Pierre Curzi attribue son saut en politique à une accumulation d'événements, de signes et de questionnements. Mais d'aussi loin qu'il se souvienne, la politique a toujours fait partie de sa vie.
En près de 40 ans de carrière, Pierre Curzi a joué tous les rôles possibles et imaginables, y compris celui de président de l'Union des artistes, un syndicat doté d'un budget de 7 millions qui veille sur 7000 membres, 4000 stagiaires et 70 employés. Mais rien ne le préparait à jouer son prochain rôle : candidat péquiste dans Borduas et, peut-être, ministre dans un gouvernement Boisclair. Portrait d'un authentique acteur... politique.
Lorsqu'il a annoncé qu'il se présentait comme candidat pour le Parti québécois, Pierre Curzi a dû faire trois douloureux deuils. D'abord, le deuil de son unique soeur et cadette de quatre ans, la belle Louise dont il a toujours été très proche et qui a été emportée par un cancer samedi dernier. Le deuil de l'Union des artistes, où il s'est engagé il y a déjà dix ans à la mort de son ami Robert Gravel et qui, sous sa présidence, est passée du statut de boutique artisanale à celui d'organisme structuré, moderne et efficace. Et finalement, le deuil de sa carrière d'acteur, qui se retrouve déjà prématurément suspendue.
En effet, en prévision des élections, Curzi a été obligé de refuser un beau rôle au théâtre ce printemps et d'annuler sa participation à la tournée de la magnifique pièce Août l'automne prochain.
Ajoutons à ces trois grands deuils un petit dernier: le deuil du personnage de Pierre, l'universitaire jouisseur né dans Le déclin de l'empire américain marié à une blonde explosive dans Les Invasions barbares et qui meurt dans L'âge des ténèbres lors d'une courte scène que Curzi a tournée récemment avec Denys Arcand.
Bref, tous ces deuils vécus en une seule semaine ont épuisé moralement le futur candidat dans Borduas, que j'ai retrouvé lundi au milieu de son bureau inondé de lumière au nouveau siège social de l'UDA, boulevard René-Lévesque.
Ce matin-là, Curzi semblait aussi sonné qu'un boxeur, sinon égaré dans un État voisin du Wisconsin. Non seulement avait-il oublié notre rendez-nous, mais à voir son polar rouge Canada acheté à Banff, il avait aussi oublié les couleurs de son parti.
En le voyant clignoter comme un gros néon rouge, je n'ai pu m'empêcher de lui faire remarquer qu'il avait un drôle d'accoutrement pour un souverainiste. Après avoir suivi mon regard et constaté sa méprise, il a éclaté d'un grand rire adolescent sans s'excuser. Autant dire que cette belle nonchalance, digne d'un homme qui n'a pas encore été contaminé par les calculs politiques, fut une entrée en matière des plus rafraîchissantes. Elle m'a permis de déduire que Pierre Curzi n'est pas encore un politicien. Seulement un citoyen qui a décidé de s'engager et qui, contrairement à ses contemporains désabusés et souvent confits dans un cynisme de bon aloi, croit sincèrement que la politique peut faire une différence. Une grande différence. En même temps, il ne s'agit pas pour lui d'un changement radical: d'aussi loin que Curzi se souvienne, la politique a toujours fait partie de sa vie.
«Avant même de savoir que je voulais être acteur, j'étudiais au Collège Saint-Laurent avec des gens comme Claude Charron, raconte-t-il. Sans doute parce qu'on était les premiers fils d'ouvriers à avoir accès au cours classique, on était très politisés. De toute ma gang de chums de l'époque, je suis d'ailleurs le seul qui s'est dirigé vers les arts. Les autres sont partis à la CSN et la FTQ ou se sont lancés en politique.»
Une suite logique
Né et élevé dans Villeray, Curzi est le cinquième enfant d'Alfredo Curzi, un immigrant italien qui a longtemps été serveur et garçon de café, et d'Yvonne Vernet, une Française issue d'une famille de cuisiniers. Les petits Curzi ont grandi en français dans un logement modeste, mais où il y avait des livres, de la musique et de la bouffe au milieu d'une atmosphère festive où la religion comptait pour si peu qu'on pouvait s'en détacher sans drame.
Curzi est devenu souverainiste au collège, inspiré en cela par René Lévesque. Mais ses convictions s'ancreront pour de bon dans son coeur, son cerveau et son ADN à l'issue d'une tournée pancanadienne des jeunes comédiens du TNM avec feu Robert Gravel.
«C'était dans les années 70 et on a fait le Canada au complet, de Terre-Neuve à Vancouver. On a trouvé ce pays magnifique, mais en même temps, on a compris qu'il n'avait rien à voir avec nous. Mes convictions souverainistes sont nées à ce moment-là et n'ont pas démenti depuis, malgré le refroidissement que j'ai ressenti après le premier référendum. Mais depuis le deuxième, j'y crois plus que jamais.»
