Penser l’indépendance dans la tourmente

Le défi existentiel : passer de l'idéalisme à la realpolitik

L’idée d’indépendance du Québec ne date pas d’hier. Dans Indépendance. Les conditions du renouveau, l’historien Charles-Philippe Courtois rappelle qu’un certain Henry Mézière, dès 1793, appelle ses compatriotes à emprunter cette voie. Les Patriotes, quelques années plus tard, reprendront ce flambeau, avant d’être écrasés par les forces britanniques. On assiste alors, note Courtois, à une « marginalisation de l’indépendance », liée au « profond traumatisme de l’échec » et accompagnée d’un « nouveau consensus », qui impose l’idée de la survivance en situation minoritaire.

À certains égards, cette situation a des échos dans le Québec actuel. La récente dégelée subie par le Parti québécois (PQ), précédée des échecs référendaires de 1980 et de 1995, illustre elle aussi une marginalisation de l’indépendance.

En introduction à cet ouvrage qu’il dirige, Mathieu Bock-Côté ne prend pas de gants pour faire un état des lieux. « Le mouvement souverainiste est en crise », écrit-il. Pire encore, on assiste, selon lui, à « un épuisement du nationalisme », porteur d’un sentiment d’échec qui « fait remonter à la surface de la vie politique cette forme de haine de soi morbide qui accompagne notre histoire lorsque nous renonçons aux grands idéaux ».

Sociologie

Dans une Nouvelle sociologie de la question nationale, Bock-Côté trace un portrait très sombre de la situation. Une certaine droite populiste chante les vertus d’un Québec bilingue, comme s’il s’agissait de « libérer les Québécois du Québec ». Une certaine gauche multiculturaliste renoue avec « la vieille tentation du messianisme compensatoire, hier catholique et aujourd’hui progressiste, qui voit les Québécois compenser leur impuissance politique par une prétention à incarner un modèle de civilisation d’avant-garde ». Or, avec un demi-État, une telle prétention ne peut être qu’illusoire.

Enfermés dans une sorte de « petite souveraineté », selon la formule du politologue Marc Chevrier, les Québécois se complaisent dans une « indépendance psychologique » : ils refusent la souveraineté du Québec, mais ne participent pas au Canada, ce qui les condamne à l’insignifiance politique. D’une certaine manière, cette situation est le résultat de la « faille originelle » du souverainisme moderne et de sa stratégie du « bon gouvernement », une approche qui a légitimé le cadre fédéral canadien en montrant qu’on pouvait réaliser une partie du programme péquiste sans l’indépendance.

« La situation est manifestement bloquée », écrit Bock-Côté. Pourtant, la souveraineté demeure« une question de survie pour le peuple québécois ». Dans ces conditions, sans s’illusionner sur une victoire prochaine, il importe d’abord de « garder vivante la flamme de l’indépendance ». Ce devoir, explique le sociologue militant, revient principalement au PQ, qui doit, sans attendre, concevoir et défendre « une politique capable d’inscrire les grands enjeux nationaux dans une perspective souverainiste, montrant de quelle manière le cadre canadien sape les intérêts fondamentaux du Québec, qu’ils soient énergétiques, économiques, sociaux ou identitaires ».

Cette politique, de plus, malgré l’échec du projet de charte des valeurs, qui n’est pas « un épisode honteux de l’histoire récente du nationalisme », écrit Bock-Côté, ne doit pas abandonner les enjeux identitaires (langue française, refus du multiculturalisme) et doit, enfin, prendre acte du fait que « le centre de gravité de la vie politique se déplace du centre gauche au centre droit » et s’y adapter. Très contestable, et contesté récemment par l’avocat Paul St-Pierre Plamondon, qui affirme au contraire qu’une majorité de Québécois s’identifient au centre gauche, ce dernier élément de programme suscitera à raison de chauds débats dans les rangs souverainistes.

Alliance

Juste pour retrouver le pouvoir, le PQ aura fort à faire puisque, comme le suggère le juriste Guillaume Rousseau, le Parti libéral du Québec (PLQ) est devenu, depuis 1998, le « parti naturel du pouvoir », notamment parce qu’il peut compter sur l’appui indéfectible des anglophones et des immigrants. Cette situation lui assure une solide longueur d’avance avant même le début d’une campagne électorale.

Rousseau avance donc que seule une alliance entre le PQ et la Coalition avenir Québec (CAQ), fondée sur un programme d’affirmation nationale qui préserverait l’idéal souverainiste comme horizon, peut venir à bout de la domination du PLQ. Le problème, ici encore, est qu’une telle alliance ne peut reposer que sur un ancrage à droite du PQ, un choix porteur de bien des dissensions et qui risque de mener le PQ au naufrage. On voit mal, de plus, comment une telle alliance serait viable, étant donné le caractère résolument antisouverainiste du nouveau nationalisme de la CAQ.

La démographie, enfin, ne favorise pas l’option indépendantiste, comme le montrent les démographes Patrick Sabourin et Guillaume Marois. La cohorte des baby-boomers est la plus souverainiste de toutes et elle s’apprête, à moyen terme, à céder sa place aux suivantes, qui le sont moins. De plus, l’augmentation de la proportion d’immigrants au Québec, nettement moins souverainistes et francophones que les natifs d’ici, annonce un déclin relatif du français et un recul de l’option indépendantiste.

Aussi, concluent Sabourin et Marois, « si rien n’est fait pour redresser le vote des jeunes et gagner le coeur des non-francophones et des immigrés, l’indépendance pourrait devenir inatteignable ».

Cet essai, on l’aura compris, accepte de regarder le désastre national en face, pour le conjurer. Il n’est pas réjouissant, n’a pas de solutions faciles à proposer, mais reste nécessaire.

Guillaume Rousseau, qui participe au collectif, sera en séance de signatures au Salon du livre le samedi 22 novembre.


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