Claude Gauthier: en toute amitié



«Mon père avait encore une bonne voix à 75 ans, alors qu'il était toujours maître chantre à l'église!»raconte Claude Gauthier pour expliquer l'inaltérabilité de sa propre voix.
Le Soleil, Steve Deschênes

Régis Tremblay Le Soleil (Québec) Avec la voix de sa jeunesse, inchangée depuis 50 ans, Claude Gauthier nous revient tel qu'en lui-même l'intemporalité le change, pour nous présenter un album nouveau dans sa continuité. Pour la suite du monde est tissé d'une quinzaine de chansons qui lui ressemblent trait pour trait, mot pour mot, note pour note, même s'il les a composées avec les Vigneault, Lavoie, Charlebois, Moustaki, Calvé, Létourneau... et Lelièvre, par-delà le Grand Silence.
«Combien faut-il de larmes et de rires/ Et de frissons et de passions/ Pour t'écrire une chanson?» se demande Gauthier dans Combien d'amour. Après un demi-siècle de chanson, il garde le trac et l'insécurité du débutant.
Combien faut-il d'espoirs et de doutes pour écrire une chanson en collaboration avec l'un ou l'autre de ces grands noms? Quand il raconte l'histoire de Pour la suite du monde, Claude Gauthier parle surtout des incertitudes qui l'ont tenaillé, de bout en bout. «À chaque matin, je me demandais : ?Est-ce que je suis sur la bonne route ou est-ce que je suis dans le champ??»
Gauthier a eu l'idée de ce disque un beau jour de 2005, en recevant le prix Sylvain-Lelièvre, décerné par la Société des auteurs-compositeurs du Québec. «En voyant mes pairs rassemblés devant moi, je me suis dit que je pourrais leur commander des chansons avec l'argent de mon prix. Je voulais refaire un disque pour me sortir du burn out dans lequel m'avaient plongé 200 représentations de la comédie musicale Don Juan, se souvient-il.
Engranger le souvenir
Pour la suite du monde est avant tout une suite de retrouvailles, puisque Gauthier avait déjà travaillé avec tous ces auteurs-compositeurs. «En 1962, j'avais écrit Partance avec Gilles Vigneault, mais nous n'avions jamais remis ça. En 1962, c'était le temps de la Butte à Mathieu. C'est incroyable comme le temps passe...» C'est ainsi que 45 ans plus tard, le septuagénaire Gauthier met en musique les paroles de Vigneault l'octogénaire : «Je sèmerai des fleurs vivaces dans nos jardins/ Je garderai un peu de place pour le chagrin...» Semer l'avenir, engranger le souvenir : il y a de quoi occuper l'âge grand.
Quant à Pierre Calvé, l'ami de l'époque mythique des boîtes à chansons, il a posé des notes sur les mots de son vieux collègue, dans C'était nous, ce s'ra vous. Gauthier essaie de se rappeler : «Ça fait tellement longtemps que nous avons travaillé ensemble que je ne me souviens pas quand!» L'oubli est le luxe des mémoires trop riches.
Ailleurs sur l'album, Robert Charlebois invente un air tendre pour Mon fils et moi, où Gauthier s'adresse à ses deux fils, mais aussi à tous les fils, y compris ceux de Charlebois. «Je connais bien Robert. Il fallait que le texte l'intéresse mauditement pour qu'il accepte de le mettre en musique! Il est parti pour la Guadeloupe avec mes vers. Et moi, j'attendais dans l'angoisse... Il m'a téléphoné de là-bas pour me dire : ?Tu m'as fait un texte canon!? raconte Gauthier en imitant la voix de son «chum». Quand Charlebois l'a chantée au piano, l'autre lui a lancé : «Il faut que tu la fasses en spectacle! Les jeunes ont besoin de ça, une chanson d'amour d'un père à son fils!»
Autre angoisse dans le cas de Ma prochaine aventure c'est toi, sur un texte inachevé de Sylvain Lelièvre et complété par Claude Gauthier. «En 2006, à Longueuil, j'ai participé à un spectacle en hommage à Lelièvre, en présence de sa femme Monique. Je lui ai demandé si elle n'avait pas un texte inédité de Sylvain... Elle m'a fait parvenir Ma prochaine aventure c'est toi. J'en ai fait une chanson que j'ai expédiée en MP3 à Monique, un vendredi. J'ai passé la fin de semaine à attendre une réponse qui ne venait pas. Je tremblais d'angoisse... Je ne savais pas que Monique était partie pour tout le week-end. Elle m'a téléphoné le lundi pour me dire que ma chanson lui avait fait verser une larme...»
Il y a une belle histoire derrière chacune des 15 chansons de Pour la suite du monde, où apparaissent aussi les signatures de Daniel Lavoie, Georges Moustaki, Pierre Létourneau, Daniel Boucher, Robert Léger, Martine St-Clair et quelques autres. Mais Claude Gauthier aurait aimé travailler de la même manière plusieurs autres auteurs-compositeurs. «Si l'album marche bien, il y aura peut-être un volume 2, avec des gens comme Michel Rivard, Paul Piché, Jean-Pierre Ferland, Clémence Desrochers, Dan Bigras...» C'est la grâce que nous nous souhaitons.
Pour la suite du monde est accompagné d'un DVD de Michel Brault où le fameux réalisateur trace un portrait de Claude Gauthier en neuf esquisses cinématographiques.