Pourquoi la République du Québec ?

Respecter la tradition en assurant sa transformation prometteuse.

Chronique de Marc Labelle

Au surlendemain de son fameux cri « Vive le Québec libre ! », soit le 26 juillet 1967 lors d’un déjeuner d’honneur à Montréal, le général de Gaulle en donnait la justification suivante :
« Quand il s’agit du destin, et notamment du destin d’un peuple ! — en particulier, du destin du peuple canadien-français, ou français-canadien, comme vous voudrez — aller au fond des choses, y aller sans arrière-pensée, c’est en réalité non seulement la meilleure politique, mais c’est la seule politique qui vaille, en fin de compte ! »
Le grand éveilleur de peuples avait à l’esprit l’émancipation des Français du Canada, historiquement concentrés sur le territoire du Québec. Le président de la République française voulait réparer l’abandon de la Nouvelle-France par le Royaume de France deux siècles auparavant ; il est primordial de retenir que la mère-patrie s’était entretemps dotée d’un nouveau type de souverain : le peuple, au lieu du roi.
C’est donc précisément la question du statut incarnant sa liberté collective que le peuple québécois devait se poser après l’ébranlement existentiel causé par le discours phare du balcon de l’hôtel de ville de Montréal. Fut-elle traitée adéquatement par les acteurs politiques au cours du demi-siècle qui suivit ?
Deux fois, un gouvernement souverainiste a consulté le peuple québécois, sans succès. Le mandat recherché : négocier une entente avec le gouvernement du Canada, selon la fausse prémisse que ce dernier reconnaîtrait l’option de souveraineté du Québec choisie par le peuple. Illusion quant à la bonne foi attendue de l’associé ou du partenaire imaginé ! Puisque la réaction du pouvoir fédéral au premier référendum fut l’importation unilatérale de la Constitution canadienne ; et au deuxième référendum perdu de justesse à cause de la tricherie, l’adoption de l’oppressive loi dite sur la clarté pour créer des entraves insurmontables à l’atteinte de l’indépendance. Cela ne devrait pas surprendre : afin de le minoriser irrémédiablement pour le réduire ensuite à l’insignifiance et l’effacement, la classe dirigeante canadienne avait enfermé le peuple québécois dans le dominion de 1867. Quel que soit le résultat d’un référendum tenu par ce qu’il considère comme une simple autorité locale, le gouvernement fédéral ne fournira pas la clé de la prison constitutionnelle au gouvernement provincial. Le problème fondamental de cette voie vers l’indépendance : elle repose sur la négociation de gouvernement à gouvernement, pire : de gouvernement inférieur à gouvernement supérieur.
Dorénavant, le camp souverainiste devra constamment utiliser l’expression « souveraineté populaire », qui est explicite : c’est l’autorité du peuple affranchi, plutôt que celle d’un gouvernement. C’est pourquoi l’authentique souveraineté consiste à mettre le peuple du Québec au centre du processus d’accession à l’indépendance. L’assemblée constituante constitue le mode idéal de participation de tous les citoyens désireux de fonder le pays, le régime politique et les institutions qui reflètent les idéaux et les valeurs du peuple québécois.
Si les principaux porte-parole souverainistes n’ont pas approfondi et promu la notion de régime républicain depuis un demi-siècle, le républicanisme est pourtant une réalité qui affleure spontanément dans la mentalité du peuple… depuis la fin du 18e siècle.
Danic Parenteau explique très bien cet esprit républicain, en opposition au monarchisme, dans son essai L’indépendance par la République : de la souveraineté du peuple à celle de l’État (Groupe Fides, Montréal, 2015). En voici les idées-forces :
a. Le modèle républicain repose sur le principe cardinal de la « souveraineté populaire ».
b. Suivant la formule d’Abraham Lincoln, la république est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
c. Dans la vision républicaine, la souveraineté du peuple précède celle de l’État. La souveraineté de l’État est l’incarnation institutionnelle de la souveraineté du peuple, première et fondatrice.
d. Est souverain le sujet politique qui ne dépend d’aucun autre pouvoir politique. Ce sujet est entièrement maître de son destin et libre de tous ses choix. Il a le dernier mot sur tout ce qui le concerne sur le plan politique.
e. Le peuple est au cœur de la représentation politique républicaine, en tant que principal sujet et agent politique.
f. La constitution est la colonne vertébrale d’un peuple. Elle donne à une communauté politique une cohérence structurelle interne et externe.
g. Le libéralisme anglo-saxon favorise une représentation impersonnelle ou fragmentée de la société, la société étant essentiellement perçue comme un agrégat d’individus. Les individus ont préséance sur la société, puisque cette dernière serait dépourvue d’existence propre.
h. La perspective gestionnaire et technocratique du pouvoir dans le libéralisme anglo-saxon favorise la concentration du pouvoir entre les mains d’une élite politique.
i. La conception du pouvoir propre au libéralisme anglo-saxon sous-tend une méfiance à l’égard du peuple. L’esprit libéral craint la « tyrannie de la majorité » ; il est prompt à juger et à condamner comme « populistes » les réactions des citoyens ou des élus et les choix politiques qu’ils expriment. À l’opposé, de tels choix paraîtront généralement conformes à la volonté du peuple, donc tout à fait légitimes, aux yeux d’un républicain.
j. Voici les caractéristiques de la laïcité républicaine : suppression de toute référence à la religion ou à Dieu dans les textes législatifs, opposition à la manifestation religieuse dans l’espace institutionnel, interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les fonctionnaires de l’État, retrait des signes religieux dans les enceintes du pouvoir, retrait de l’enseignement religieux dans les écoles publiques, abrogation de toute loi condamnant le blasphème de nature religieuse (au nom du principe de la liberté d’expression).
k. En république, le citoyen envisage son appartenance au peuple comme une dimension importante de son identité personnelle. Il est conscient de la souveraineté dont il est dépositaire et des responsabilités que le statut de citoyen confère.
l. La « vertu civique » est valorisée chez le citoyen. Elle désigne le sens du devoir et des responsabilités à l’égard de la société dans son ensemble. Montrer une telle vertu revient à être capable, lorsque les circonstances l’exigent, de privilégier l’intérêt général plutôt que ses propres intérêts.
m. L’éducation républicaine est axée sur l’autonomie de la pensée, l’esprit critique et le sens de la responsabilité à l’égard d’autrui, toutes qualités qui participent de la vertu civique.
n. Dans le républicanisme, l’éducation favorise l’acquisition de la citoyenneté et contribue à la culture du savoir universel diffusé auprès du plus grand nombre.
o. Des 197 États indépendants reconnus par l’Organisation des Nations unies, on ne compte que 37 monarchies, dont 16 ont à leur tête la monarque anglaise Élizabeth II.
Le modèle républicain ou démocratique est apparu durant l’âge axial (moment charnière de l’humanité survenu quelques siècles av. J.-C.), soit en Inde avec la République de Vaishali (vers le 6e siècle av. J.-C.) ainsi qu’à Athènes et à Rome (au 5e siècle av. J.-C.). La Révolution atlantique (états-unienne et française) a lancé le phénomène d’universalisation de la démocratie à la fin du 18e siècle, qui a mené au vaste mouvement de décolonisation après la Deuxième Guerre mondiale. Actuellement, les conquêtes de la modernité sont en péril à cause de la dérive postmoderne qui aboutit à la décadence ; toutefois, la lutte naissante contre l’esclavage du globalisme financier et médiatique imposé par l’oligarchie apatride rallume l’aspiration civilisationnelle des patries à travers le monde.
Pour contribuer à la consolidation d’un humanisme authentique à l’échelle planétaire, il est grand temps que le peuple québécois reprenne son élan exemplaire de l’époque de la Révolution tranquille en se dotant cette fois-ci d’un État normal, complet et sain, c’est-à-dire indépendant. Selon Charles de Gaulle, la démocratie (du grec demokratia, « le pouvoir du peuple ») se confond exactement avec la république (du latin res publica, « la chose publique »). La fondation de la République du Québec est un projet éminemment positif, capable de susciter l’enthousiasme durable du peuple.

