Paroles de Pilger

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« Diviser la Chine et la Russie dans le but d'affaiblir les deux est un jeu américain vénérable. Henry Kissinger l'a joué. »

29 novembre 2019 – Commencez par aller lire la fiche Wikipédia de John Pilger (80 ans) et vous saurez à peu près tout ce qu’il faut savoir sur l’extraordinaire et terriblement impudent simulacre, – “Simulacre pour les Nuls”, si vous voulez, – monté contre ce journaliste par le Système, avec une considérable rubrique de Critiques de son travail (509 mots) et une très modeste Biographie (49 mots) et non moins modeste Carrière (151 mots).


(“151 mots” dans Carrière dont 66 consacrés à cet étonnant résumé de la version évidemment faussaire que l’infâme Pilger donne de l’infâme déformation de la vertueuse révolution de Maidan : « En outre, John Pilger possède son propre site web où il communique ses idées et ses craintes. Selon Conspiracy Watch, il est considéré comme controversé, n'hésitant pas à accuser l'administration américaine de financer un coup d'État en Ukraine lors de la crise ukrainienne débutée en 2013 : selon lui, “l'administration Obama a dépensé 5 milliards de dollars pour un coup d'État contre le gouvernement élu” »... Une description à couper le souffle de cette affaire allant de  Nuland à  Friedman pour les détails, – ici, dans ce Wiki-turbo balancé sur Pilger, dénoncés comme autant d’infamies...)


Tout ce qui vient du Système ou approchant à propos de Pilger relève de ce “monde nouveau” qui m’est totalement étranger et représente la fabrication brutale des intoxications de l’esprit à l’aide des outils de la subversion et de l’inversion, dans les fanfares-bouffe de la contre-civilisation. Il me paraît inutile de perdre son temps à répondre point par point à toutes les infamies qui sont dévidées à son propos : leurs propres excès, leur extravagance même font l’affaire, la surpuissance du simulacre assurant très vite son autodestruction.  


Tout cela n’étant que pour vous mettre en bouche à propos de ce qui va suivre, qui est un hommage de chroniqueur à chroniqueur, – je préfère ce mot à celui puant du “journaliste” d’aujourd’hui, – hommage de ma part venu du temps où le mot “journaliste” avait encore un sens honorable. Je m’attache à ce point parce que que je suis particulièrement sensible à ce que Pilger dit de l’évolution du journalisme, puisqu’après tout l’ayant moi-même vécue, – disons entre la période acceptable et convenablme de la Guerre froide (pour moi à partir de 1967) jusqu’à la chute du Mur et de l’URSS (1989-1991) ; puis suivant avec l’intermède de la formidable et monstrueuse transmutation de ce métier et sa chute dans le Mordor des années 1990 jusqu’à l’abominable guerre du Kosovo (1999) où il sombra corps et bien ; enfin 9/11 et la naissance du “nouveau journalisme” dans le “monde nouveau”. J’ai personnellement la même sensation que celle qu’exprime Pilger dans ses réponses sur ce sujet, lorsqu’il parle de cette époque où le journaliste faisait encore un métier honorable, comparée aux sombres jours d’aujourd’hui, où il est devenu l’infamie même, où le vrai journaliste a dû entrer en dissidence comme il y eut les samizdat avant lui, du temps de l’URSS qui n’était qu’avant-goût de ce qui nous attendait.


... Enfin, venons-en au principal. Il s’agit de l’interview de John Pilger, disons, à quelques semaines près, pour son 80èmeanniversaire, lui qui naquit le 9 octobre 1939 à Sidney en Australie. L’interview est présenté par Finian Cunningham le 27 novembre 2019, sur Strategic-Culture.org, sous le titre « L’exceptionnalisme américain conduit le monde à la guerre ».


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Interview de John Pilger


Question : Dans votre documentaire  The Coming War on China(2016), vous estimez que les États-Unis sont sur la voie d'une collision stratégique avec la Chine pour contrôler l'Asie-Pacifique. Voyez-vous encore la menace d'une guerre entre ces deux puissances ?


