« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis.[1] »
Depuis un bon moment maintenant, il semblerait que la vision de la nation québécoise ait été vidée de tout son sens originel. En effet, lorsqu’on prête attention à certains discours, dans un souci louable d’inclusion, nation québécoise rimerait avec habitants de la province de Québec, au sens purement administratif. En réalité, les choses ne sont pas si simples. Cette vision de la nation, aussi pleine de bons sentiments soit-elle, n’est que transposition du multiculturalisme anglo-canadien à la nation québécoise. Ce paradigme convient peut-être à nos voisins du Canada anglais, mais ne nous correspond pas. Notre situation et notre histoire en Amérique du Nord en ont voulu autrement. Le temps est maintenant venu de remettre les pendules à l’heure.
Notre nationalisme, notre nation
Loin de nous la vision ethnique de la nation, merci. Nous ne sommes pas à ce stade, et ne souhaitons pas nous y rendre. Étant un peuple issu de la vieille France, nation des plus diverses, il est normal que ses enfants en terre d’Amérique forment un peuple tout aussi diversifié ; tant par l’apport des Français qui sont devenus les premiers Canadiens à l’époque de la Nouvelle-France, que par l’apport des nombreuses vagues d’arrivants qui sont venus se mêler à nos ancêtres pour fonder le Québec que nous connaissons aujourd’hui, et cela est toujours d’actualité. Comme le disait Lionel Groulx :
La nationalité n’est pas la race, simple résultat physiologique, fondé sur le mythe du sang. Entité plutôt psychologique ou spirituelle, deux éléments la constituent: en premier lieu, des similitudes culturelles, un patrimoine commun d’histoire, d’épreuves et de gloire, de traditions et d’aspirations ; puis à cause de ces traits de ressemblance, un vouloir-vivre collectif, la détermination d’un groupe humain de se perpétuer dans sa figure morale, dans son âme héréditaire, en contact intime avec les sources de sa vie spirituelle[2].
Ce qui fait la nation, c’est son rapport avec son histoire, son passé, mais aussi son présent. Cependant, il est important de noter que nous devons le présent au passé ; les deux sont indissociables. Nous sommes le fruit de notre histoire : de la Nouvelle-France au Canada français, de la lutte des patriotes canadiens au peuple canadien-français ; voilà notre patrimoine, nos racines et l’héritage de ce qui fait notre nationalité. Là où certains ne voient que la langue française comme ciment de notre nation, nous y voyons ce patrimoine culturel et ce que ça implique, il ne faut pas l’oublier. Ce qui amène au point suivant: à ce patrimoine, cet héritage historique, s’est depuis toujours métissé les arrivants qui avec le temps n’ont fait qu’un avec la nation canadienne-française, puis québécoise. Ces gens qui ont appris à vivre côte à côte, ensemble, collectivement, ces gens qui ont adopté la langue française de nos ancêtres ainsi que leur culture, tout en y laissant une partie de la leur. À ce noyau s’ajoutent des composantes, qui, sans en altérer la nature profonde, l’enrichissent.
Notre histoire, notre héritage
Dans tout cela, il ne faut pas oublier que notre nation a un cœur, des racines, une âme, et qu’il tient d’en prendre compte. La nation québécoise, c’est la suite logique de la nation canadienne-française du XIXe et du début du XXe siècle, qui s’est donné comme port d’attache le territoire du Québec et comme outils d’émancipation ses institutions, à une époque où les Canadiens français n’avaient aucun avancement possible et étaient relayés au rang de citoyens de seconde zone. « Non, un peuple ne se sépare pas de son passé, pas plus qu’un fleuve ne se sépare de sa source, la sève d’un arbre, de son terroir. Nulle génération n’a puissance de se commencer absolument à soi-même [3]», disait toujours le chanoine Groulx. Il est primordial, avant d’avancer plus loin, de nous poser cette question : qui sommes-nous ? Pour trouver la réponse à cette question, il nous faut éplucher notre passé et retourner à nos racines ; il nous faut renouer avec ce que nous sommes, avec notre histoire; trouver dans notre héritage l’inspiration et la force qui nous permettra de continuer d’avancer, plus loin, et ainsi cesser d’être stationnaire.
Depuis trop longtemps, nous avons mis de côté l’héritage de notre nation. Il ne faut pas oublier, avant de nous identifier à notre territoire et à notre État, que nous sommes un peuple âgé de plus de 400 ans; prenons donc ceci en considération lorsque vient le temps de se définir. Nous sommes donc vivants de 400 ans de vie française en Amérique du Nord. Nous sommes ceux qui avons parcouru cette Amérique septentrionale d’est en ouest, du nord au Sud; laissant une partie de nous à chacun des nombreux endroits où nous nous sommes arrêtés. Dans tout l’intérieur de ce continent, notre influence s’est fait sentir, et nous y avons prospéré çà et là, jusqu’à ce que celui-ci devienne à majorité anglo-saxon. Malgré tout, nous sommes restés majoritaires sur les rives du Saint-Laurent, où nous y avons bâti une civilisation française qui, malgré la submersion dans un océan de culture anglo-américaine, a choisi de maintenir vivante la culture qui lui a été léguée par ses ancêtres. Nous avons fait de ce bout de terre notre maison, notre patrie, notre flamme.