Featured 942d223fb46b3d292ba33d158de0fcdb

Marc Labelle57 articles

  • 65 438

  Se voulant agent de transformation, Marc Labelle présente sur les valeurs et les enjeux fondamentaux du Québec des réflexions stratégiques, car une démarche critique efficace incite à l’action salutaire. Ses études supérieures en sciences des religions soutiennent son optique de penseur libre.





Laissez un commentaire



2 commentaires

  • Martin Perron Répondre

    29 juillet 2017

    Modèle républicain, mon oeil. Regardez dans quel état de décrépitude se retrouve la France aujourd'hui. Je sais que vous êtes beaucoup à aspirer à ce type de gouvernement, mais derrière celui-ci se cache une haine de la religion catholique. La grandeur de la France venait de la royauté et de son appartenance à la religion catholique. Cette religion fait partie de ce que nous sommes comme peuple. Elle a façonné notre identité et nous permet d'appartenir à un monde plus grand que nous. Grâce à elle, nous participons à l'histoire universelle ainsi qu'à l'espérance. Ce modèle républicain qui rejette expressément la religion de nos ancêtres a été une raison qui explique l'insuccès de la cause des Patriotes en 1837-1838. Les Canadiens français ne s'y retrouvaient pas. Et je crois que bien des réserves face à l'indépendance viennent de cette crainte inavouée de voir disparaitre ce qui nous reste de liens avec la religion catholique.

  • Jean Lespérance Répondre

    28 juillet 2017

    L'indépendance en soi n'est pas une nécessité absolue normalement, sauf que dans le cas présent c'est la seule alternative qui est à notre disposition si on ne veut pas devenir des esclaves des oligarques qui dominent l'Union Européenne. Le Canada abandonnant sa souveraineté à l'Union Européenne en lui donnant plus de droits et de pouvoirs que l'Angleterre en a sur nous, c'est comme changer une monarchie pour un impérialisme économique et financier. On s'en va où avec une aberration de cette sorte?