Pour résoudre la question nationale, un changement de paradigme s'impose

Tribune libre

Depuis la dégelée historique subie par le Parti québécois le 7 avril -qu'un observateur a comparé à une "déflagration politique- de nombreux souverainistes, atterrés tiennent des propos défaitistes.Certains annoncent leur retraite du militantisme sur le mode du désenchantement parce qu’ils n’ont pas confiance aux générations montantes pour prendre la relève. Les récentes élections marquent sans contredit la fin d’une ère. Le cul-de-sac où se retrouve le navire amiral du mouvement souverainiste constitue en effet un phénomène de nature structurelle qui dépasse de beaucoup n'importe quel événement conjoncturel. Les résultats sont tels qu’un changement de paradigme -c’est-à-dire une façon de pensée et d’agir radicalement nouvelle- s’impose désormais. Et cette métamorphose doit s’opérer rapidement si on ne veut pas que l’idée de l’indépendance ne s’étiole et devienne du folklore.

Le Parti québécois a emprunté jusqu’ici les sentiers battus du prosélytisme. Cette stratégie a porté ses fruits jusqu’à la limite lors du référendum de 1995 où le camp du «oui» a failli être majoritaire. Depuis cette défaite, le PQ a surtout instrumentalisé la souveraineté pour tenter de conserver sa suprématie sur le mouvement souverainiste; ce qu’il réussit de moins en moins. Il a lié la tenue d’un référendum "tenu au moment opportun" à l’hypothétique survenance de «conditions gagnantes» que sa bonne gestion des affaires provinciales devait faire surgir. Lors des six dernières campagnes électorales, il a même caché l’option que proclame l’article 1 de son programme.


Sortir des sentiers battus du prosélytisme

En quoi consiste ce nouveau paradigme ? Il signifie justement qu’on sorte des sentiers battus du prosélytisme et des campagnes menées selon le bon vieux mot d’ordre «sortir, parler, convaincre». Il repose sur le postulat que nos compatriotes n’ont pas d’abord et avant tout besoin d’être endoctrinés par des porteurs de la bonne parole. Ils ont surtout besoin d’être informés de la manière la plus objective possible, de comprendre les enjeux, de comparer les différents points de vue, d’en discuter entre eux, de se faire leur propre opinion et d’exprimer ce qu’ils désirent au plus profond d’eux-mêmes.

Il signifie aussi que la question référendaire, à laquelle les citoyens auront éventuellement à répondre, n’aura pas été concoctée seulement par quelques dirigeants politiques au pouvoir, mais grâce à la participation de l’ensemble des citoyens.

Cette voie innovatrice découle du principe indémodable selon lequel le seul pouvoir légitime vient du peuple. Elle repose sur la diversité des expressions de la souveraineté populaire et s'inspire de la démocratie participative. Cela implique que les citoyens puissent exercer avec les élus, issus de la démocratie représentative, une véritable cogestion des affaires publiques et décider des changements à apporter aux institutions démocratiques. Quant au référendum, qui clôturerait le processus, il faut réaliser qu'il n'est qu'une des façons d'exercer la souveraineté populaire.

Marois avait elle-même indiqué la voie à suivre

La première ministre Marois avait d'ailleurs indiqué, quoique de façon floue, la voie à suivre alors que, début février, elle avait annoncé que son gouvernement, s'il était réélu de façon majoritaire, présenterait un livre blanc sur l'avenir du Québec. Ce document, avait-elle dit, ne ferait pas la promotion de la souveraineté mais donnerait plutôt le coup d’envoi à une vaste consultation publique. Il s’agirait, avait-t-elle précisé, d’une «démarche objective et rigoureuse» qui «ferait état des avantages et des inconvénients» de la situation dans laquelle Québec se retrouve avec Ottawa en ajoutant que «l’idée n’est pas de faire un livre noir sur le Canada ni d’imposer notre option».

Malheureusement, obnubilée par sa stratégie du 'bon gouvernement', la chef péquiste est demeurée muette sur ce sujet durant la campagne électorale. Elle avait pourtant à portée de main la réponse pour confondre ses adversaires machiavéliques qui, à grand renfort médiatique, apeuraient la population avec le déclenchement d'un référendum de façon inopinée.Cet épisode a d'ailleurs marqué le point tournant de la campagne et a donné le signal d'un dérapage majeur pour le PQ.

Souveraineté politique et souveraineté populaire doivent être liées

Comment se traduirait concrètement cette nouvelle approche? L’Assemblée nationale adopterait d'abord une loi définissant le mandat, la composition et la démarche d’une Assemblée constituante. Cette dernière aurait pour mandat d’élaborer une ou des propositions sur le statut politique du Québec, sur les valeurs, les droits et les principes sur lesquels devra reposer la vie commune, ainsi que de définir ses institutions, les pouvoirs, les responsabilités et les ressources qui leur seraient délégués. Les membres de l’Assemblée constituante seraient choisis au suffrage universel et cette dernière serait composée d’un nombre égal d’hommes et de femmes. Le mode de scrutin choisi assurerait la représentation proportionnelle des tendances et des différents milieux socio-économiques de la société québécoise.