Ajoutons à cet héritage la volonté d’avancer de concert, de bâtir quelque chose en commun, tous ensemble sur notre territoire, et vous avez la nation. Mais cette progression ne doit pas se faire au détriment de l’héritage même de celle-ci. En fait, faire vivre cet héritage doit être le moteur même de cette nation, aussi diversifiée soit-elle; toutes les composantes de celle-ci ayant choisi de s’y joindre et de faire leurs ce patrimoine, cet héritage; elles se doivent donc de le faire rayonner, prospérer, mais aussi de le protéger.
Nation et affirmation
Il est de notre devoir de continuer à faire vivre, rayonner et prospérer cet héritage qui est nôtre, qui nous caractérise, car, un peuple qui s’oublie est un peuple qui est condamné à disparaître, petit à petit, dans l’agonie et l’aliénation. Nos aspirations doivent impérativement être orientées dans ce but précis, et notre énergie doit être déployée à encourager chaque élément de la nation en ce sens. Un retour vers la vision culturelle de la nation.
Notre nationalisme est donc un nationalisme culturel d’affirmation ; de notre histoire, de nos traditions. C’est là le cœur même de ce qu’il doit être. Nous n’avons que faire d’un nationalisme uniquement civique, c’est là perdition de l’essence même de la nation ; le territoire est important, l’État encore plus, mais au final il n’est rien sans le peuple qui l’habite.
Depuis la Révolution tranquille dans l’optique du projet de souveraineté de la nation québécoise, nous avions pris l’habitude de voir la nation dans un contexte uniquement politique, territorial ; et nous avons mis de côté la conception culturelle de la nation, celle qui s’attache au peuple qui la compose. Viens le temps où nous devons allier les deux : la conception politique, territoriale et la conception culturelle. Sans l’un, il n’y a pas l’autre, les deux sont liées. La nation québécoise est donc cette évolution des premiers Canadiens en nation canadienne-française puis, en voyant le territoire du Québec comme notre chez-nous, est devenu la nation québécoise. À ce bagage culturel s’unissent tous ceux qui, sans s’effacer, adoptent nos aspirations et désirent avancer avec nous. La nation québécoise est donc en opposition avec la fédération canadienne, le multiculturalisme de celle-ci en fait, comme l’a fait remarquer Justin Trudeau, un État postnational, prônant la coexistence de plusieurs cultures distinctes au sein du pays, plutôt qu’une identité culturelle commune, à laquelle viendrait se métisser et s’intégrer les nouveaux arrivants, dans un respect mutuel.
Donc, qu’est-ce qu’un Québécois ? Pierre Bourgault répondrait : « C’est quelqu’un qui veut l’être. Quelqu’un qui assume le passé, le présent et l’avenir du Québec. » Quiconque est Québécois celui qui fait sien notre histoire, notre culture, notre héritage, notre patrimoine ; mais aussi nos aspirations, dont celle de vouloir maintenir et faire prospérer notre nationalité. C’est cette volonté collective de vouloir vivre ensemble, de concerter nos efforts, d’être un tout, de faire prospérer notre héritage historique et culturel distinct qui fait de nous une nation. C’est la nation canadienne-française qui s’est vue devenir québécoise, enrichie de toutes ses composantes, mais sans s’oublier. C’est cette aspiration à vouloir qu’il y ait en Amérique du Nord une nation française vivante, vibrante, qui s’épanouit. « Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. Tant que cette conscience morale prouve sa force par les sacrifices qu’exige l’abdication de l’individu au profit d’une communauté, elle est légitime, elle a le droit d’exister. [4]»
[3] Lionel Groulx, « L’histoire, gardienne des traditions vivantes », Directives, Montréal, Les Éditions du zodiaque, 1937
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1 commentaire
Éric F. Bouchard Répondre
2 mars 2020Avec tout votre talent et tout votre cœur, vous souhaitez, comme bien d’autres avant vous, une nation québécoise qui soit enracinée, mais ça ne change rien à la réalité légale, culturelle et sociodémographique du Québec qui se construit depuis 50 ans. La nation canadienne-française se meurt en québécitude, parce que le Québec est statutairement civique et bilingue, interculturel et laïc, parce qu’il se refuse précisément à transmettre l’héritage identitaire canadien-français. Cela fait un demi-siècle qu’on nous chante sur tous les tons que la québécitude apportera autre chose que ce qu’elle nous donne dans les faits : déculturation et anglicisation. Ne croyez-vous pas qu’il serait temps de cesser le verbiage compensatoire et de revenir sur terre?
Être Québécois, c’est être un citoyen canadien domicilié au Québec.
Être Canadien-Français, c’est précisément le choix de « celui qui fait sien notre histoire, notre culture, notre héritage, notre patrimoine ; mais aussi nos aspirations, dont celle de vouloir maintenir […] une nation française vivante, vibrante, qui s’épanouit ».
Ce fut le choix de Groulx, de Duplessis, de Taschereau, de Gouin, de Mercier, de Cartier, de Lafontaine et de combien encore?
En regard d’eux, que pèse donc le vain mirage du néonationalisme québécois?