La défense de la langue française passe par l’immigration. Tel est l’un des arguments évoqués par Jean Boulet, le ministre de l’Immigration du Québec, lors de l’étude des crédits de son ministère, jeudi.
L’élu caquiste n’a pas caché les intentions de son chef et de son parti, à l’orée des prochaines élections provinciales, prévues pour l'automne.
Convaincu
par cette possibilité, Jean Boulet compte envoyer un avis de négociation
au gouvernement fédéral de Justin Trudeau. Son objectif? Revoir les termes de l’entente historique, signée en 1991, entre Québec et Ottawa.
Cet accord permet au gouvernement Legault de sélectionner ses propres immigrants dans la catégorie économique; cela représente la majorité des résidents permanents admis annuellement au Québec, qui est d’ailleurs la seule province à détenir ce pouvoir.
C’est important d’avoir un contrôle accru en matière d’immigration. Il faut amorcer un dialogue avec Ottawa. Il faut redéfinir le contenu de cet accord
, a répété Jean Boulet, tout en déplorant les lenteurs administratives actuelles.
« L’espèce de compétence partagée engendre des délais, engendre une certaine inefficacité. [...] Ça m’irrite souvent, cette espèce de dualité de compétence. »
Cependant, contrairement à François Legault qui a récemment clamé vouloir récupérer tous les pouvoirs
en immigration, son ministre s’est abstenu d’utiliser ces termes.
Récupérer des pouvoirs
Malgré des relances du député péquiste Pascal Bérubé, Jean Boulet a plutôt parlé d’une gestion du programme visant les travailleurs étrangers temporaires et la sélection
liée au regroupement familial. Des demandes déjà faites depuis l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec.
Il faut s’assurer de récupérer le maximum de pouvoirs qui vont nous permettre de répondre à nos besoins
, a-t-il précisé.
En guise de justification, le ministre Boulet - qui a aussi salué les ententes entre Québec et Ottawa sur les travailleurs étrangers temporaires - a mis en avant la protection de la langue française.
« Si on veut protéger le poids démographique du Québec et le fait français, c’est certain que l’immigration est une clef extrêmement importante. »
L’immigration francophone dans les régions francophones est certainement l’avenue que nous devons emprunter
, a-t-il ajouté, tout en assurant vouloir privilégier
le recrutement de travailleurs étrangers dans les pays francophones et francotropes
.
Ces actions, à ses yeux, permettent une intégration plus harmonieuse
, même si on n’exclut pas les personnes [ne parlant pas le français]
. On va les accompagner
, a soutenu le ministre, en évoquant les cours de francisation qui ont été suivis, l’an passé, par près de 37 000 immigrants.
Ottawa ferme la porte
La réponse d’Ottawa n’a pas traîné. Contacté par Radio-Canada, le bureau du ministre fédéral Sean Fraser a immédiatement repoussé une telle possibilité.
Selon le gouvernement fédéral, Québec a le pouvoir exclusif
nécessaire pour établir les critères de sélection
, comme la maîtrise de la langue française
, de la majorité des nouveaux arrivants qui s’établissent dans la province
.
À l’heure actuelle, selon la grille de sélection (Nouvelle fenêtre) utilisée par le ministère québécois de l'Immigration dans le cadre du programme régulier des travailleurs qualifiés, la connaissance à l’écrit et à l’oral du français facilite l’examen du dossier, mais ne constitue pas une obligation pour ces immigrants de la catégorie économique.
Selon le Plan d’immigration du Québec 2022, le Québec sélectionne 74 % des immigrants permanents qui s'installent sur son territoire
, rappelle une porte-parole du ministre Fraser.
Par ailleurs, Ottawa affirme fournir déjà sa part d'efforts en versant une compensation annuelle pour permettre au Québec de fournir des services d'établissement et d'intégration dans la province, notamment pour l’apprentissage du français
.
« Cet accord unique est très bénéfique pour le Québec. Nous allons continuer à être de bons partenaires et à travailler avec Québec pour répondre au besoin d’avoir plus d’immigrants francophones au Québec et partout au Canada. »
Le Québec a reçu 650,27 millions de dollars en 2020-2021 et 697 millions pour l’année 2021-2022
, note-t-elle.
Près de 50 000 travailleurs en attente
Le ministre Boulet a également profité de cette commission parlementaire pour critiquer une nouvelle fois la lenteur d’Ottawa dans les dossiers d’immigration.
Obtenir une résidence permanente prend désormais, en moyenne, 31 mois pour un travailleur qualifié déjà sélectionné par Québec.
Ces délais sont déraisonnables
et inacceptables
. Ça n’a pas de bon sens
, a déploré Jean Boulet, en disant vouloir simplifier les processus
d’immigration.
En coulisses, à Ottawa, on rétorque que Québec continue de sélectionner des immigrants, sans augmenter de manière significative ses cibles d’admission. Cette façon de faire, dit-on, ne permet pas de réduire les inventaires.
Selon Jean Boulet, 48 100 travailleurs qualifiés, dont la plupart occupent déjà un emploi au Québec, attendent leur résidence permanente. Il y a quasiment un an, ce chiffre était de 51 000.
Le ministre Boulet a aussi lancé une nouvelle charge contre son homologue fédéral relativement au dossier des étudiants étrangers francophones. Comme l'expliquait Radio-Canada l'automne passé, les taux de refus des permis d'études visant des personnes d'origine africaine ont augmenté ces dernières années. Ils peuvent atteindre, selon les pays, jusqu'à 80 %.
Je l'ai dénoncé, a indiqué Jean Boulet. Il y a des taux de refus intolérables et inacceptables. Je mets de la pression sur Ottawa. J'ai rencontré [Sean Fraser] et ses explications ne me satisfont pas.
Un comité fédéral s'est récemment penché sur le sujet. Des recommandations devraient être formulées au gouvernement fédéral dans les prochaines semaines.