Il n’a fallu que 30 minutes de délibérations aux juges de la Cour suprême du Canada pour rendre une décision séance tenante déboutant la Colombie-Britannique. Même en invoquant ses propres compétences en matière de protection de l’environnement, la province ne peut imposer des conditions qui empêcheraient la construction du pipeline Trans Mountain, le transport interprovincial et l’exportation d’hydrocarbures étant une compétence exclusive du gouvernement fédéral.
La Cour suprême du Canada a ainsi confirmé la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique — l’équivalent de notre Cour d’appel — à laquelle le gouvernement provincial avait demandé par un renvoi si la modification de sa loi environnementale adoptée par son Assemblée législative était constitutionnelle. Cette modification visait à imposer des conditions et à exiger un permis pour le transport de pétrole lourd, déclaré matière dangereuse, sur son territoire.
Dans une décision unanime, les juges de la Cour suprême de la Colombie-Britannique avaient souligné que la compétence sur les entreprises interprovinciales revenait au fédéral parce que de telles entreprises, tel un pipeline, ne pouvaient de façon pratique se soumettre à différentes lois et à différents règlements chaque fois qu’elles franchissaient la frontière d’une province. Les juges ont même estimé que la gestion des dommages environnementaux, associés à un pipeline, par exemple, était un élément central de la compétence du gouvernement fédéral et que les effets de la loi de la Colombie-Britannique visaient à contrevenir à cette inaliénable compétence fédérale.
En résumé, les lois environnementales d’une province ne sauraient empêcher la construction d’un pipeline traversant son territoire, si c’est là la volonté du gouvernement fédéral et de son Office national de l’énergie.
Évidemment, ce jugement a d’importantes conséquences pour le gouvernement du Québec, qui jugeait qu’il avait le pouvoir non seulement d’imposer des conditions à des promoteurs d’un projet de pipeline, mais aussi de le bloquer, notamment en l’absence d’acceptabilité sociale, comme le premier ministre François Legault l’a affirmé au sujet du projet Énergie Est de TransCanada.
La procureure générale du Québec est d’ailleurs intervenue dans la cause de Trans Mountain, précisant que, selon elle, « les principes en jeu dans la présente affaire la dépassent et [que] celle-ci pourrait avoir de graves effets sur le partage des compétences en matière environnementale et même au-delà ».
On peut maintenant mieux comprendre l’arrogance de TransCanada et le mépris que le promoteur affichait pour les compétences du Québec en matière environnementale. Il était sans doute convaincu que le maître à bord, c’étaient les autorités fédérales. Par ailleurs, il ne faut pas croire que ce sont les exigences environnementales qui ont forcé l’abandon du projet. C’est plutôt que son plan d’affaires, sur le strict plan économique, ne tenait pas la route. Heureusement, parce que nous savons aujourd’hui que Québec n’aurait pu s’y opposer.
« Maître chez nous », est un leitmotiv fallacieux. Campés dans leur confort et souvent indifférents, les Québécois en général ont la fausse impression qu’en matière d’environnement — et cela s’applique à bien d’autres domaines —, le gouvernement du Québec dispose des pouvoirs pour assurer la protection de son territoire. C’est évidemment une illusion, comme le confirme le dernier jugement de la Cour suprême.
Les gouvernements libéraux et maintenant le gouvernement caquiste, avec ses prétentions autonomistes, ont cultivé ce leurre. Mais un jour ou l’autre, la réalité les rattrape.
Le Canada demeure un État pétrolier, et il est difficile d’imaginer que Justin Trudeau, et encore moins un chef conservateur qui lui succéderait, y changera quelque chose à court ou moyen terme.
Il faut donc espérer qu’un projet d’oléoduc qui traverserait le Québec ne s’avérera pas rentable un jour ou l’autre parce que ses promoteurs sauront, qu’en dépit de sa posture, le gouvernement du Québec, au-delà des vaines tracasseries que peuvent présenter les lois québécoises en matière d’environnement et d’aménagement du territoire, ne pourra pas le bloquer. Comme il ne pourra pas empêcher le gouvernement fédéral de construire une ligne de transport d’électricité pour donner satisfaction à Terre-Neuve-et-Labrador.
Jeudi dernier, le jour même où la Cour suprême rendait son jugement, François Legault rencontrait Jim F. Illich, le président du conseil d’administration d’Énergie Saguenay, ce projet de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel qui repose sur la construction d’un gazoduc traversant le Québec. Décidément, le hasard fait bien les choses pour les vendeurs d’énergies fossiles.