit que ça. Une fois n’est pas coutume, cette forêt qui pousse nous empêche d’entendre l’arbre qui craque. L’arbre canadien et sa branche québécoise.

Actualité du Québec-dans-le-Canada - Le Québec entravé


La forêt, c’est évidemment la zizanie chez les souverainistes. On ne voit que ça. Une fois n’est pas coutume, cette forêt qui pousse nous empêche d’entendre l’arbre qui craque. L’arbre canadien et sa branche québécoise.


Car que constate-t-on, sur ce plan, au moment de reprendre l’activité politique de l’automne ? D’abord que la prédiction faite depuis plus de 10 ans par les observateurs est en train de se réaliser: l’accession au pouvoir à Ottawa d’une majorité conservatrice amplifie le fossé entre le Québec et le reste du Canada.
Quelque chose s’est donc produit le 2 mai dernier, accélérant des tendances structurelles et alimentant des événements conjoncturels.
Un fossé structurel
Qui le dit ? Des anglophones. D’abord, début août, le chroniqueur du Globe and Mail John Ibbitson (repris dans La Presse) donnait la mesure de l’affaiblissement structurel de la voix du Québec dans l’ensemble canadien, en quatre temps:
*Il notait d’abord la baisse du poids démographique — et la réforme qui amenuisera le poids des élus Québécois à la Chambre.
*Il ajoutait le reflux des questions sociales de l’avant-scène, sujets hier chers aux Libéraux et intéressant les Québécois, mais aujourd’hui sans intérêt pour les Conservateurs, d’ailleurs presque chassés du Québec.
*Troisième changement: l’arrivée de l’Ontario dans le club des bénéficiaires de la péréquation, ce qui réduira mécaniquement la part dont pourra profiter le Québec, voire ouvre la possibilité d’un abandon du programme (note du blogueur: peu probable à mon avis).
*Il annonçait finalement un glissement conservateur à venir lors des élections dans au moins trois provinces cet automne, ce qui aggravera l’isolement idéologique du Québec dans la fédération.

Il concluait en ces termes:
Maintenant que la province n’a plus beaucoup de poids dans le gouvernement, que la proportion de sa population au sein du Canada décroît, que son économie est en déclin, que les transferts pourraient cesser et que le reste du Canada adopte une vision de droite dans laquelle la plupart des Québécois ne se reconnaissent pas, il devient de plus en plus difficile de défendre l’importance du Canada pour le Québec et celle du Québec pour le Canada.
Alors, la prochaine fois que les Québécois demanderont pourquoi ils font partie de ce pays, que leur répondra le reste du pays?

Un fossé conjoncturel
Puis, le 27 août, alors les éditorialistes de la Gazette de Montréal – peu suspect de nationalisme québécois — enfonçaient le clou en recensant les problèmes conjoncturels de la relation Québec-Canada:
* il semble que le pont Champlain, responsabilité fédérale, sera laissée aux soins de Québec et de Montréal le plus longtemps possible:
*le gouvernement Harper insiste sur sa politique de la loi et de l’ordre, malgré la volonté du Québec de privilégier la réhabilitation;
*il va abolir le registre des armes à feu et, à Jean Charest qui voudrait établir un registre québécois, Harper a indiqué qu’il n’obtiendrait ni les données ni quelque aide que ce soit d’Ottawa;
*malgré les objections, Ottawa a signé la garantie de prêt permettant à Terre-Neuve de développer l’hydro-électricité du Labrador (une aide que jamais Hydro-Québec n’a demandé ou obtenue);

Pourquoi, dans la situation créée par le vote néo-démocrate québécois du 2 mai, les Conservateurs devraient-ils ménager le Québec, demandent les éditorialistes:
Voilà une question troublante pour le Québec, dont la descente vers l’insignifiance dans les corridors fédéraux du pouvoir semble être une réelle possibilité. Tout le monde a compris que les Conservateurs n’ont pas eu besoin du Québec, de ses sièges ou de ses électeurs pour obtenir une majorité le 2 mai. Et non seulement les Québécois n’ont pas voté pour les vainqueurs, ils n’ont pas voté pour des séparatistes non plus. [...]
Avec un Bloc gravement diminué, les Québécois ne peuvent plus affirmer qu’ils ont “le couteau sur la gorge” de la fédération. Ils ont voté pour un parti fédéraliste. En choisissant de mettre leur destin entre les mains du NPD, les Québécois se sont rendus vulnérables à devenir quantité négligeable pour les pouvoirs fédéraux, dans les dossiers grands et petits.

