On croyait bien que plus personne, dans la classe politique canadienne, ne voulait prononcer le mot constitution. Mais c'est faux, désormais.
Le Québec a décidé de relancer le débat constitutionnel, selon ce qu'a appris La Presse Canadienne.
Bien déterminé à voir sa différence enfin reconnue officiellement d'un océan à l'autre, le Québec va lancer une vaste offensive à travers le pays pour convaincre les Canadiens de la justesse de ses revendications.
Le gouvernement Couillard cherche ainsi à créer les conditions favorables à la reprise d'éventuelles négociations constitutionnelles, le moment venu. À terme, si le Québec obtient la reconnaissance souhaitée, il pourrait donc adhérer à la Loi constitutionnelle de 1982 et ainsi faire partie officiellement de la grande famille canadienne.
L'approche privilégiée est essentiellement pédagogique. Pas de couteau sur la gorge. Aucune échéance fixée. On veut surtout communiquer, convaincre, expliquer.
Pour y arriver, le gouvernement Couillard a choisi de fondre la délicate et complexe question constitutionnelle dans une redéfinition plus vaste des relations entre le Québec et le Canada.
Le premier ministre Philippe Couillard aura mis quelques années à étayer sa pensée sur le sujet, préciser son argumentaire et rédiger une brique de près de 200 pages, un texte fondateur décrivant dans le détail la position de son gouvernement sur la place du Québec au sein du Canada.
Ce document, dont La Presse Canadienne a obtenu copie, est intitulé Québécois, c'est notre façon d'être Canadiens et constitue la toute première politique du gouvernement Couillard «d'affirmation du Québec et des relations canadiennes».
En devenant chef du Parti libéral du Québec, en 2013, M. Couillard, fédéraliste convaincu, s'était engagé à reprendre les «discussions» constitutionnelles avec le Canada, dans le but de voir le Québec «réintégrer la famille canadienne». Mais depuis qu'il est premier ministre, le dossier avait été mis de côté. Ce sera bientôt chose du passé, car le premier ministre doit rendre public le document dans les prochains jours, à l'occasion d'une déclaration solennelle.
Avant tout, Québec souhaite faire sauter le «tabou» qui entoure tout le débat constitutionnel, depuis l'échec du référendum d'octobre 1995, car «le Québec et le Canada semblent prêts pour un changement de paradigme» à ce sujet.
Le Québec cherche à obtenir du Canada la reconnaissance formelle de la nation québécoise, de son identité propre, un geste politique qui, peut-on lire dans le document, ferait en sorte «que les Québécois ne se sentiraient plus exilés au sein de leur propre pays».
En fait, Québec souhaite faire d'une pierre deux coups: afficher et expliquer sa position constitutionnelle en vue d'éventuelles négociations, mais aussi, dans une perspective plus large, établir des relations beaucoup plus étroites entre le Québec et le reste du Canada à l'avenir, sur tous les plans. Car le Québec, plus que jamais, veut prendre sa place dans la fédération, être de tous les forums, faire entendre sa voix, dire qui il est, ce qu'il veut. Et espérer être accepté tel qu'il est, pour que sa différence soit un jour enchâssée officiellement dans la Constitution canadienne.
Dans le document, lancé à l'occasion des célébrations entourant le 150e anniversaire de la fédération canadienne, le gouvernement Couillard reprend à son compte toutes les revendications traditionnelles du Québec et s'approprie, en les actualisant, les fameuses cinq conditions préalables fixées par le gouvernement de Robert Bourassa en 1986:
- reconnaissance du Québec comme société distincte,
- limites au pouvoir fédéral de dépenser,
- garantie d'une représentation québécoise à la Cour suprême,
- droit de veto sur les modifications constitutionnelles
- et pouvoirs accrus en matière d'immigration.
«Si le contexte politique et constitutionnel a beaucoup changé depuis leur formulation, elles demeurent une illustration concrète des garanties constitutionnelles qui doivent découler d'une reconnaissance adéquate de la Nation québécoise», estime le premier ministre Couillard, 30 ans plus tard.
Les revendications sont intactes, mais l'approche politique, elle, a bien changé. À la stratégie passée du couteau sur la gorge, en vogue depuis les années 1970, le gouvernement Couillard opposera donc une main tendue. Loin des rapports de force qui ont jalonné les relations Québec-Ottawa en ce domaine depuis des décennies, son approche sera essentiellement pédagogique, axée sur le dialogue et la persuasion, destinée à «nous faire mieux comprendre» du reste du pays. Bref, on veut préparer le terrain.
