Mario Dumont, c’est le champion de l’illusion : un « jeune vieux » cherchant en vain à rajeunir de vieilles idées. S’il donne l’impression d’apporter du nouveau et d’exprimer les aspirations au changement des gens ordinaires, il ne le fait que sur le mode du populisme le plus traditionnel.
Quant à ses recettes de gouvernement, si elles ont quelque peu changé de forme depuis l’été 2002 et se sont mieux fondues dans le paysage de la rectitude politique, elles restent fondamentalement inspirées par la même approche néolibérale, élitiste et droitière. A s’en méfier comme de la peste.
Pour s’en convaincre il suffit de s’arrêter à quelques-uns de ses thèmes de campagne, et vous retrouverez derrière chacune de ses propositions – aussi clinquantes qu’elles puissent paraître — la même obsession : en finir avec l’idée d’un Etat souverain au service de la collectivité, veillant sur le « bien commun » et tentant de réguler l’économie de marché pour protéger minimalement les plus démunis.
Une éducation à deux vitesses
Pensez par exemple, dans le champ de l’éducation, à son idée d’abolir – au nom d’une pseudo-décentralisation — les commissions scolaires et de rapatrier la gestion des écoles au niveau municipal. Que se dessine-t-il derrière cette mesure, sinon la remise en cause du principe élaboré pendant la révolution tranquille d’une école conçue comme un service national et universel accessible à tout un chacun, quelque soit son origine ou sa résidence ?
Bien vite – comme cela est arrivé dans tant de pays qui ont municipalisé l’éducation (c’est une mesure typiquement néolibérale) — la tendance poussera vers une école à deux vitesses, une pour les municipalités aisées, l’autre pour celles moins en moyens. De toute façon, l’ADQ ne s’en trouverait certainement pas gênée, elle qui soutient déjà l’idée de continuer à financer l’éducation privée (à près de 60%) et qui est d’accord pour le dégel des frais de scolarité à l’université, mesure dont tout le monde sait cependant qu’elle pénalise à terme les jeunes des secteurs sociaux les plus démunis. Et pas un mot bien entendu sur le déficit zéro de 1995 qui en réduisant de manière récurrente de près de 1\5 les dépenses de l’éducation explique pour une bonne part les problèmes de sous-financement chronique que l’école connaît depuis lors….
Une santé pour les riches ?
Là encore il y a les bons mots, et la réalité. Les bons mots : ce sont ces nobles appels pour réinvestir en prévention ou en campagnes de sensibilisation sur les saines habitudes de vie. Ils cachent pourtant l’essentiel. Car en même temps l’ADQ appelle à privatiser des pans importants du secteur de santé, mesure qui selon ce parti permettrait le désengorgement du système. Pourtant à l’instar de l’éducation, tout des expériences menées dans ce sens dans les autres pays le montre : loin d’améliorer le système pour tous et toutes, la privatisation tend à favoriser un accès différencié aux soins, et cela à partir des revenus dont disposent les personnes malades, générant ainsi peu à peu une médecine pour les riches et une pour les pauvres. Une fois encore c’est l’idée d’un service public universel qui en prend pour son rhume. Et impossible de ne pas voir derrière cette obsession de la privatisation une communauté d’intérêts avec le secteur privé lui-même. Pourquoi autrement ne s’être pas interrogé sur les formidables profits engrangés par les grandes pharmaceutiques par le biais des médicaments, profits auxquels l’ADQ ne fait jamais, au grand jamais, référence ? N’y aurait-il pas là un moyen à portée de main de réduire les coûts, en donnant ainsi une nouvelle bouffée d’oxygène au système ?