Nos collègues anglophones ont raison. Structurellement, donc conjoncturellement, rarement le Québec n’a été en position aussi isolée dans la fédération. Mais il y a plus.
Une régression symbolique
Les Conservateurs sont au pouvoir pour 5 ans. Comment déploieront-ils leur nouvelle capacité de forger une identité canadienne plus proche de leurs valeurs ? On en a connu deux épisodes cet été, avec le remplacement d’une toile d’Alfred Pellan par une photo géante de la Reine dans le hall d’entrée du ministère des Affaires étrangères, puis par le changement de nom de l’aviation et de la marine pour réintroduire l’adjectif “royal”, disparu depuis 1968.
La tolérance des Québécois est proverbiale mais leur opposition à la monarchie l’est également. Ce glissement symbolique canadien vers un retour au passé British du Canada ne peut qu’envoyer au Québec un signal que ce pays leur est de plus en plus étranger.
Une perte personnelle


Nos amis fédéralistes sont donc inquiets. Ils l’écrivent. Jusqu’à l’été, cependant, ils avaient un espoir. Jack Layton, le réel vainqueur de l’élection au Québec le 2 mai, représentait pour les fédéralistes québécois l’homme providentiel. Celui qui pouvait construire un nouveau pont, sur la gauche, entre les Québécois et les Canadiens épris de justice sociale.
Son accession au poste de chef de l’opposition officielle, grâce aux voix québécoises, masquait certes le fait que le Canada-anglais a voté conservateur le 2 mai comme jamais depuis que Stephen Harper a pris la direction du parti.
Qu’importe. Jack symbolisait un avenir canadien possible pour le Québec. Il est parti. Et son départ exprime, une fois encore, l’importance des personnes dans le cours de l’histoire. Aucun de ses successeurs présumés ne peut, comme lui, continuer à construire ce pont. La course au leadership qui s’ouvre au NPD portera, entre autres, sur la question du Québec, car comptez sur les journalistes canadiens-anglais (et québécois) pour ne pas faire l’impasse sur les positions pro ou anti Loi sur la Clarté des uns et des autres pendant la course.
Pour le fédéralisme québécois, Jack Layton a été un don du ciel. Mais le ciel, souvent cruel, l’a repris. Et les Québécois pro-Jack du 2 mai sont en deuil.
Pendant ce temps, chez les souverainistes…
Contrairement à ce qu’écrit Ibbitson, l’économie du Québec n’est pas en déclin — vous, chers lecteurs, le savez très bien. Le Québec fut un des lieux en Occident les mieux préservés par la crise, et les Québécois le savent, qui voient l’Europe s”enfoncer, mais plus important encore l’Ontario et les Etats-Unis, hier triomphants, aujourd’hui objets d’inquiétude. La confiance en soi économique des Québécois progresse, comme leur identité québécoise. Derrière le bruit de la zizanie souverainiste, donc, les conditions d’un désengagement canadien du Québec, et Québécois du Canada, se réunissent.
Le moment est donc superbement choisi, chers lecteurs, pour déclencher une guerre civile entre souverainistes.
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Vous lisez la série Rentrée politique 2011:
Déjà parus:
1. La forêt qui cache l’arbre
2. L’annonce de la mort du PQ est-elle prématurée
mercredi et jeudi:
3. Des Etats-Généraux? La recette de l’échec
4. Comment le PQ doit retrouver le chemin des électeurs

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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