Un an plus tard, peut-on toujours parler de «printemps arabe»? Ce qui avait commencé dans l'espoir et l'enthousiasme, début 2011, avec la chute unanimement saluée d'un dictateur honni, puis d'un autre — tous deux longtemps soutenus par l'Occident — est-il en train de s'enliser dans les sables d'Orient, suivant une quelconque loi de l'«éternel retour» des dictatures?
Entre la résistance acharnée d'un tyran coriace (le Syrien Bachar al-Assad) et les images dégradantes de la chute d'un autre (le Libyen Kadhafi) qui éclaboussent les insurgés, une géopolitique complexe se déploie.
De l'hypocrisie des uns (l'Arabie saoudite et le Qatar dénonçant la dictature en Libye et en Syrie, tout en la maintenant au Bahrein et dans leur propre cour) à l'improvisation des autres (les Occidentaux qui interviennent maladroitement en Libye en abusant d'un mandat onusien mais qui, quelques mois plus tard, gesticulent impuissants devant le massacre en Syrie), le monde arabe titube, hésite, en butte à des vents furieux qui vont dans tous les sens.
Sans oublier, bien entendu, le loup islamiste dans la bergerie démocratique. Selon les Cassandre — prétendant toujours y voir mieux que nous, pauvres myopes —, ce loup a déjà commencé à ramasser la mise au Maroc, en Tunisie, en Libye, en Égypte. Avant de le faire, demain, en Syrie et au Yémen...
Au Yémen, al-Qaïda n'occupe-t-il pas déjà, officieusement, des parcelles de territoire dans le sud et l'est du pays? Et en Syrie, selon les conspirationnistes à la sauce Thierry Meyssan, l'Occident n'est pas du tout impuissant, mais au contraire tout-puissant et agissant: selon des théories qui fourmillent sur Internet, Washington, Paris, Berlin et autres envoient et financent des milliers d'agents «terroristes»... en conjonction — oui! — avec al-Qaïda. Al-Qaïda, nouvel allié objectif des impérialistes!
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Un an après la révolte initiale, belle, pacifique et citoyenne, qui disait tout simplement le ras-le-bol des peuples devant des régimes — tous, du premier au dernier des 22 membres de la Ligue arabe — qui les maintenaient dans le silence, la fermeture et parfois la terreur... tout se complique.
Eh oui: les fronts se multiplient, deviennent flous; les alliances contradictoires refont surface; des pays-mosaïques se fragmentent; la violence se met parfois de la partie; certains rebelles commettent des exactions; des crises nationales s'internationalisent comme jadis la guerre d'Espagne; certains pays prennent feu tandis que d'autres, figés, se verrouillent tant bien que mal... pour l'instant.
C'est le contraire qui eût été étonnant. L'impulsion initiale des révolutions est souvent simple, voire simpliste, éthiquement pure. Mais les phases ultérieures y ramènent à coup sûr la complexité et l'ambiguïté morale. Cette complexité — entrevue en Libye, manifeste dans la Syrie pluricommunautaire où une partie de la population, par peur, par tribalisme ou par crainte du tribalisme, soutient la tyrannie ou ne la dénonce pas — permet la prolifération des hypothèses les plus folles.
Des hypothèses alimentées par un discours anti-impérialiste qui garde ses vieux ressorts. Même si, en réalité, l'Empire et le «vieil Occident», mobilisés par leurs crises internes, sont pour l'essentiel tétanisés devant ce qui se passe.
La géopolitique qui se déploie depuis un an — la Turquie comme référence; la «grenouille» Qatar qui se prend pour le sauveur du monde arabe, à la place du «boeuf» Égypte qui ne joue plus son rôle; les Palestiniens grands oubliés du soulèvement; la question iranienne pas loin derrière — est essentiellement araboarabe, avec Téhéran et Ankara en soutien... plus un «caméo» occidental en Libye, à l'été 2011.
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Alors? Vers une décennie de troubles en Arabie, avant le retour «normal» de régimes à poigne, nature profonde et destin éternel de ces pauvres peuples?
Non. Le soulèvement arabe ne s'est pas encore dissous dans une myriade de conflits sans direction ou vers l'établissement de nouvelles dictatures. Il existe toujours un printemps arabe qui va son chemin — un chemin tortueux —, avec des citoyens qui ont repris la parole après des décennies de silence.
À Tunis, au Caire ou à Damas, la guerre, ou encore l'avènement au pouvoir de nouveaux obscurantistes, pourraient faire capoter la démocratie balbutiante, ou tout reporter aux calendes grecques. C'est possible, mais nullement fatal. La messe n'est pas dite, le combat se poursuit — avec ou sans armes —, des maquis syriens jusqu'aux campus de Tunisie.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses textes à l'adresse http://blogues.radio-canada.ca/correspondants
Printemps arabe, an II
une géopolitique complexe se déploie
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François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
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