Quand il s’agit d’user du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, le Parti libéral du Canada (PLC) n’hésite pas à marcher dans les plates-bandes des provinces, ce qui laisse présager, si le parti de Justin Trudeau est élu le 21 octobre, des négociations ardues avec le gouvernement québécois.
Justin Trudeau a dévoilé lundi les engagements du PLC en santé. Il a réitéré sa volonté de créer un régime universel d’assurance médicaments — il y a loin de la coupe aux lèvres — et annoncé son intention de mettre sur pied une agence canadienne des médicaments et une liste unitaire des médicaments assurés. Un prochain gouvernement libéral renforcerait la Loi canadienne sur la santé pour imposer « un éventail complet de services de santé mentale » dans chacune des provinces, établir des « standards nationaux clairs » et instaurer « de nouvelles normes en matière de responsabilisation ». Il entend également faire en sorte que tous les Canadiens aient accès à un médecin de famille en négociant des ententes avec les provinces, qui devront fournir des « rapports transparents », c’est-à-dire une reddition de compte dirigée par Ottawa.
Il s’agit d’engagements qui s’élèvent à 6 milliards de dollars en quatre ans, dont 750 millions pour 2020-2021, ce qui pourrait représenter quelque 175 millions pour le Québec. Étant donné que le gouvernement québécois consacre 45 milliards par an à la santé, c’est un apport qui, sans être insignifiant, n’est pas mirobolant. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit encore d’imposer des normes pancanadiennes dans un champ de compétence des provinces, ce que ces dernières, qui comptent sur les fonds fédéraux, acceptent sans trop rechigner. Sauf le Québec, qui a réussi, jusqu’ici, à invoquer l’asymétrie pour éviter qu’Ottawa ne fixe pour lui ses priorités en santé.
Dans la lettre qu’il a fait parvenir aux chefs des partis fédéraux et qui énonce quelques-unes de ses demandes à l’endroit d’Ottawa, le premier ministre François Legault réclame l’encadrement du pouvoir fédéral de dépenser. Il exige aussi qu’Ottawa hausse sa part des dépenses en santé de 19,6 % à 25 %, et ce, sans imposer de conditions. À l’heure actuelle, la croissance du Transfert canadien en matière de programmes sociaux, ce qui comprend la santé, est bloquée à 3 % par an, tandis que les coûts de la santé assumés par Québec augmentent d’environ 5 % par an en moyenne.
Les engagements libéraux en santé s’inscrivent dans une logique d’ingérence et d’empiétements : maintenir une croissance du transfert fédéral en santé en dessous des besoins et consentir par la suite des sommes supplémentaires en dictant ses priorités aux provinces. En 2017, Gaétan Barrette, alors ministre libéral de la Santé, parlait de « fédéralisme prédateur ». Il a vu s’effondrer sous ses yeux le front commun des provinces, Ottawa signant des ententes bilatérales avec les provinces les plus affamées dans un premier temps, pour ensuite les soumettre toutes.
L’accès aux médecins de famille et l’amélioration des programmes en santé mentale font déjà partie des priorités du gouvernement caquiste. Comme les gouvernements libéraux avant lui, il y a tout lieu de croire qu’il refusera de se plier aux conditions byzantines élaborées par Ottawa.
En revanche, parce qu’il est particulièrement onéreux pour les ménages québécois, le régime d’assurance médicaments du Québec, mélange d’assurances privées et de couverture publique, a fait son temps. Il faut le remplacer par un véritable régime public universel, à la fois plus généreux et globalement moins cher. Le gouvernement Legault doit plancher sur l’implantation d’un tel régime s’il veut éviter d’être à la remorque d’Ottawa et de cautionner une ingérence majeure dans les compétences du Québec.