Voici les principale étapes du processus qui serait prévu. L'Assemblée constituante devrait d'abord effectuer une vaste consultation populaire où toute la population serait être invitée à participer à une démarche large et inclusive, c’est-à-dire une démarche appelée à se déployer simultanément à tous les niveaux (national, régional, local) et susceptible de faciliter la participation de tous les citoyens particulièrement de ceux habituellement exclus des lieux du débat public.Tous les citoyens, quels que soient leurs opinions politique, seraient bien entendu invités à participer aux réunions auxquelles donnerait lieu cette consultation En deuxième lieu, les membres de l'Assemblée constituante devraient rédiger un projet de constitution où ils devraient tenir compte des résultats de la consultation populaire. Puis ce projet serait soumis à un référendum dont le résultat serait entériné par l'Assemblée nationale.

Un solution durable de la question nationale exige donc que la souveraineté politique soit liée à la souveraineté populaire, non seulement lors du référendum qui clôturera le processus mais pendant toute la démarche qui y mènera.On doit réaliser également que le débat sur l’avenir du Québec n’appartient à aucun parti politique en exclusivité pas plus qu’à un groupe de la société civile en particulier ni même au gouvernement ou à l’Assemblée nationale. Il appartient à l’ensemble du peuple québécois.

'Départisaniser' la démarche vers l'indépendance

Comme l'a écrit le président du Conseil de la souveraineté, Gilbert Paquette, il faut un changement de cap. Il faut 'départisaniser' la démarche vers l’indépendance et la confier à la société civile sur la base de la souveraineté populaire. Heureusement, ce genre d’approche compte de plus en plus de supporteurs si l’on se fie aux discussions auxquelles ont donné lieu les assemblées tenue dans le cadre des États généraux sur la souveraineté depuis l’automne dernier. L’orientation que donne Pierre Curzi au Nouveau mouvement pour le Québec depuis qu’il est sa tête va aussi dans le même sens.

Bien entendu, durant tout ce processus qui pourrait prendre quelques années, les militants indépendantistes devront faire valoir leur option du mieux qu'ils le pourront. Je suis convaincu, par ailleurs, que ce grand brassage d'idées ne pourra qu'aboutir à un consensus en faveur de la souveraineté du Québec. Certains prétendront qu'il s'agit là d'une pari risqué. Je pense qu'il s'agit plutôt d'un défi incontournable à relever afin de résoudre enfin cette question existentielle qu'est l'avenir politique du Québec.

Mais pour que ce processus soit mis en marche encore faut-il q'un gouvernement souverainiste soit élu. L'instauration d'un scrutin proportionnel remplaçant le scrutin majoritaire d'origine anglaise dont nous sommes affligés et la formation d'un gouvernement de coalition m'apparaissent des conditions préalables pour atteindre ce but. Mais il s'agit là d'une autre débat...

Paul Cliche,
1er mai 2014

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Paul Cliche76 articles

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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5 commentaires

  • Stéphane Sauvé Répondre

    2 mai 2014

    Merci. Super, je suis d'accord avec l'essentiel de votre proposition. Ca rejoint je crois, ce que Cloutier proposait il y a de cela plusieurs mois.
    Maintenant, vous écrivez: "Mais pour que ce processus soit mis en marche encore faut-il q’un gouvernement souverainiste soit élu."
    Pas tout à fait d'accord avec vous sur ce point.
    D'abord, notre démocratie est prise en otage par le "système" en place. Les citoyens doivent reprendre leur rôle. Cette consultation populaire et cette constituante citoyenne peut (et devrait) se faire par et pour le peuple. La révolution, c'est là qu'elle se fera. Et nous avons les outils pour y parvenir.
    Mais vous avez raison. Nous avons besoin d'innover et ce, à plein de niveau et au sein de la plupart des organisations souverainistes.
    Commencons par Vigile. Il y a ici un potentiel exceptionnel mais voilà, nous dormons sur notre potentiel. Nous discutons, échangeons, etc. mais où se place la collaboration terrain à partir de cibles clairs ?
    Il y a une sclérose évidente au sein du mouvement souverainiste. Et cette faiblesse vient du fait que nous avons fixé notre attention sur de vieux moyens pour s'affranchir de nos dépendances. Des moyens qui ne fonctionnent pas. De fait, l'effet contraire est produit. Les Québécois sont écoeurés d'entendre les mêmes discours.
    Regardez la dernière campagne publicitaire du Bloc ou du PQ. Pathétique à mourrir de voir si peu de vision. Mais à quoi donc pouvait-on s'attendre. La conviction n'y était pas.

