Je tiens pour acquis que les indépendantistes, quel que soit leur résultat lors des prochaines élections, seront dans un très mauvais état. Il y aura encore un mouvement, naturellement, mais dans quel état sera le parti qui a porté cette cause depuis 50 ans (on commémorera sa création le 11 octobre)? On est en droit de croire à son possible effondrement. Convenons à tout le moins d'une chose : on ne sait pas, pour l'instant, quel sera le véhicule politique privilégié de la cause nationale.
Je poursuis ici ma réflexion sur la refondation à venir du souverainisme en demandant quels seront les atouts des indépendantistes, à ce moment? Car les souverainistes ne reconsruiront pas tout à partir de rien.
D’abord, ce n’est pas un détail, mais il y a au Québec des centaines de milliers de souverainistes convaincus, et s’il y avait un référendum demain, ils seraient des millions à voter Oui. Pas assez de millions, certes, mais cela fait une bonne base. Le 2 octobre, cette base ne va pas soudainement se convertir au fédéralisme. Évidemment, plusieurs indépendantistes seront déçus «une fois pour toutes» et vont faire leur deuil de l’option. Mais on peut croire que la grande majorité se remobiliserait si l’indépendance revenait au centre du jeu politique. Ces gens peuvent se rassembler autour d’un objectif politique clair, pour peu que l’indépendance, évidemment, redevienne un objectif politique clair, et pas seulement un désir vague de pays.
Ensuite, il y a une jeunesse souverainiste résolue, et elle n’est pas réductible à sa frange solidaire, contrairement à ce que certains veulent nous faire croire. Certes, elle est minoritaire, mais elle est capable de faire résonner à sa manière le projet souverainiste dans la nouvelle génération. Pour peu qu’elle conserve ses convictions dans les années à venir, elle voudra s’engager pour la cause et elle rejoindra un mouvement qui, même s’il est aujourd’hui en déroute, demeure présent partout sur le territoire, et conserve une vraie capacité de mobilisation. Ils rejoindront aussi des leaders politiques qui, à ce qu’on en sait, voudront continuer d’exister publiquement autour de la cause souverainiste. En un mot, le mouvement souverainiste ne sera pas qu’un rassemblement de militants mais aura aussi une élite politique résolue à reprendre le pouvoir à court ou moyen terme. C’est bien plus important qu’on ne le croit. Car qui fait de la politique sans jamais poser la question du pouvoir ne fait pas de politique.
Enfin, la pensée souverainiste, pour peu qu’elle veuille bien rompre avec le progressisme obligatoire qui la pousse à célébrer à sa manière le multiculturalisme, est la mieux armée intellectuellement pour faire le procès du multiculturalisme canadien, qui exaspère la très grande majorité de notre population. En d’autres mots, elle détient là le moyen de ramener la question du régime au cœur de la vie politique, et par-là, la question nationale. Les autonomistes de la CAQ ne sont certes pas hostiles à ce qu’on pourrait appeler un discours identitaire, mais il est globalement superficiel. Ils peuvent à terme se faire déclasser sur ce thème par des souverainistes qui décideraient d’assumer cette question. Une précision toutefois: les indépendantistes auraient tort, dans ce contexte, de réclamer pour eux le monopole du nationalisme et d’accuser la CAQ d’antinationalisme. D’abord parce que c’est faux, ensuite parce que le commun des mortels, qui a voté pour la CAQ en partie par nationalisme, y verra la preuve d’une forme de repli doctrinaire des souverainistes.
Chose certaine, il y aura, à partir de cet automne, un moment de «refondation» du souverainisme québécois, qui ne doit pas se perdre en spéculations ésotériques sur la constituante ou le «projet de société», qui ne doit pas non plus s’enfermer dans un nationalisme nostalgique seulement occupé à chanter le pays perdu ou volé, et qui doit servir à repositionner le mouvement national dans un Québec où il ne sera plus une forme dominante mais où il n’est pas condamné à devenir une force insignifiante, seulement occupée à gérer sa régression en rappelant sa gloire passée. Il s’agira, comme on dit, de penser le nationalisme dans la nouvelle époque. Il m’arrive de croire que les indépendantistes en seront capables.