Lettre ouverte à la gouverneure générale

Quand le Canada redonne un nouveau lustre à Barrick Gold

L'Affaire Barrick Gold vs Écosociété

Madame, c'est avec un mélange d'incrédulité et de consternation que nous apprîmes le 30 décembre 2008 la nomination de Peter Munk, homme d'affaires multimillionnaire, au titre le plus honorifique du pays, celui de compagnon de l'Ordre du Canada. Sept mois plus tard, notre indignation ne faiblit toujours pas. Certes, nous saluons la générosité de cette personne dans le financement du centre de cardiologie Peter Munk à Toronto. De même, on comprend que personne n'est parfait ici-bas. Toutefois, quand vient le temps de décerner une distinction importante à un citoyen, on devrait étudier avec soin l'ensemble des réalisations de cette personne.
Malheureusement, dans le cas de Peter Munk, le portrait d'ensemble est très mitigé. M. Munk est le fondateur historique de la prospère entreprise canadienne Barrick Gold, où il exerce une influence déterminante à titre de président du conseil d'administration. Barrick Gold est un acteur mondial majeur dans l'extraction aurifère et en tire des revenus de plusieurs milliards. Actuellement, cette compagnie minière mène une poursuite-bâillon de six millions de dollars contre l'éditeur Écosociété et les auteurs de l'essai Noir Canada. Cette procédure est fort décriée, par exemple par la Ligue des droits et libertés, car elle porte atteinte au droit à l'information, à la liberté d'expression et par conséquent à la démocratie.
Les auteurs de Noir Canada ont effectué une recherche rigoureuse, appuyée par de nombreux rapports d'organisations indépendantes de défense des droits de la personne (ex. Human Rights Watch et Amnesty International) qui se recoupent et dénoncent les agissements des compagnies minières canadiennes sur le continent africain. Parmi une série d'exemples révoltants, l'ouvrage cite le peu de cas que Barrick Gold fait du respect des droits de la personne et de l'environnement envers les populations locales. Les révélations faites dans cet ouvrage sont extrêmement troublantes et méritent que nous en débattions tous et toutes en société.
Avec justesse, Madame, vous appuyez le développement des arts au Canada, dont la production de documentaires. Nous aimerions attirer votre attention sur un documentaire fort remarqué au Canada et primé ailleurs dans le monde, Mirages d'un Eldorado (2008) de Martin Frigon, qui a enquêté sur les agissements de Barrick Gold dans la cordillère des Andes. Le cinéaste témoigne de la résistance intense et pacifique des populations indigènes de la région de Huasco, au Chili, contre le projet minier Pascua Lama, qui bouleverse l'environnement, dont l'accès à l'eau, sans apporter prospérité ou un début de développement soutenable. Les richesses et les bénéfices sont exportés, laissant derrière eux drames humains et environnementaux répercutés à l'échelle de la population locale. La compagnie a même licencié tous les travailleurs d'un syndicat de la mine. Tout cela confirme les paroles d'un des dirigeants locaux de Barrick Gold: «Nous sommes dans ce business pour le profit. Si vous avez des plaintes à formuler, vous devez vous adresser à vos gouvernements»... qui eux, se voilent la face.
Le documentaire se conclut à Toronto, dans une assemblée d'actionnaires de Barrick Gold, où Peter Munk récuse les allégations contre sa compagnie et se livre même à un argumentaire paternaliste vis-à-vis des populations du Sud, un discours digne du XIXe siècle colonial que l'on croyait révolu.
Selon ses dires, par un mystérieux hasard, le Créateur aurait disséminé les richesses minérales de la Terre non pas à Manhattan ou à Paris, mais dans le sous-sol des régions pauvres. Heureusement, dans leur grande mansuétude, des compagnies comme Barrick Gold viennent aider les populations à tirer profit des trésors enfouis dans leur sous-sol et à les sortir ainsi de la pauvreté. Toujours selon M. Munk, les opposants de Barrick Gold et autres militants pour les droits de la personne ne seraient pas conséquents avec leur cause prétendument plus noble, car dans la réalité, Barrick Gold apporterait prospérité et développement au Sud. Pourtant, au lieu de voir des pelles mécaniques écrasantes, des dépôts de déchets toxiques, l'eau détournée et souillée, les populations locales chiliennes ne demandent qu'à développer leur agriculture et l'exploitation artisanale des minerais selon leurs traditions et le respect de la volonté populaire.
À l'heure où le capitalisme débridé est sérieusement remis en question par le Forum social mondial ou des économistes comme Joseph Stiglitz, il est regrettable que Rideau Hall récompense ainsi M. Munk, car ce geste vient indirectement redorer le blason de Barrick Gold et masque ainsi les controverses qui l'entourent. D'ailleurs, cette société ne se prive pas de souligner à gros traits sur son site Internet les honneurs que son ex-président-directeur général a reçus pour ses oeuvres de charité.
Au lieu de coups d'éclat philanthropiques, nous préférerions que Barrick Gold paie des impôts proportionnellement à ses faramineux bénéfices (1,66 milliard $US en 2008) et qu'elle mette au coeur de ses préoccupations la sécurité environnementale des populations locales, le respect de la démocratie des populations autochtones, même lorsque la majorité est opposée aux projets miniers pharaoniques et destructeurs.
Récemment, le fonds souverain de la Norvège s'est départi de ses actions chez Barrick, une décision éthique motivée par les atteintes au droit à un environnement sain chez les populations de Papouasie-Nouvelle-Guinée. De même, chère gouverneure générale, vous aviez la possibilité de mettre en avant une haute idée de l'éthique, mais vous avez préféré confirmer la nomination de Peter Munk au titre le plus prestigieux. Pour tout vous dire, nous nous sentons un peu trahis par les institutions canadiennes, car leurs valeurs semblent s'écarter de plus en plus de celles de justice sociale et de solidarité qui résonnent de plus en plus intensément au coeur des populations québécoise et canadienne. Le 12 mai dernier, Développement et Paix a remis au premier ministre 140 000 cartes postales signées par autant de citoyens lui demandant de mettre en place les mécanismes légaux nécessaires pour tenir les compagnies minières canadiennes pour responsables de leurs actes à l'étranger. Nous espérons que le gouvernement répondra favorablement aux voeux de justice que la population a généreusement exprimés, par exemple en définissant et en faisant respecter des normes élevées relativement à la responsabilité sociale des entreprises canadiennes oeuvrant à l'extérieur des frontières.
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Équipe Jeunesse de Développement et paix dans l'Outaouais


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