Des élections d'hier, d'un point de vue nationaliste, on peut dire quatre choses.
La première, c'est que le Québec a connu effectivement un sursaut nationaliste, même si plusieurs l'espéraient un peu plus vigoureux. La renaissance du Bloc témoigne de la puissance de mobilisation de la question identitaire – pour le dire autrement, la renaissance du Bloc est une conséquence du virage identitaire du nationalisme québécois. Cette renaissance nous rappelle aussi qu’une part très importante de l’électorat ne se reconnaissait tout simplement pas dans l’offre politique canadienne. Le Bloc devra s’en rappeler: avant d’être un parti progressiste, c’est un parti nationaliste - il ne faut pas confondre les deux concepts. Il est loin d’être certain que la base bloquiste dans les 450 et en région s’enthousiasme pour toutes les niaiseries diversitaires de la gauche idéologique qui domine les médias et l’université. Le Bloc, une fois installé à Ottawa, devrait s’en tenir à la défense de l’intérêt national du Québec et ne pas vouloir être «moderne à tout prix». On peut croire que les députés du Bloc, qui viennent pour la plupart de la base militante nationaliste et indépendandiste, et qui connaissent le Québec des profondeurs, en seront conscients. J’ajoute que la cause souverainiste elle-même doit se délivrer de son progressisme obligatoire.
La seconde, c'est que les conditions d'un sursaut nationaliste sont structurellement de plus en plus difficiles. On le sait, même si personne n'ose le dire, il n'y a de remontée du vote nationaliste que chez les francophones. Moins ces derniers contrôlent de circonscriptions, plus ils sont condamnés à l'impuissance politique. Il faut regarder la carte électorale : Montréal et Laval sont en train de se séparer mentalement et culturellement du reste du Québec. Quiconque est incapable de reconnaître le lien entre les difficultés politiques des nationalistes et l’immigration massive mérite la médaille d’or des aveuglés volontaires. Cela crée une nouvelle dynamique identitaire dans la grande région de Montréal. À terme, c’est l’avenir politique du Québec qui est compromis. L'indépendance du Québec est une nécessité vitale mais elle deviendra un jour impossible si cette tendance n'est pas renversée. Lors d'un prochain référendum, les partitionnistes ne seront pas seulement dans l'Ouest de l'île. Ils risquent d'entraîner toute la métropole dans leur dissidence. Pour cela, il importe de prendre les décisions politiques nécessaires pour réintégrer la métropole dans le cadre national. On voit là l’importance du combat pour la laïcité, pour la langue française, contre le multiculturalisme et pour rompre avec le principe de l’immigration massive.
La troisième, c’est que les Québécois francophones eux-mêmes, surtout ceux des nouvelles générations, se détachent mentalement de plus en plus du cadre national. Ce n’est pas qu’elle veut se délivrer des «vieilles chicanes». C’est qu’elle a été formaté dans une perspective antinationaliste. Appelons-ça une forme de conditionnement idéologique. Le régime canadien a un effet dénationalisant: il formate sur le long terme la population dans les catégories du régime de 1982. Il neutralise le sentiment identitaire qui devrait naturellement les animer. Plus encore, il instrumentalise la cause écologiste, dont personne ne conteste la valeur en soi pour les éloigner du cadre national québécois, décrété désuet, périmé, rétrograde. L'écologisme mal compris justifie ainsi un dépassement de l'État-nation - bien compris, il devrait pousser chaque peuple à prendre soin comme jamais de son coin du monde en luttant contre la dévastation de son environnement. Cela dit, le régime de 1982 n’est pas seul coupable de cela : le Québec lui-même, avec son progressisme pédagogique dont le cours ECR est l’expression caricaturale, œuvre aussi à déconstruire les repères identitaires les plus élémentaires des nouvelles générations. La lutte contre le multiculturalisme doit se mener autant à Ottawa qu'à Québec.
La dernière, c'est que le Bloc renaît essentiellement dans les régions. Il est bien vu, dans le Québec branché, de les traiter avec mépris, comme si elles étaient en retard sur le chemin de la modernité diversitaire. On peut voir la chose autrement. Le nationalisme renait à partir des régions enracinées, là où avoir honte d’être Québécois ne passerait par l’esprit de personne - me permettrait-on de dire qu'il y a là quelque chose de conservateur, dans le bon sens du terme? C’est en s’alimentant à ses racines les plus profondes que le nationalisme a pu renaître. C’est en s’alimentant à ces mêmes racines que le vieux rêve de l’indépendance renaîtra.