L’autonomie ambiguë
Au niveau politique, l’ADQ a finalement opté pour l’autonomie. Voilà le symbole de la foncière ambiguïté de ce parti, l’expression de son « pragmatisme opportuniste de droite » (c’est là sans doute la formule qui le définit le mieux), et donc de son manque de courage pour aborder de front des questions de fond. Car Mario Dumont n’est même plus un autonomiste conséquent comme au temps du rapport Allaire (1991) où il exigeait le rapatriement sous juridiction provinciale de dizaines de pouvoirs monopolisés par le Fédéral. La réalité lui a montré depuis que ce ne serait pas chose facile (rappelez-vous la loi sur la clarté !). Alors il n’en reste qu’à l’idée d’autonomie, mais sans jamais expliquer comment il s’y prendrait pour la rendre réalisable : manière de se démarquer tout de même au niveau du discours de Charest et surtout d’aller capturer quelques votes du côté d’André Boisclair, puisque comme chacun le sait le sentiment souverainiste reste au Québec un élément décisif à toute joute électorale. De quoi cependant et tout en l’évoquant quand même, renvoyer la question de la souveraineté aux calendes grecques !
La famille et les odeurs rancies du duplessisme
Mario Dumont est pour la famille. Mais pas n’importe laquelle : celle d’autrefois, la plus traditionnelle ! Car il ne cherche pas à élargir le réseau des garderies publiques, ni à diminuer leur coût, ni non plus mettre à la disposition de toutes les familles du Québec un réseau d’accompagnement pour les aider, un réseau d’aide universelle leur permettant de choisir les services de soutien qui leur conviendraient le mieux. Il préfère à l’inverse offrir une allocation familiale ciblée pour chaque enfant d’âge préscolaire dont la famille ne fréquente pas une garderie subventionnée. Ce qui a pour conséquence, de travestir en douce, en l’individualisant et en la réduisant à une question de choix individuel (encore la perspective néolibérale !), l’aide universelle que l’Etat devrait apporter à toutes les familles. Manière de court-circuiter le choix possible des femmes, dont on sait que l’accès au travail a toujours été un facteur d’autonomie et d’indépendance, une voie décisive vers l’égalité. D’autant plus qu’il se propose de subventionner en même temps la venue d’un 3e, 4e ou 5e enfant, à la hauteur de 5 000$ par nouvel enfant. De quoi évidemment faire pression sur les femmes pour quelles restent à la maison et tendent à privilégier leur rôle de mère et génitrice…entre 4 murs. Pas de doute le soi-disant modernisme de Mario Dumont colporte aussi les odeurs rancies du « duplessisme » d’antan.
De la prison, toujours plus de prison !
Mais le nec plus ultra, ce qui permet de saisir la quintessence de la démarche de Mario Dumont, c’est sa conception de la justice et de la sécurité publique. Parce qu’en bon populiste qu’il est, il commencera par surfer sans vergogne sur les préjugés les plus communs en la matière : « les prisonniers sont des gras durs et les prisons du Québec se sont transformées en de vrais hôtels ». Passant sous silence que, non seulement l’immense majorité des prisonniers n’a rien à voir avec la petite poignée des grands criminels liés au crime organisé et indûment favorisés, mais que nos prisons sont surpeuplées et fort peu à même de leur permettre –comme elles seraient censées de le faire — de se réintégrer durablement à la société. Tout au contraire ! Mais Mario Dumont n’en a cure. Il appelle –parce que c’est facile et que ça plait — à plus de fermeté répressive, en voulant réduire les conditions de libération conditionnelle, et qui plus est (voilà le biais néolibéral qui réapparaît) en cherchant à faire participer financièrement les détenus au coût de leur peine. Comme si ce n’était que par la répression, en économisant et en mettant de côté toute politique préventive, qu’on allait régler le problème de la délinquance ou de la criminalité. Les politiques étatsuniennes n’en sont-elles pas à ce sujet le plus dramatique contre exemple ?
Pas de doute, et l’on pourrait continuer à le démontrer par de multiples exemples, s’il y a bien un programme qui fait problème, c’est celui de Mario Dumont.
Qu’on se le dise : l’ADQ est plus que jamais…une voie sans issue !
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Québec 2007 - ADQ
Pierre Mouterde18 articles
Sociologue essayiste
Auteur de "La gauche en temps de crise, contre-stratégies pour demain", Liber, Montréal, 2011
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