À quoi les dirigeants de Radio-Canada ont-ils bien pu penser pour enterrer un nom synonyme de qualité et le remplacer par un adverbe passe-partout, sans contenu et sans identité ? Ici la niaiserie, oui, et un certain mépris du public qui garde un attachement pour ce que nous continuerons ici d’appeler Radio-Canada.
Il n’est pas dans nos habitudes éditoriales de causer rebranding, marketing et autres stratégies commerciales des entreprises. Chacun fait ses choix, et le public suit ou pas. Mais quand une institution s’égare et se couvre de ridicule, il faut quand même le dire. Hélas, trois fois hélas, Radio-Canada en est rendue là.
On ne reviendra pas sur les innombrables blagues qui circulent depuis que la direction de l’entreprise a annoncé officiellement mercredi qu’elle se relançait sous l’appellation Ici. Le répertoire est inépuisable, drôle à se tordre, et ne risque pas de se tarir. On a hâte de voir comment les journalistes conjugueront dans leur topo Ici et ici : « Oui Céline, je constate ici, enfin pas nous mais en cet endroit où je me trouve… » Des heures de plaisir !
Parlons plutôt du vide qui s’étale ici en trois lettres.
Radio-Canada a cette chance immense, qui en affaires vaut de l’or, d’avoir une identité forte et associée à de la qualité. Même quand elle déçoit, Radio-Canada reste une référence pour le public et pour ses concurrents. C’est vrai pour sa radio, pour sa télévision, pour l’information, pour son site Web, pour la qualité de la langue, pour ses normes, etc.
La marque radio-canadienne (… mais comment donc ce qualificatif se traduira-t-il désormais ?) se décline aujourd’hui sur plusieurs plateformes, mais elle reste « la » marque, instantanément reconnue, porteuse d’un contenu lié à notre histoire, qu’il s’agisse de journalisme, de téléromans ou de variétés.
La direction de Radio-Canada ne voit pas là une richesse, mais un encombrement. Il faut faire jeune : hip, hop, saute, bouge. Rapide, fébrile, futile. Se créer une identification sans passé, s’en tenir au maintenant. La programmation, toujours plus légère, toujours plus vedette, est à l’avenant…
L’ère du vide, le célèbre ouvrage du philosophe Gilles Lipovetsky, a 30 ans cette année et on ne finit plus d’en voir de nouvelles déclinaisons. La perte de sens des institutions qu’il identifiait doit-elle vraiment devenir leur perte tout court ? Avec le virage de Radio-Canada, c’est ce qui est ici annoncé. Il ne s’agit, écrit ci-contre le vice-président de Radio-Canada Louis Lalande, que d’adopter « une identité de marque simple et cohérente ». En fait, on veut attirer un nouveau public et on choisit pour ce faire de sombrer dans le simplisme : la façade plutôt que le contenu.
Mais le public n’est pas si bête. Les jeunes n’ont que faire de la condescendance de vieux qui pensent les séduire grâce à une chirurgie esthétique ; dire Ici pour cacher Radio-Canada, c’est du Botox médiatique. Les autres, trentenaires en montant qui ont grandi avec Radio-Canada, comprendront qu’on les ignore avec superbe : tant pis pour vos souvenirs, tant pis pour vos repères. On s’étonnera ensuite que l’auditoire s’étiole, trouvant ailleurs, par la grâce du Web, ce qu’ici on ne lui offre plus (et rendez-vous à France Culture, quel nom ringard !, pour la profondeur). Quant aux employés, que leurs patrons aveuglés disent ravis, ils endurent la nouvelle lubie. Ont-ils le choix ?
Le ministre du Patrimoine, James Moore, appuyé par les libéraux, a fermement appelé Radio-Canada/Ici à revenir au « nom canadien, point final ». C’est un angle bien étroit pour considérer la chose, mais si c’est la seule manière de ramener Hubert (Lacroix, p.-d.g.) et son entourage à la raison, laissons dire.
Quant à l’argent dépensé dans cette aventure en cette époque de coupes, il ajoutera au cynisme désormais omniprésent dans la grande tour radio-canadienne. Disons-le ici : c’est un gâchis.
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