La retraite n'a pas changé Bernard Landry. S'il était moins impulsif, il serait encore chef du PQ. Tant pis pour lui s'il est assez fou pour boycotter les pièces de Michel Tremblay.
D'ailleurs, à entendre les explications quelque peu embrouillées du dramaturge, sa remise en question du projet souverainiste semble aussi molle que pouvait l'être son adhésion.
N'empêche, quand un autre monstre sacré comme Robert Lepage joint sa voix à la sienne et confesse être «un souverainiste moins convaincu qu'avant», il faut reconnaître qu'il y a peut-être un problème.
«On dirait qu'on a besoin de quelqu'un qui nous convainque à nouveau d'y croire», dit M. Lepage. Il est normal que cette démonstration soit à refaire au profit des plus jeunes. Ce qui est plus inquiétant, c'est qu'un souverainiste de sa génération en ait encore besoin.
Il n'est pas nécessaire d'être un observateur très attentif de la scène politique québécoise pour constater que la dimension économique occupe une place grandissante dans le discours souverainiste depuis dix ans. Bien sûr, elle est incontournable, mais on a parfois l'impression que la souveraineté est devenue une sorte de plan d'affaires.
M. Lepage ajoute que «depuis le départ de Lucien Bouchard, la souveraineté n'est plus incarnée par personne». Le PQ étant ce qu'il est, pour le plus grand malheur du projet dont il est porteur, les militants péquistes ont été les seuls à applaudir à son départ en 2001. Encore l'automne dernier, ils ont sauté sur l'occasion de le huer après avoir mis son successeur à la porte.
Plus encore que René Lévesque, M. Bouchard parlait de la souveraineté avec ses tripes. Dans ses discours référendaires, il évoquait les torrents de sueur versés par nos ancêtres pour préserver notre héritage, nous rappelant à l'obligation d'en faire autant pour nos enfants. Cela ne faisait peut-être pas très branché, mais il remuait quelque chose de très profondément ancré dans l'âme québécoise.
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Paradoxalement, c'est sous son règne que le discours péquiste a pris une nouvelle tangente. De la campagne référendaire, M. Bouchard avait conclu qu'une victoire du OUI la prochaine fois supposait d'abord de conjurer l'insécurité économique dont souffraient encore trop de Québécois.
En 1995, la crainte d'une monumentale faillite collective était déjà nettement moindre qu'en 1980, mais la perspective d'hériter d'une dette qui s'ajouterait à un déficit annuel de plusieurs milliards en inquiétait plusieurs. Fort de l'ascendant dont il jouissait, le nouveau premier ministre avait mobilisé le Québec tout entier dans une vaste corvée budgétaire.
Le hasard a voulu que le déficit zéro soit atteint au moment où le gouvernement fédéral, de son côté, commençait à engranger de plantureux surplus. Tout naturellement, la lutte contre le déficit s'est transformée en bataille pour les surplus. De préalable, le budgétaire est devenu l'objectif. Le discours souverainiste a pris le virage d'autant plus facilement que l'argument identitaire était proscrit depuis la malheureuse phrase de Jacques Parizeau.
En créant la commission Séguin, Bernard Landry a fait en sorte de conceptualiser la bataille pour les surplus, qui est devenue la lutte contre le déséquilibre fiscal. La souveraineté est devenue le moyen de récupérer ce butin. M. Landry répétait continuellement que notre appartenance au Canada nous coûtait 50 millions par semaine, faisant miroiter tout ce que le Québec pourrait s'offrir avec cet argent. Il a même songé à faire porter un référendum là-dessus. S'il fallait que Stephen Harper règle le problème!
Le «programme de pays» adopté au congrès de juin, qui tient maintenant lieu d'argumentaire aux souverainistes, s'articule autour de l'étude de François Legault sur les finances d'un Québec souverain, qui comptabilise les milliards additionnels que l'élimination des chevauchements entre les deux ordres de gouvernement nous ferait économiser.
Bien sûr, la souveraineté est bien plus que cela, mais après dix ans d'obsession comptable, comment s'étonner que certains n'y voient plus qu'une affaire d'argent?
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Lucien Bouchard savait trouver les mots pour expliquer que c'était d'abord une question d'identité, de responsabilité et même d'honneur. Il a été d'autant plus consternant de le voir tout laisser tomber, même si l'apathie des Québécois devant les turpitudes fédérales avait de quoi décourager.
En annonçant sa démission, le 11 janvier 2001, il présentait toujours la souveraineté comme «le seul projet qui puisse offrir une voie d'avenir aux Québécois». Depuis, on ne sait plus trop ce qu'il pense. Diverses rumeurs circulent sur ce qu'il aurait dit ici ou là, ce qu'on rapporte la plupart du temps comme étant une conversion au fédéralisme.
En octobre dernier, les auteurs du manifeste Pour un Québec lucide écrivaient: «Certains membres de notre groupe sont favorables à la souveraineté, d'autres pensent que l'avenir du Québec sera mieux assuré au sein du Canada.» M. Bouchard lui-même n'a pas voulu dire dans quel camp il se situait.
Depuis cinq ans, l'ancien premier ministre a scrupuleusement observé son devoir de réserve, au point d'avoir boudé le documentaire Point de rupture, mais cela n'empêche pas les conjectures sur son éventuel retour en politique, même s'il est très difficile de voir comment dans le contexte actuel.
On peut très bien le comprendre de ne pas vouloir alimenter ces conjectures, mais il a aussi une certaine responsabilité devant l'histoire. En 1995, il avait vivement reproché à Pierre Marc Johnson de rester à l'écart du débat référendaire. Il trouvait ce mutisme indigne d'un ancien premier ministre du Québec et successeur de René Lévesque.
Soit, il n'y a pas de référendum en vue, mais si des souverainistes comme Michel Tremblay et Robert Lepage perdent la foi, il y a des risques que d'autres la perdent aussi et qu'il n'y ait plus jamais de référendum. M. Bouchard n'a pas à reprendre du service s'il n'en a pas envie. Pourrait-il simplement dire si cela vaut la peine que l'on continue?
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