John Pilger : La menace de guerre n'est peut-être pas immédiate, mais nous savons ou devrions savoir que les événements peuvent changer rapidement : une chaîne d'incidents et de faux pas peut déclencher une guerre qui peut se propager de façon imprévisible. Les calculs ne sont pas contestés : un “ennemi” a à peine 12 minutes pour décider s'il ordonne une riposte nucléaire et où.


Question : Récemment, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a accusé la Chine d'être “vraiment hostile aux intérêts américains”. Qu'est-ce qui, à votre avis, motive les inquiétudes des États-Unis au sujet de la Chine ?


John Pilger : Le Département d'État a déclaré : ”Chercher un pouvoir moins que prépondérant serait opter pour la défaite.” À la racine d'une grande partie de l'insécurité de l'humanité se trouve, de façon remarquable, la croyance en soi et l'illusion de soi d'une nation : les États-Unis. La notion que l'Amérique se fait d'elle-même est souvent difficile à comprendre pour le reste d'entre nous. Depuis l'époque du président Teddy Roosevelt, la "mission sacrée" a été de dominer l'humanité et ses ressources vitales, si ce n'est par l'intimidation et la corruption, alors par la violence. Dans les années 1940, des " intellectuels de guerre " américains, comme le diplomate et historien George F Kennan, ont décrit la nécessité d'une domination américaine de la " Grande Région ", qui est la plus grande partie du monde, notamment l'Eurasie et surtout la Chine. Les non-Américains devaient être recomposés à “notre image”, écrit Kennan ; l'Amérique était l'exemple, le modèle. Hollywood a diffusé cette conception avec une fidélité frappante.


En 1945, cette vision, ou manie si l’on préfère, a subi un changement moral avec la défaite de l'Allemagne nazie. Aujourd'hui, beaucoup d'Américains croient que leur pays a gagné la Seconde Guerre mondiale et qu'ils sont les êtres humains “exceptionnels”. Cette mythologie (qui rappelle la propagande nazie) a longtemps eu une emprise évangélique aux États-Unis ; elle est le pilier central de la nécessité de dominer, ce qui exige ennemis et peur. La longue histoire du racisme américain à l'égard de l'Asie et l'humiliation historique du peuple chinois font de la Chine l’ennemi parfait pour tenir le rôle actuellement.


J'ajouterai que l’“exceptionnalisme” n'est pas seulement embrassé par la droite américaine. Bien qu'ils ne l'admettent pas, beaucoup de libéraux y croient, de même que ceux qui se décrivent comme “de gauche”. C’est le fruit de l'idéologie la plus rapace de la terre : L'américanisme. Le fait que ce mot soit rarement prononcé fait partie de son pouvoir.


Question : Pensez-vous que c'est une étrange anomalie que l'administration Trump ait adopté une politique agressive à l'égard de la Chine, alors que ce président américain semble chercher des relations plus amicales avec la Russie ?


John Pilger : Diviser la Chine et la Russie dans le but d'affaiblir les deux est un jeu américain vénérable. Henry Kissinger l'a joué. Quant à Trump, il est impossible de savoir ce qu'il en pense. Indépendamment de ses ouvertures à Poutine, les États-Unis ont agressivement subverti l'Ukraine et militarisé la frontière occidentale de la Russie, constituant une menace plus immédiate pour la Russie qu’elle ne l’est pour la Chine.


Question : Pensez-vous que le processus de destitution en cours contre Trump équivaut à un coup d’État du fait de l’“État profond” pour se débarrasser de lui à cause de sa position relativement bienveillante envers la Russie ?


John Pilger : C'est une théorie ; je n'en suis pas si sûr. L'élection de Trump en 2016 a perturbé un système mafieux d’arrangements tribaux que les démocrates dominent pour l’instant. Hillary Clinton était l'élue ; comment a-t-on pu oser se saisir son trône ?! Beaucoup de libéraux américains refusent de voir leur héroïne corrompue comme un porte-drapeau de Wall Street, une belliciste et l'emblème d’une “politique LGTBQ” qu’elle a annexée. Clinton est l'incarnation d'un système vénal, Trump en est la caricature.


