J’aime les hommes qui se tiennent debout.
Henri Bourassa
Un 23 décembre 1921 paraît dans Le Devoir un article prémonitoire d’Henri Bourassa concernant notre devenir collectif. La veille, le directeur de ce journal s’est adressé à un auditoire venu célébré un illustre citoyen – Armand Lavergne –, lors d’un banquet. Il faut savoir que ce Lavergne, avocat et homme politique, s’est fait connaître pour ses luttes pour la défense de la langue française : on lui doit la toute première législation linguistique visant à une plus grande inclusion de notre langue dans les entreprises de services publics au Québec. L’article en question rapporte les propos qu’a tenus Bourassa à cette occasion. Dans un éclair de génie, il s’exprime ainsi :
«De plus en plus, notre vie nationale sera dominée par la rivalité de l’Est et de l’Ouest… Puisque la Confédération a vécu, nous devons surtout préciser notre programme, le limiter à nous-mêmes. Refaisons-nous nous-mêmes… Les Anglais ont voulu employer la Confédération à nous asservir, mais ils n’ont pas voulu de l’association égale avec nous. Cherchons donc ailleurs des appuis…»
Ce constat devrait inspirer l’actuel directeur, Bernard Descôteaux, dans sa démarche pour éclairer son lectorat quant aux questions sociales, sociétales et politiques qui nous concernent. Trop souvent, nous avons eu droit, de la part de ce journaliste, à une position mi-figue mi-raisin. À trop vouloir ménager toutes les susceptibilités, on se retrouve avec une conception édulcorée des enjeux à l’étude, qui ne fait avancer ni la réflexion ni la recherche de solutions.
En son temps, Bourassa notait déjà que «Le Québec s’enfonce de plus en plus dans le favoritisme et le scandale, sous la gouvernance tranquille des libéraux.» Aujourd’hui, le fondateur du Devoir ne se gênerait pas pour qualifier les libéraux au pouvoir de «gouvernement de la trahison nationale», comme il le fit naguère.
Notez bien que nous ne demandons pas à celui qui dirige la destinée de cet organe de presse de s’astreindre à imiter un Olivar Asselin – ce pamphlétaire batailleur, gavroche et belliqueux, autant dans l’approche des sujets que dans le style –, mais il serait intéressant qu’il se rapproche, selon nous, de l’idéal d’un Henri Bourassa, petit-fils de Louis-Joseph Papineau le patriote, qui trouvait que sa raison d’être en politique était de rester indépendant du pouvoir afin de pouvoir le critiquer tout à son aise.
Nous ne sommes pas sans savoir que la prédécesseure au pupitre qu’occupe monsieur Descôteaux, madame Lise Bissonnette, se plaignait, dans une lettre aux lecteurs datée du 2 décembre 2013, de ne plus se reconnaître dans les pages du Devoir. Les récentes prises de position de notre éditorialiste concernant le résultat souhaitable des dernières élections municipale et provinciale nous amènent, nous aussi, à nous poser un sérieux questionnement quant à la pertinence de sa tiédeur, qui peut ressembler, à certains égards, aux étranges salmigondis qui parsèment, parfois, les pages du quotidien fondé par Henri Bourassa.
Pour avoir suivi, depuis fort longtemps, l’évolution du Devoir, je note qu’il y a une certaine paresse dans le traitement de la nouvelle. On insère des articles de la Presse canadienne sans y effectuer un travail éditorial. Quand on sait que cette agence de presse appartient, en partie, à Gesca, filiale de Power Corporation, grande pourfendeuse de notre projet d’émancipation nationale, il y a lieu de s’interroger sur la part d’inconscience ou de consentement tacite qui passe par l’esprit de monsieur Descôteaux quant aux visées propagandistes des Desmarais.
Toujours dans un esprit critique constructif, nous notons, aussi, qu’une censure subtile, mais pernicieuse, sur les commentaires envoyés suite aux articles paraissant sur le site web du quotidien, s’avère être plus souvent qu’autrement une ode aux élites en place. Je veux bien croire que toute vérité n’est pas bonne à dire, mais il reste que la nouvelle devise du Devoir – Libre de penser – se réduit, à maintes occasions, à une liberté de penser comme nous autres.
Quoi qu’il en soit, nous souhaitons toujours une embellie du côté de l’engagement politique du Devoir, qui soit franc, ouvert à nos meilleures aspirations et en concordance avec ce combat toujours aussi nécessaire pour que nous puissions jouir de la plénitude des droits associés à un peuple libre de disposer de tous les leviers nécessaires pour exprimer son génie propre.
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2 commentaires
Gaëtan Lavoie Répondre
27 avril 2014Monsieur Bernier,
Comme vous dites vrai! Le Devoir n’a jamais publié un seul de mes commentaires qui, pourtant, me semblaient répondre aux critères d’acceptation de la direction. En guise de protestation, j’ai renoncé à mon abonnement d’un an que j’avais obtenu gratuitement. Mes commentaires portaient essentiellement sur les affaires internationales; non pas que j’en sois un spécialiste patenté, mais plutôt en raison de mes quelque vingt années de séjour dans certains de ces pays, notamment l'Algérie, l'Arabie saoudite (plus de cinq ans), la Syrie, le Soudan, la Thaïlande, le Rwanda. Quand on sait qui est président du conseil d’administration du journal, on ne s’étonne plus des choix éditoriaux.
Marcel Haché Répondre
25 avril 2014Le Devoir est d’une autre époque. Désormais, c’est Vigile le Phare. Vigile est debout.