Curzi a eu 60 ans l'année dernière et on peut supposer que c'est en franchissant ce cap psychologique important qu'il a décidé de se lancer en politique. Le sexagénaire affirme qu'il n'en est rien. Il attribue son saut en politique à une accumulation d'événements, de signes et de questionnements. Il se revoit devant le micro de radio de Marie-France Bazzo il y a un an, avouant publiquement qu'il cherchait des gens avec qui former une sorte de groupe informel pour réfléchir et s'impliquer. Puis, il se revoit un dimanche avec Marie Tifo, sa compagne, sur le bord du Richelieu, brandissant une pancarte lors d'un manif pour la défense des rivières du Québec.
«On attendait l'arrivée de l'autobus de Jean Charest et je me souviens m'être demandé quelles étaient les limites de l'action militante. Jusqu'où, en tant qu'artistes, pouvait-on s'impliquer en tenant compte de nos intérêts, mais aussi de ceux des autres? Est-ce qu'on pouvait vraiment changer le cours des choses?»
Curzi croit encore à l'action civile et sait pertinemment qu'elle donne des résultats. Mais tôt ou tard, ajoute-t-il, faut qu'il y ait une traduction politique de cette action. Cela veut dire que tôt ou tard, quelqu'un décide et nous on est pris avec cette décision. Tant mieux si c'est une bonne décision mais ça ne l'est pas toujours.
Même s'il n'avait pas le pouvoir d'un ministre, Curzi n'a jamais été à plaindre. Ses 10 ans à l'Union des artistes ont été marqués par de grands changements qui se sont faits presque sans douleur. Et lorsqu'il quittera en décembre, il laissera en héritage une union solide, moderne et mature où le ménage a été fait à tous les niveaux et où les acquis ne sont pas menacés, autant dans le champ de la gestion des droits d'auteurs que dans celui de la rémunération des répétitions au théâtre.
Son bon travail à l'UDA, mais aussi la belle façon dont il a piloté le dossier de la diversité culturelle à l'UNESCO, auraient dû en principe le combler. Sans compter que sa carrière d'acteur se porte plutôt bien et lui permet de gagner sa vie sans doute mieux qu'un député. Mais, de toute évidence, Curzi n'avait pas envie de passer les cinq prochaines années à se mitonner une retraite pépère et dorée au bord de son étang à Saint-Hilaire. Après avoir fait le tour du jardin syndical, le monde politique lui est apparu comme une suite logique des choses.
«Notre génération a abandonné le pouvoir politique et s'est contenté de le critiquer. C'est bien beau critiquer, mais si on est convaincu que ce sont des pas bons qui sont au gouvernement, ça sert à rien de chialer, faut se retrousser les manches et essayer de mieux faire qu'eux. Et qu'on ne vienne surtout pas me dire que la politique, ça sert à rien. La nationalisation de l'électricité a vu le jour grâce à un projet politique. Idem pour la SAAQ, pour le zonage agricole. Ce sont les grands projets politiques qui ont fait le Québec moderne et je ne vois pas pourquoi ça ne continuerait pas.»
Lorsque l'information a coulé que Curzi s'en allait chez André Boisclair, la rumeur populaire l'a immédiatement sacré futur ministre de la Culture. Cette fois, en habile politicien, Curzi a corrigé le tir en expliquant publiquement que ses trop nombreux liens dans le monde culturel n'en faisaient peut-être pas le candidat idéal et que de toute façon, en bout de piste, c'était à son chef de décider. En privé, Curzi ne cache pas que la culture l'intéresse. Comment pourrait-il en être autrement? Mais il sait bien qu'il n'est pas le seul en lice et que des gens comme Daniel Turp (le critique culturel du PQ) ou Louise Beaudoin feraient d'excellents ministres. Mais alors, pourquoi renoncer à une belle carrière d'acteur respecté et bien payé, doublé d'un statut de président et d'ambassadeur culturel invité à voyager partout dans le monde, pour une contrée hostile et inconnue où rien n'est assuré? Parce que le temps presse, que le Québec stagne et que Curzi a envie de se lancer une dernière fois dans de grands travaux.
«Je m'en vais en politique avec l'assurance que si le PQ remporte les prochaines élections, André Boisclair veut constituer une équipe où j'aurai un rôle à jouer, quel qu'il soit. Pour faire une analogie avec le théâtre, disons que s'il est élu, je vais faire partie de sa troupe.»
À quoi ressemblera la pièce, qui en signera la mise en scène et quels personnages y brilleront plus que les autres? Autant de questions dont les réponses échappent à Pierre Curzi, sans pour autant lui enlever le goût de jouer. Peu importe le prix.
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