  • Laurent Desbois Répondre

    2 mai 2014

    À Paul Cliche, QS,
    Les Québécois ont a été convoqués et ils ont voté QS, ON et CAQ.... pour ne pas avoir le PQ!
    Ils ont gagné leur vote ! MDR ;))))
    Il faut comprendre que si Manon est intéressé à l'histoire, c'est pour la REFAIRE et non pour s'y référer... De plus, qu'est-ce qu'une histoire nationale peut bien intéresser des internationalistes!
    Manon Massé précise la position de QS sur l’indépendance du Québec!
    « J’appelle à faire l’indépendance (du Québec) sur la base de l’avenir, pas avec les idées du passé » Manon massé au lundi de l’indépendance du NMQ du 28 avril 2014
    P.S ::: Une nation, ça vient avec une histoire, Manon!!!!
    https://www.facebook.com/#!/photo.php?fbid=10152470935683140&set=a.232916908139.169388.652793139&type=1&theater

  • François Ricard Répondre

    2 mai 2014

    Changement de paradigme essentiel: la fin des luttes fratricides entre les indépendantistes.
    Durant toute la campagne électorale, les meilleures attaques de Françoise David furent par devers Mme Marois et le PQ.
    La force passée du PQ: au moins un responsable par bureau de scrutin. Un responsable qui connaît son monde. Un responsable qui fait sortir le vote lors d'une élection.
    Ce qui a affreusement manqué dans mon comté où le candidat ministre fut défait.

  • Archives de Vigile Répondre

    1 mai 2014

    "Les récentes élections marquent sans contredit la fin d’une ère. Le cul-de-sac où se retrouve le navire amiral du mouvement souverainiste constitue en effet un phénomène de nature structurelle qui dépasse de beaucoup n’importe quel événement conjoncturel."
    Et ce phénomène de nature structurelle s'explique un peu de cette façon.
    Il n'y a plus, en ce 21e siècle, beaucoup de politiciens et plus beaucoup de citoyens non plus qui ont des convictions et qui les suivent.
    Nous sommes en présence d'une forte tendance à l'opportunisme de la part d'à peu près tout le monde.
    Et on sait que les opportunistes n'ont pas de convictions profondes et qu'ils sont prêts à embarquer dans n'importe quelle direction où le vent se trouve à souffler.
    Le "structurel" reviendra dans le bon sens quand les gens auront de réelles convictions.

  • Jean-Jacques Nantel Répondre

    1 mai 2014

    Désolé de vous contredire mais cela n'est pas un changement de paradigme, mais plutôt l'inverse puisque vous reprenez l'idée maintes fois rabâchée par les chefs du PQ qu'il faut d'abord se faire élire avant de faire quoi que ce soit.
    Pire: Vous reprenez l'idée défendue par le PQ depuis 1995 qu'il faut abandonner le ¨sortir, parler, convaincre¨ pour faire progresser l'option. Or, c'est exactement ce qu'a évité de faire le PQ avec les résultats catastrophiques que l'on sait, notamment du côté des jeunes qui ne savent pas vraiment de quoi il s'agit.
    Convaincre la population est absolument essentiel parce que le référendum est la seule étape INÉVITABLE pour réaliser l'indépendance. Il faut un ¨oui¨ majoritaire pour procéder. Jamais le Fédéral ne nous donnera les clés de quoi que ce soit sans cela. Jamais la communauté internationale n'acceptera de nous reconnaître sans cela. Point!
    Un vrai changement de paradigme consiste à regarder le même sujet d'un point de vue radicalement différent. Cela veut dire pour nous de ne plus cacher le projet souverainiste (parce qu'on admet implicitement qu'il coûtera cher) pour plutôt le déclarer extrêmement urgent parce que ce sera une affaire payante (ce que vous ne semblez pas vraiment croire puisque vous ne le dites pas).
    Tant que nous n'aurons pas changé notre discours pour montrer à tous, immigrants compris, que l'indépendance sera payante, nous ennuierons la population et nous la braquerons contre tous les projets de constituantes de ¨ces vieux séparatistes des années soixante¨ qui, selon la propagande fédéraliste ¨insultent l'intelligence des Québécois en essayant de les convaincre¨.
    Il faut dire et répéter à la population que le référendum est urgent pour s'enrichir et qu'une fois indépendant, le Québec disposera de cinq outils nouveaux pour le faire; à chaque fois à coups de milliards de dollars. Ces cinq outils seront:
    1. L'élimination des privilèges de notre minorité anglaise qui sont financés avec de l'argent pris aux francophones.
    2. L'élimination des chevauchements de la vingtaine de ministères qui font la même chose que des ministères québécois.
    3. Le rapatriement de toute l'industrie tertiaire qui gère notre économie à partir de Toronto (bourse de Montréal, placements financiers, etc.).
    4. La rationalisation de l'État québécois comme veut le faire la CAQ de François Legault, mais AVEC l'aide des syndicats plutôt qu'en se battant contre eux.
    5. Et surtout, l'instauration de péages sur le territoire québécois, comme cela se fait dans tout pays NORMAL, pour obliger les Canadiens anglais qui traversent le Québec en abîmant les infrastructures que nous avons payées à nous en rembourser les coûts selon le principe de l'utilisateur payeur (Voie maritime, Transcanadienne, port de Montréal, système de trains, pipelines, etc.). Fini les Lac Mégantic où eux prennent les profits pendant cinquante ans pour ensuite faire faillite de façon à nous obliger à payer tous les pots cassés!

    Ça, c'est un vrai changement de paradigme! Ça, ça va intéresser la population et lui donner confiance! Tout le reste n'est que littérature!