En prenant la plume ce matin, je me suis dit que finalement, j’aurais dû rester couché parce que rien de ce que je vais dire n’a pas été dit… En somme, on a tout dit, déjà. Le sujet est vidé, la coupe est pleine de bonnes intentions et de critiques constructives et moi le no-name, moi le damned canuck, moi l’expatrié du Grand-Nord, je n’ai plus rien à dire qui n’ait jamais été dit.
N’empêche qu’à Chisasibi, que je considère de plus en plus comme un pays différent, je crois bien comprendre ce que c’est que d’être un immigrant. Voilà ce que je suis : un immigrant. Je suis à plus d’un millier de Km de mes parents et amis. Je suis dans une communauté qui ne parle pas ma langue… ( Mais qui s’adresse à moi en Anglais plutôt que dans sa langue comme beaucoup de Québécois le font avec les immigrants) Je suis dans une communauté dont les valeurs sont tout à fait différentes des miennes, qui a une façon tout à fait différente de cuisiner ( qui semble à première vue rebutante ) et même de s’aimer…
Quand je suis arrivé ici, c’est parce que je m’intéressais à ce peuple que j’ai trouvé très accueillant. J’y ai trouvé une ouverture incroyable cachée derrière un voile de timidité et de silence. Je souhaitais plus que tout m’intégrer dans ce village et partager une façon de vivre et un savoir qui m’échappaient complètement. Mais personne n’est venu me voir. Personne n’est venu me souhaiter la bienvenue et me demander d’où je venais. Personne ne m’a adressé la parole. Je ne vous cache pas que j’ai trouvé mes premiers jours très longs. Heureusement, j’ai été invité par des blancs dans une épluchette de blé d’inde. J’y ai rencontré plein de gens intéressants, arrivés sur la réserve depuis 1,2,4,10,20ans… Ce que j’ai appris ce soir là, je présume que tout immigrant finit par l’apprendre de cette façon, c’est que c’est à moi de faire les premiers pas. ‘’ T’es pas le nombril du monde, Fred’’ ‘’ Si tu veux qu’ils ( les Cris) s’intéressent à toi, c’est à toi de montrer que tu t’intéresse à eux!’’
Ainsi, recevant de la communauté blanche de Chisasibi ( et ici, le terme blanc s’applique à tous ceux qui ne sont pas des Natives y compris Fodé, les deux Mohammed, la belle Boutina et autres doubles immigrants…) tous ces judicieux conseils et renseignements sur la culture Crie, j’étais maintenant mieux préparé à établir le contact avec ma société d’accueil…
‘’ Ce sont des gens qui aiment rire’’
Oin… Je suis francophone. Francophone ici, c’est comme être allophone chez nous… Difficile de faire rire quand on ne possède pas la langue. Je ne parle ni le Cri ni l’Anglais, les deux langues officielles de ce pays. Aussi, j’ai pris l’habitude d’aller faire mes courses accompagné d’un traducteur. Je n’en ai pas eu besoin longtemps. Les Cris s’adressant à moi toujours en anglais, je suis devenu parfaitement bilingue en 2 mois… Mais le Cris pour moi, c’est encore du Chinois. Djinscumitin! ( Ça veut dire ‘’ merci’’ en Cris du Nord-Est.)
J’ouvre la porte à une vieille dame au bureau de poste. ‘’Djinscumitin’’… C’est le premier mot en Cri que l’on m’a adressé. J’ai répondu : ‘’ It’s 2$ Ladys Night!’’ La vieille a éclaté de rire.
La conversation s’est engagée comme ça. Qui j’étais, ce que je faisais ici, si j’avais une femme et des enfants etc.
À partir du moment où j’ai compris que c’était à moi d’aller vers les gens, j’ai pu tisser des amitiés et faire des rencontres très intéressantes. Je dois dire que certaines choses me semblaient franchement écoeurantes au début. Je passe devant un tipi qui crache une grosse fumée blanche. Une main sort de la porte et m’invite à entrer. ( C’est la vieille de tantôt…) Elle me tend une cuisse de lièvre sur une assiette de carton. Le reste du lièvre était littéralement crucifié sur une branche près du feu. Ne voulant pas blesser la dame, je n’osai pas refuser le repas qui me causait des hauts le cœur. Curieusement, j’ai trouvé une viande savoureuse et tendre, et c’est depuis ce temps que je fais cuire mes lièvres de cette façon, qui rend tout à fait justice au fruit de ma chasse…
Ici, le temps passe différemment. Plus lentement. Ça s’appelle le Cree time. C’est une façon de mesurer le temps. 9h30 en heure blanche, ça veut dire de 9h30 à 9h30 le lendemain ou la semaine prochaine en heure crie. Y a rien qui presse icitte. S’il y a 10 voitures qui arrivent sur la route, elles vont toutes s'arrêter si je fais mine de vouloir traverser la route. D’ailleurs rouler à plus de 40Km/h dans le village, c’est rouler à tombeau ouvert. C’est comme faire du 120 sur Ste-Catherine… C’est un aspect de cette société qui me plait bien.
Je me rends compte que depuis mon arrivée ici, j’ai changé profondément. Peut-être à jamais. Mon identité à changé. Mes convictions politiques se sont modifiées. Mes valeurs fondamentales se sont enrichies d’une nouvelle façon de les considérer.