Conformément à cette ambiance bon enfant, cet esprit d'échange et d'écoute mutuelle, pas question que le Québec s'impose ou impose à ses homologues d'échéancier précis.
L'important, aux yeux de Québec : retrouver l'esprit d'ouverture à la diversité qui prévalait à l'origine de la fédération, à l'époque des deux peuples fondateurs. «Il faut donc travailler à rétablir ce que les Québécois ont toujours voulu depuis 1867, soit un Canada qui les accepte pour ce qu'ils sont», peut-on lire dans le document, rédigé par plusieurs personnes sous la supervision du ministre responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier.
S'il est fécond, le dialogue Québec-Canada pourrait entraîner, espère-t-on, une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles, perçue dans ce cas-ci comme un point d'arrivée, plutôt qu'un point de départ.
«Le Gouvernement du Québec est toujours déterminé à ce que ses demandes soient éventuellement discutées et qu'on parvienne ensemble à une solution constitutionnelle gagnante pour l'ensemble des partenaires fédératifs», peut-on lire dans le document.
Les discussions à venir ne seront donc pas uniquement centrées sur une «ronde Québec», mais pourraient inclure notamment les revendications des Autochtones ou aborder d'autres enjeux. Le gouvernement Couillard tient aussi à promouvoir le concept de fédéralisme asymétrique, ainsi qu'à étendre celui d'«interculturalisme», comme modèle d'intégration des immigrants au Québec.
Le Québec ne veut plus être perçu comme la province qui fait bande à part dans la fédération. Le gouvernement Couillard veut rebâtir un lien de confiance et s'engage donc désormais à assurer une «présence soutenue» d'un bout à l'autre du pays. Cette participation «proactive» du Québec se verra sur toutes les tribunes, dans les forums politiques, dans les milieux universitaires, auprès des groupes d'affaires et sociaux, dans les médias traditionnels et sociaux, en fait partout où la voix du Québec doit être entendue pour refléter la vision et les ambitions de son gouvernement. Surtout, on cherchera à faire la démonstration que le Québec est un partenaire actif de la mosaïque canadienne.
Le document s'adresse aux Canadiens en général, mais aussi aux Québécois en particulier. D'un couvert à l'autre, le gouvernement Couillard accorde une grande importance à la promotion de la «Nation québécoise», avec un «N» majuscule, et à la définition de l'identité québécoise, cherchant à réconcilier les Québécois avec leur double appartenance : canadienne et québécoise, deux allégeances qui s'additionnent et s'enrichissent, au lieu de s'opposer, selon lui.
«En somme, une allégeance québécoise à laquelle s'additionne une appartenance canadienne représente la réalité identitaire d'une vaste majorité de Québécois», écrit-il.
Cette double allégeance va d'ailleurs dans les deux sens, car si, selon le gouvernement Couillard, l'identité québécoise comporte une part importante d'identité canadienne, «l'identité canadienne comporte une part importante d'identité québécoise».
Le document adopte une perspective historique des relations Québec-Ottawa, sous l'angle du besoin toujours croissant exprimé par le Québec d'affirmer son identité nationale, d'afficher sa différence, notamment linguistique, et d'étendre ses pouvoirs. Il insiste sur le partage des compétences entre Ottawa et les provinces, et sur la nécessité de respecter scrupuleusement ce partage pour assurer le bon fonctionnement de la fédération.
Car «le partage des compétences est au coeur du compromis fédératif canadien et, plus particulièrement pour le Québec, il représente la garantie la plus importante de la pérennité et de l'épanouissement de son identité nationale. La réalité nationale du Québec entraîne en effet des responsabilités particulières de l'État québécois dans les domaines liés à son identité de même que dans les secteurs de compétence que lui reconnaît la Constitution, notamment en santé, en éducation, en matière d'affaires municipales et d'aménagement du territoire et, de façon générale, de politiques sociales».
Signe que le gouvernement Couillard prend très au sérieux son objectif de faire rayonner ses revendications constitutionnelles et ses positions politiques partout au Canada dans l'année qui vient, il va procéder à des changements dans la structure gouvernementale.
Le Secrétariat québécois des relations canadiennes (SQRC) prendra le relais du Secrétariat des affaires intergouvernementales canadiennes (SAIC), avec des unités Québec-Canada créées dans tous les ministères, pour s'assurer que chacun d'eux profite de toutes les tribunes possibles dans leur secteur d'activités à travers le pays.
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