Etienne-Alexis Boucher et François Côté
Le premier est président de Droits collectifs Québec ; le second est avocat.
Le principe de la séparation des pouvoirs entre les branches législative, exécutive et judiciaire de l’État est un élément essentiel de notre constitution. Il exige que « les tribunaux et le Parlement s’efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques » et que le Parlement puisse « exercer ses activités législatives libre de toute ingérence de la part d’organismes ou d’institutions externes, y compris les tribunaux », comme le rappelait la Cour suprême dans l’affaire Vaid (2005).
En plus de certaines règles régissant son action, le pouvoir législatif est soumis à des contrôles périodiques : insatisfaite de ses leaders politiques, la population peut les congédier pour les remplacer lors d’élections universelles. Nommé par le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif est, indirectement, soumis à un tel contrôle démocratique. Ce dernier cran de sécurité détenu par les citoyens n’existe pas envers le pouvoir judiciaire : une fois nommés, les juges sont inamovibles, voire intouchables. Leurs actions sont bien sûr encadrées par des normes, mais l’interprétation du respect de celles-ci par les magistrats relève des juges eux-mêmes.
Or, plusieurs décisions sur des enjeux constitutionnels, linguistiques ou socioculturels rendues par les tribunaux québécois et canadiens suscitent d’importantes interrogations, donnant l’impression que les juges s’investissent des pouvoirs du législateur face à de tels enjeux.
Certes, on comprend la nécessité d’une indépendance judiciaire. Mais les juges sont-ils des souverains infaillibles que rien, même la démocratie, ne saurait contraindre ? Non. Le pouvoir de créer et de faire évoluer ce droit au nom duquel les tribunaux exercent leurs pouvoirs, à la lumière des aspirations démocratiques de la nation, revient en dernier ressort au législateur.
Du sentiment d’impunité au sein de la magistrature
Si les tribunaux accomplissent convenablement leur mandat en matière civile et criminelle, il en est autrement lorsqu’ils « font de la politique », souvent dans l’intérêt supérieur du régime canadien. Rappelons l’inconstitutionnelle complicité entre la Cour suprême et le gouvernement canadien lors du rapatriement de la Constitution du Canada, puis les propos discriminatoires de l’ex-juge en chef de la Cour d’appel Michel Robert face aux avocats indépendantistes.
Plus récemment, le comportement de l’ex-juge en chef de la Cour d’appel Nicole Duval Hesler ou celui du Conseil de la magistrature du Québec, qui refuse de reconnaître les responsabilités gouvernementales dans le processus de nomination des juges, sont autant d’exemples nous convainquant de l’existence d’un certain sentiment d’impunité chez la magistrature.
Du (non-)respect de l’article 5 de la Loi sur la laïcité de l’État
L’article 5 de la Loi sur la laïcité de l’État (LLE) stipule qu’« [i] l appartient au Conseil de la magistrature, à l’égard des juges de la Cour du Québec, […] d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État et d’assurer leur mise en oeuvre ». Il aura fallu des mois de démarches de Droits collectifs Québec (DCQ) auprès du Conseil de la magistrature du Québec (CMQ), de la Commission d’accès à l’information et de la Cour du Québec pour identifier les règles établies par le CMQ conformément à la LLE.
Ce dernier conclut que les règles déontologiques actuelles suffisent à répondre aux nouvelles exigences, et que le port des signes religieux par les magistrats québécois n’a pas d’impact sur leur impartialité de fait et d’apparence (Conseil de la magistrature du Québec, Les exigences de la laïcité au Québec. Réflexions quant à leur incidence sur le devoir de neutralité réelle et apparente du juge, 2022, p. 16).
Ces règles ont été établies par le CMQ sans consultation auprès de ses membres, en se fondant non pas sur des avis juridiques formels, mais notamment sur un rapport du professeur de philosophie Jocelyn Maclure, adversaire déclaré de la LLE.
La conclusion voulant que le port des signes religieux par les magistrats québécois n’ait pas d’impact sur leur impartialité de fait et d’apparence est contraire à celle à laquelle sont arrivés les élus québécois à la suite du processus d’adoption de la LLE. Les règles établies par le Conseil de la magistrature ne sont tout simplement pas conformes à la LLE.
De plus, elles font fi de la volonté du législateur exprimée lors de l’étude de cette dernière : « L’intention du législateur est [...] que les juges de la Cour du Québec […] ne portent pas de signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions » (Assemblée nationale du Québec, Journal des débats, 11 juin 2019).
D’aucuns pourraient affirmer que le Conseil de la magistrature du Québec abuse du principe d’indépendance judiciaire pour agir impunément. Cette situation est inacceptable. Droits collectifs Québec compte entreprendre des démarches pour assurer le respect de la LLE et des obligations incombant au Conseil de la magistrature en application de cette loi fondamentale adoptée par l’Assemblée nationale du Québec. Il y va de la confiance du public envers les tribunaux.