Ici il n’y a pas d’accommodement raisonnable. Y a des individus qui arrivent pour 2 ans et qui repartent. Y a des gens qui choisissent de rester. On peut faire ce qu’on veut en autant que ça ne dérange pas les autres. Personne ne dit rien du voile islamique de l’infirmière. Si on choisit de rester ici, on n’a pas le choix de prendre le pli de la société. Le Cree time, les tournois de hockey jusqu’à 5h du matin, 2 semaines de vacances en mai pour la chasse à l’oie, la cérémonie des premiers pas pour mon petit garçon qui commencera à marcher l’an prochain, la façon de plumer les perdrix et l’offrande de tabac pour remercier l’animal abattu. Il y a quelque chose de magique dans ce partage. La grande question? Qu’est-ce que j’offre en retour à cette société d’accueil? Je suis enseignant. J’apprends à lire aux enfants. J’espère qu’un jour, parmi mes élèves, qui auront aussi appris leur histoire et celle du monde, qu’il y aura des avocats, des médecins, des ingénieurs et des administrateurs prêts à protéger leurs droits et développer leur coin de pays à leur manière. Je ne suis pas venu en missionnaire par ici. Je suis venu travailler et vivre ici. J’en avais plus qu’assez du sud et de cette réforme à la con. Me voilà servi. Mais il y a du pain sur la planche en …!
En passant dans la forêt, j’ai découvert que le sol était recouvert de champignons comestibles comme le bolet et le matsutaké. Les Cris ne mangent pas ces champignons qui poussent chez eux. Un vieux m’a pourtant raconté que ses grands-parents les utilisaient à des fins rituelles mais que ce savoir s’était perdu avec l’arrivée du clergé chrétien. Il n’a pas fallu longtemps pour que leur curiosité se réveille à ce sujet. D’ici peu, on fera griller des champignons avec le lièvre dans les tipis. Ce sera la trace culturelle de mon passage dans ce pays…
Je pense que mon expérience résume assez bien ce que représente l’immigration. C’est du donnant-donnant. L’immigrant qui arrive quelque part doit s’attendre à prendre un certain nombre de traits culturels de la majorité. Non seulement s’y attendre, mais le souhaiter. C’est à lui de tendre la main pour être hissé à bord du train. Peut-être apprendra-t-il quelques nouvelles chansons aux passagers qui l’auront fait monter. Peut-être ses enfants ou ses petits enfants auront-ils la peau de couleur différente de la sienne, mais il subsistera toujours, au fond d’eux-mêmes, une part de celui-ci, identitaire, culturelle, génétique qui leur permettra à leur tour, de tisser de nouveaux liens, d’apprendre de nouvelles choses et d’influencer la société qui les aura vu naître.
Ça s’appelle de la convergence. C’est pas compliqué. J’arrive, je reconnais que la société qui m’accueille est différente. Je la regarde, je l’embrasse, je l’aime et j’accepte certaines choses qui me dérangent. Ce n’est pas à elle de changer pour moi. J’apprends plein de choses nouvelles. Certaines valeurs me charment. En retour, je travaille dans cette société, j’y apporte certaines de mes coutumes, certains traits culturels que mes nouveaux amis trouvent intéressants et qu’ils adoptent. Je ne serai plus jamais le même et de facto, la société qui m’accueille ne sera plus jamais la même non plus.
Pas besoin d’une commission pour comprendre ça. Ni même pour comprendre que le multiculturalisme canadien et le communautarisme ne mènent pas à l’intégration ni à l’établissement d’un tissu social harmonieux. Cependant, le réflexe de fréquenter les gens de même culture au sein d’une société d’accueil est tout à fait normal et compréhensible. En termes de convergence, c’est même souhaitable puisque ces gens, ici depuis plus longtemps, peuvent donner au nouvel arrivant un sérieux coup de main à son intégration en le renseignant sur les coutumes, les valeurs et les institutions locales; comme la ‘’communauté blanche’’ de Chisasibi a pu le faire pour moi. De là a ériger les communautés culturelles comme autant de groupes ‘’d’ayant droit’’, il y a une marge. Le devoir d’accommodement raisonnable, à la base, est une bibitte inventée par les tribunaux canadians en application de la constitution canadienne. Ce n’est pas un processus naturel mais bien plus qu’artificiel qui n’a rien à voir avec les mécanismes sociaux d’établissement de normes et de régulation des rapports entre les individus. La société n’a pas besoin des tribunaux pour s’adapter aux changements culturels que l’arrivée de nouveaux immigrants apporte. Cela doit se faire naturellement, au gré des rencontres, des partages et des échanges. Le tissu social n’a rien à gagner au fait d’encourager la cristallisation de plusieurs identités culturelles distinctes sur un même territoire. C’est une question de cohésion.
En terminant, j’aimerais sincèrement emmerder Pierre-Elliott Trudeau pour nous avoir légué un multiculturalisme détestable, inutile et contre productif. Ses mauvaises intentions et son mépris nous reviennent chaque jour en pleine face. De le diable ait son âme et qu’il la garde à jamais!
Moi, je retourne à la pêche au Doré. Je ne serai donc pas des vôtres pour fêter la fête Nationale. ( Mais soyez certains qu'il y aura au moins un drapeau du Québec flottant sur la réserve de Chisasibi.)
Fred
Pas besoin d’une commission pour comprendre ça
Mais soyez certains qu'il y aura au moins un drapeau du Québec flottant sur la réserve de Chisasibi
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