Question : Vous avez travaillé pendant plus de cinq décennies comme reporteur de guerre et réalisateur de documentaires au Vietnam, ailleurs en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Comment voyez-vous les tensions internationales actuelles entre les États-Unis, la Chine et la Russie ? Pensez-vous que le danger de guerre est plus grand aujourd'hui qu'autrefois ?


John Pilger : En 1962, nous avons peut-être tous été sauvés par le refus d'un officier de la marine soviétique, Vasili Arkhipov, de lancer une torpille nucléaire sur des navires américains pendant la crise des missiles de Cuba. Sommes-nous en plus grand danger aujourd'hui ? Pendant la guerre froide, il y avait des lignes que l'autre camp n'osait pas franchir. Il y a peu ou pas de lignes à l'heure actuelle ; les États-Unis entourent la Chine de 400 bases militaires, ils font naviguer leurs navires à faible tirant d'eau dans les eaux chinoises et font voler leurs drones dans l'espace aérien chinois. Les forces de l'OTAN dirigées par les Américains se massent sur la même frontière russe que celle que les nazis ont franchie pour l’opération Barbarossa ; le président russe est insulté de façon routinière. Il n'y a aucune retenue et aucune des diplomaties qui ont gardé à la bonne température l'ancienne guerre froide. En Occident, nous avons acquiescé en tant que spectateurs dans nos propres pays, préférant détourner le regard (ou regarder nos téléphones intelligents) plutôt que de nous libérer du post-modernisme qui nous piège avec ses distractions spécieuses d'"identité".


Question : Vous avez beaucoup voyagé aux États-Unis pendant la guerre froide. Vous avez été témoin de l'assassinat du candidat présidentiel Robert Kennedy en 1968. Il semble que l'obsession américaine de la guerre froide pour le “communisme en tant que mal” ait été remplacée par une russophobie tout aussi intense envers la Russie moderne. Voyez-vous une continuation de la phobie des années de la guerre froide jusqu'à aujourd'hui ? Qu'est-ce qui explique cet état d'esprit ?


John Pilger : Les Russes refusent de s'incliner devant l'Amérique, et c'est intolérable. Ils jouent un rôle indépendant, majoritairement positif au Moyen-Orient, l'antithèse des subversions violentes de l'Amérique, et c'est insupportable. Comme les Chinois, ils ont forgé des alliances pacifiques et fructueuses avec des gens du monde entier, ce qui est inacceptable pour le parrain américain. La diffamation constante de tout ce qui est russe est un symptôme de déclin et de panique, comme si les États-Unis avaient quitté le XXIe siècle pour le XIXe siècle, obsédés par une vision propriétaire du monde. Dans les circonstances, la phobie que vous décrivez n'est guère surprenante.


Question : Comment le journalisme d'information, en particulier dans les États occidentaux, a-t-il changé au cours de votre carrière ? Vous avez gagné de nombreux prix pour votre écriture et votre cinéma, mais aujourd'hui, on lit rarement vos articles publiés dans les médias grand public, même si vous travaillez toujours activement en tant que journaliste selon votre propre  site web ?


John Pilger : Le journalisme n’était pas un journalisme acquis au Corporate power quand j'ai commencé. La plupart des journaux britanniques reflétaient fidèlement les intérêts de ce que l'on appelait l'establishment, mais ils pouvaient aussi être idiosyncrasiques. Quand je suis arrivé à Fleet Street à Londres au début des années 1960, alors connue comme “la Mecque des journaux”, les temps étaient optimistes et même les journaux les plus à droite toléraient, voire encourageaient les francs-tireurs, qui sont souvent les meilleurs journalistes. Le Daily Mirror, qui était alors le quotidien au plus fort tirage dans le monde à part le People's Daily, avait été le journal des soldats pendant la Seconde Guerre mondiale et était devenu, pour des millions de Britanniques, leur journal. Pour ceux d'entre nous qui étaient au Mirror, c’était presque l’idéal d'être les agents et les défenseurs du peuple, et non du pouvoir.


