« Le général expose que le rétablissement d’une France forte constitue, sur le continent, avec une Russie puissante la meilleure garantie de sécurité. » Mémoires de Guerres, 3, p. 364.
Dans ses Mémoires de guerre, le Général entrevoit et dénonce la mondialisation, le déclin de l'Europe, la fin des empires coloniaux, la liquidation du millénaire Etat-nation, liquidation à laquelle nos élites ou supposées telles ont depuis pris une si joyeuse part. C'est d'ailleurs pour cela que le Général de Gaulle ne cesse de vouloir se rapprocher de la Russie, fût-elle dirigée par le Maréchal Staline. Ce dernier apparaît sous sa plume comme un gentil ogre avec qui il faut apprendre à s'entendre.
Mais commençons par l'ange luciférien Roosevelt.
Car le Général explique régulièrement que la menace c'est Roosevelt. Le futur ordre mondial sera basé sur le dollar, la fin des frontières et aussi sur la base américaine. Roosevelt, porte-parole des élites hostiles, lui explique en souriant que la race blanche est dans une situation critique en Asie (aujourd'hui elle l'est en Europe comme en Amérique!).
L'ubris américaine est une donnée permanente. Roosevelt sait qu'il a gagné le monde grâce à cette inutile guerre européenne qu'il a inspirée sans la livrer. Voici ce qu'écrit le Général:
« Dès lors que l'Amérique faisait la guerre, Roosevelt entendait que la paix fût la paix américaine, qu'il lui appartînt à lui-même d'en dicter l'organisation, que les États balayés par l'épreuve fussent soumis à son jugement, qu'en particulier la France l'eût pour sauveur et pour arbitre. »
De Gaulle souligne ensuite l'instinct dominateur américain:
« Les États-Unis, admirant leurs propres ressources, sentant que leur dynamisme ne trouvait plus au-dedans d'eux-mêmes une assez large carrière, voulant aider ceux qui, dans l'univers, sont misérables ou asservis, cédaient à leur tour au penchant de l'intervention où s'enrobait l'instinct dominateur. »
Cet instinct aboutira à la fin de notre indépendance:
« Cependant, devant l'énormité des ressources américaines et l'ambition qu'avait Roosevelt de faire la loi et de dire le droit dans le monde, je sentais que l'indépendance était bel et bien en cause. »
Quand il rencontre Roosevelt à Washington (ce dernier se permettra de lui donner une photo dédicacée!), le Général fait quand même part de son inquiétude au super-grand homme:
« En tenant l'Europe de l'Ouest pour secondaire, ne va-t-il pas affaiblir la cause qu'il entend servir: celle de la civilisation?… Sa conception me paraît grandiose, autant qu'inquiétante pour l'Europe et pour la France (…) Passant d'un extrême à l'autre, c'est un système permanent d'intervention qu'il entend instituer de par la loi internationale. »
Evidemment, en évoquant le futur et permanent état de guerre (pardon, interventionnisme) américain, le Général ne plait pas à tout le monde. Il rappelle au passage que pour Roosevelt « Alger peut-être, n'était pas la France » (l'Afrique Nord pour Washington n'est déjà plus la France), et il nous explique sur un ton narquois pourquoi il est fascisé par une certaine presse aux ordres.
« La plupart avançaient que j'étais candidat à la dictature; que mon entourage, noyauté de fascistes et de cagoulards, me poussait à instituer en France, lors de la libération, un pouvoir personnel absolu. »
Rien de nouveau sous le soleil décidément!
Venons-en à la vision du Général de Gaulle de la Russie et du Maréchal Staline.
« J'ajoute que la position si favorable prise à notre égard depuis longtemps par le maréchal Staline et le Gouvernement de l'Union soviétique, dont le rôle dans la guerre est capital comme il le sera demain dans la paix, nous donne lieu d'espérer que la France et la Russie pourront, dès que possible, fixer entre elles les modalités de l'étroite collaboration dont dépendent, je le crois, la sécurité et l'équilibre futurs de l'Europe. »
Aujourd'hui le Général serait poursuivi pour des phrases comme cela. Il garde son affection pour la Russie en dépit de la dictature stalinienne!
Mais il ajoute:
« Soyons droits, fermes, unis. De nos grandes épreuves, tirons fraternellement, tous ensembles, de grandes leçons et de grands desseins. »
Et il espère rassembler les Etats-Unis et la Russie:
« En effet, la France est à la fois puissance européenne et puissance mondiale. Comme puissance européenne, elle tient à être d'accord avec la Russie. Dans la mesure où elle est puissance mondiale, elle doit avoir de bonnes relations avec les États-Unis. Nous trouverions donc intolérable une situation d'hostilité entre ces deux pays. »
Mais les Américains et leurs agents créeront dès la fin de 1945 une situation de guerre froide, garantie de leur domination éternelle sur le « vieux continent ».
De Gaulle reconnaît « l'appétit d'ogre » de Staline. Ce dernier lui rappelle pourtant que les petits pays comme la Hongrie et la Bulgarie ont joyeusement participé à l'atroce invasion nazie de son pays. De Gaulle rappelle que la Pologne a occupé deux fois Moscou et il souligne de toute manière la bonne volonté anglo-saxonne en la matière (la guerre froide, c'est pour après cette guerre, histoire de maintenir la présence anglo-saxonne en Europe). Puis il lui fait la proposition suivante:
« Le fait que la Russie et la France s'étaient séparées avait influé sur le déchainement des ambitions germaniques, le désastre français puis l'invasion du territoire soviétique… J'esquissais la perspective d'une entente directe entre les gouvernements de Moscou et Paris pour fixer les bases d'un règlement… ».
Et Staline lui propose de mettre à l'étude un pacte franco-russe pour se prémunir contre une nouvelle agression allemande. Grace à de Gaulle, « le Maréchal estime que la France doit reprendre la place qu'elle mérite » dans le chœur des nations. De Gaulle assiste ensuite à la messe à Saint-Louis des Français, voit des spectacles folkloriques et conclut joliment:
« Nous n'en marquions que mieux à l'égard de ce grand peuple, notre amicale admiration. »
Mémoires de Guerre, tome 2 et 3.
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