Reconnaissance mutuelle et conséquences politiques

Chronique de José Fontaine

Des politologues et philosophes wallons, bruxellois francophones et flamands cherchent une issue à la crise belge dans le sens de l’unité. Ils se regroupent dans l’initiative Re-Bel initiative (1) et adoptent l’anglais comme langue commune (les comparaisons avec le Québec me semblent discutables et l’usage de cette langue n’ajoute-t-il pas un problème linguistique supplémentaire ?). Je ne discute ici que l'e-book Is democracy viable without a unified public opinion?
Nenad Stojanovic, un Suisse de langue italienne, y suggère de multiplier les référendums à la suisse, procédure qui lui semble apte à casser le fait que Wallons et Flamands se représentent comme des « nous contre les autres ». Scepticisme des « Belges ». Qui voudraient parvenir à casser, eux aussi, ce « nous contre les autres ». Mais en instaurant, au niveau des élections fédérales, une seule circonscription électorale belge. Des politiciens wallons et flamands se présenteraient, avec l’obligation, de ce fait, d’avoir à s’expliquer tant face à l’électorat flamand que wallon et bruxellois francophone. Et cela entraînerait chez ces super-élus une vision plus belge. Ils pèseraient alors de tout leur poids dans le sens de l’unité. Indépendamment de l’objectif visé (qui n’est pas mon espérance politique), je suis persuadé que cela ne marcherait pas.
Ce qui m’étonne, c’est le fait que le groupe Re-Bel initiative adopte, a priori, l’idée qu’il vaudrait mieux absolument que la Belgique reste unie. Jean-Pierre Stroobants, (correspondant belge du journal Le Monde en Belgique), ne croit plus en cette possibilité, mais regrette très fortement la disparition de l’identité belge. Il participe donc du même éthos. Mais je pense comprendre cet a-priori. Les gens de Re-Bel initiative considèrent les Etats plurilingues comme la préfiguration d’une humanité plus humaine. Or la différence de langues n’explique pas tout séparatisme. Les Ecossais parlent la même langue que celle de l’UK, cas qui fut celui des USA séparatistes. En pratique, Basques, Québécois ou Catalans peuvent parler la langue de l’Etat qui les domine. Et ce n’est pas d’abord la langue qui oppose les Wallons (séparés des Français et qui souhaitent le rester), les Flamands (séparés des Hollandais…), et les Bruxellois (distincts des Wallons et qui parlent cependant le français). Etc. Il faut aller du côté de la reconnaissance. Contre tous les gens qui pensent comme Trudeau.
J’aimerais introduire maintenant dans la discussion les reproches que j’ai adressés ici à Jean-Marc Ferry, en décembre 2007. Le philosophe proposait: 1) que l’Etat belge exprime ses regrets face au dédain (passé), à l’égard du néerlandais, 2) que la Wallonie soumette son enseignement à un audit, 3) que les réformes de l’Etat dans le sens du fédéralisme soient approuvées par référendum. Il n’y avait pas là de reconnaissance réciproque des parties au conflit (Flamands et Wallons, mais aussi les Bruxellois). J’ai retrouvé dans les archives de TOUDI le compte rendu de la conférence que JM Ferry avait prononcée à Charleroi le 18 juin 1996 sur le sujet plus large de l’Europe. Déjà alors, l'un participants avait dit au philosophe français que la réconciliation qu'il avait proposée pour l’Europe, impliquait en Belgique que soient approfondies radicalement l’identité flamande et wallonne (2). Dans la mesure où sa philosophie était celle de la reconnaissance réciproque. Sa remarque avait fait mouche, car en cohérence profonde avec la pensée de Jean-Marc Ferry. Celui-ci avait immédiatement répondu (attitude extrêmement courante chez les Français), qu’il ne se prononçait pas sur le problème belge. Il le fit quand même onze années plus tard. Mais sans prôner cette reconnaissance réciproque. Et, je le crois, au fond, toujours en raison de cet embarras français sur la Belgique qui n’est pas propre à Jean-Marc Ferry.
Il y a une évidente difficulté à atteindre l’objectif humaniste que serait la réconciliation des Belges dans le cadre de l’Etat du même nom. En effet, dans les matières qui ne relèvent plus de l’Etat fédéral belge, Wallons, Flamands et Bruxellois s’entendent (c’est même la différence la plus profonde qui existe entre le cas wallon et le cas québécois, l’indice que nous sommes déjà dans une confédération d’Etats en partie indépendants). Si l’on veut donc atteindre l’objectif humaniste et politique que propose le groupe Re-Bel initiative, il faut non pas empêcher la disparition de la Belgique mais, au contraire, la hâter. L’Etat belge n’a fait qu’engendrer des conflits interminables, pénibles, dangereux, épuisants. Que perdrait-on à sa disparition bien pensée et patiemment réalisée par le dialogue? Rien. JP Stroobants dit regretter la disparition d’une expérience très originale (j’ajouterais, très européenne). Mais en quoi la disparition de la Belgique et des Belges signifierait-elle la fin de cette expérience «très européenne» ? Puisqu’il n’y a jamais eu de Belges, mais des Wallons, des Bruxellois et des Flamands ne parvenant à s’entendre qu’en sortant d’un cadre étatique qui n'a jamais fait qu'empoisonner leurs rapports réciproques.
(1) Voir Re-Bel initiative. Re-Bel initiative c’est en fait ReBelgique ou plutôt ReBelgium!! pour les membres de ce groupe.
(2) Lire surtout le paragraphe Le Débat et les notes pour la proposition de Jean-Marc Ferry en décembre 2007 in .

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 644

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé