Avis : Ce texte constitue une réponse à la chronique de Mathieu Bock-Côté du 26 octobre 2019 dans Le Journal de Montréal, ainsi qu’à son commentaire du 25 octobre à l’émission La Joute à TVA. Mais il s’adresse aussi à ceux qui sont tentés par l’illusion de l’attentisme comme stratégie gagnante.
(Détail du tableau La Nef des fous de Jérôme Bosch, vers 1500-1510.)
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Le chroniqueur tente de réduire le jugement de Martine Ouellet sur ce qu’il perçoit erronément comme une victoire du BQ à « la dénonciation d’Yves-François Blanchet, qui aurait [mon italique] renoncé à la promotion de l’indépendance en ne centrant pas sa campagne sur ce thème. » Le mode conditionnel est inapproprié : le chef du BQ a écarté la promotion de la souveraineté, après avoir promis le contraire.
M. Bock-Côté ose ajouter : « Elle accuse même le chef du Bloc de vouloir collaborer avec le régime canadien, ce qui est faux. » Voici ce qui est fallacieux parce que contradictoire : M. Blanchet prétend arriver à l’indépendance en se limitant à la seule défense des intérêts de la province de Québec au sein du Canada.
Analysons la sophistique du sociologue attentiste plus profondément. Il précise : « Dans le paysage politique actuel, Martine Ouellet passe pour la représentante de l’indépendantisme “ pur et dur ”. » Il est navrant de constater chez lui le psittacisme du vocabulaire ennemi, c’est-à-dire la reprise passive, sans esprit critique, de la sotte mais sempiternelle accusation des fédéralistes qui vise à rendre les indépendantistes infréquentables. J’invite simplement M. Bock-Côté à répondre à cette question : « Connaissez-vous un indépendantisme “ impur et mou ” qui aboutisse à la libération d’un peuple ? »
Au sujet de la promotion continue de l’indépendance, il affirme avec condescendance qu’elle « conduit plutôt les indépendantistes à s’enfermer dans un univers parallèle, où ils se parlent entre eux, en étant persuadés d’incarner l’avant-garde éclairée de la nation ». S’il fallait que les penseurs et militants indépendantistes authentiques craignent de faire la promotion de leur option politique auprès du peuple, ils imiteraient les dirigeants électoralistes du BQ ou du PQ. Ces derniers ont caché le noble projet d’indépendance depuis un quart de siècle, provoquant le refus répété de participer au vote d’une bonne partie de l’électorat indépendantiste, outrée par cette trahison.
Le chroniqueur insiste maladroitement : « Sauf que l’indépendance ne viendra pas au terme d’un long exercice pédagogique où de doctes militants auront expliqué au bon peuple pourquoi il se trompait jusqu’à présent. » L’intellectuel devrait se garder d’adopter le ton méprisant du discours fédéraliste. En réalité, aucun indépendantiste sérieux ne peut renoncer à la nécessaire pédagogie ni croire qu’elle sera suffisante. Il faut de l’action au sein d’un vrai parti indépendantiste, puis d’un gouvernement indépendantiste.
Or, voici la grande révélation du vaticinateur sur l’éventuelle indépendance : « Elle viendra au terme d’une crise de régime révélant au grand nombre, à la manière d’un choc politique et symbolique, la contradiction insurmontable entre la défense de notre identité et notre appartenance au Canada. » Il place donc son espoir dans un sauveur négatif désincarné en un concept : une « crise de régime » qui secouerait notre sens de l’identité collective au point de nous faire opter pour la rupture définitive. Pourquoi diable revenir à cette nef en dérive, qui nous promet une… vie perpétuelle de galère ? N’a-t-on pas retenu la leçon du triste épisode de l’Accord du lac Meech ? Suivi du résultat référendaire ambivalent de 1995, qui a produit une dépression collective durable.
Au surplus, M. Bock-Côté préconise le « détour autonomiste » parce que la « ligne droite » mènerait dans un mur. Il ne se rend pas compte que le détour, lui, fait tourner en rond dans la prison fédérale, sans jamais en briser les barreaux. Au lieu de ligne droite, il faut parler de ligne juste dont la destination inaltérable est l’indépendance, malgré les obstacles à contourner ou renverser.
Or, ce détour autonomiste relève d’un premier ministre « nationaliste » qui refuse l’établissement d’équipes sportives nationales ou d’un hymne national, qui agiraient pourtant comme levain de la fierté collective. Misère ! Pour la hardiesse identitaire, on repassera.
C’est un secret de Polichinelle : la crise est constitutive de la politique. Mais pas exclusivement. Alors, que manque-t-il à ces analystes ou protagonistes d’une indépendance eschatologique, donc virtuelle ? L’essentiel : une vision intégrée et concrète du Québec pays. Ont-ils déjà seulement lever un coin du voile sur cette représentation positive ou la façon d’accéder à l’indépendance ? À l’instar de Mathieu Bock-Côté : jamais.
La politique des lamentations suffit à ces galériens inlassables du régime canadien haïssable mais verrouillé. Excités par le bruit de leurs coups de rame frénétiques, ces promoteurs et commentateurs médiatiques du surplace sont les pires éteignoirs de la flamme indépendantiste.
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