Aujourd'hui, les vrais francs-tireurs sont redondants dans les médias grand public. Les relations publiques du Corporate Power sont la force dominante du journalisme moderne. Regardez la façon dont les nouvelles sont écrites : presque rien ne répond à la juste réalité. J'ai écrit pendant de nombreuses années pour le Guardian ; mon dernier article date d'il y a cinq ans, après quoi j'ai reçu un appel téléphonique. J'ai été liquidé, ainsi que d'autres écrivains indépendants. Le Guardian promeut maintenant la fiction sur la Russie d’une façon obsessionnelle, les intérêts des services de renseignements britanniques, d’Israël, du Parti démocrate américain, les narrative de la théorie des genres si chère aux bourgeois et une vision très satisfaite de lui-même. La chasse aux sorcières du journal contre Julian Assange, – dans le cadre d'une campagne que le Rapporteur de l'ONU sur la torture qualifie de “gangstérisme”, – comprend la fabrication d'un type de presse jusqu’alors pratiqué par le groupe Murdoch, de la droite ; certes, la cruauté du Guardian envers Assange est certainement une insulte aux valeurs libérales qu'il prétend défendre.


Question : Vous avez été un fervent partisan de Julian Assange, le rédacteur en chef fondateur de WikiLeaks, qui est actuellement emprisonné en Grande-Bretagne dans l'attente d'un procès pour extradition vers les États-Unis l'année prochaine pour espionnage. Qu'est-ce qui se cache derrière l'incarcération d'Assange ?


John Pilger : Julian Assange est ce que les journalistes devraient être et sont rarement : c'est un infatigable et intrépide révélateur de la vérité. Il a exposé, à grande échelle, la vie secrète et criminelle de la puissance régnante : de “nos” gouvernements, leur mensonge et la violence en notre nom. Il y a dix ans, WikiLeaks a divulgué un document du ministère britannique de la Défense qui décrivait le journalisme d'investigation comme la plus grande menace contre pouvoir secret du système. Les journalistes d'investigation sont classés plus haut sur l'échelle des menaces que les “espions russes” et les “terroristes”. Assange et WikiLeaks peuvent revendiquer ces lauriers. Si les Américains viennent le prendre et le jettent dans un trou infernal, ils viendront pour les autres, y compris les journalistes qui font simplement leur travail. Et ils viendront aussi pour leurs rédacteurs et leurs éditeurs.


Question : Vous faites remarquer qu'Assange fait honte aux grands médias occidentaux parce que Wikileaks a publié des informations accablantes exposant les crimes de guerre énormes commis par les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN en Irak, en Afghanistan et ailleurs, alors que les grands médias ignoraient ces crimes ou leur donnaient une couverture relativement faible. Cela explique-t-il le silence de ces médias sur le sort d'Assange ?


John Pilger : Il y a enfin une prise de conscience croissante que l'injustice flagrante contre Assange est susceptible d'arriver à d'autres. La récente  communication de la National Union of Journalists de Grande-Bretagne est un signe de changement. Le silence doit être rompu si l'on veut que les journalistes retrouvent leur honneur.


Question : Vous avez récemment visité Assange, dans la prison de haute sécurité de Belmarsh, en Grande-Bretagne, où il est détenu en isolement complet. Comment décririez-vous son état physique et mental ? Vous dites qu'il fait l’objet d'un procès qui est une parodie de type stalinien. Ses mauvais traitements sont-ils comparables à ce que les médias occidentaux condamneraient comme de la persécution sous la dictature ?


John Pilger : La dernière comparution de Julian au tribunal le 21 octobre a été effectivement contrôlée par quatre Américains de l'ambassade des États-Unis qui se sont assis derrière le procureur et lui ont transmis leurs instructions écrites à la main. La juge a regardé cet outrage et a permis qu'il se poursuive. En même temps, elle traitait les avocats de Julian avec mépris. Quand Julian, qui est malade, a eu du mal à prononcer son nom, elle s’est mise à ricaner. La différence par rapport aux procès staliniens de la Guerre froide, c'est qu’il n’a pas été retransmis par la télévision d’Etat ; la BBC n’a rien passé.


Question : Avec l'arrestation de Julian Assange et d'autres journalistes indépendants comme Max Blumenthal aux États-Unis qui ont dénoncé les crimes de changement de régime de Washington au Venezuela, et compte tenu du silence des médias occidentaux, pensez-vous qu'il soit vraiment possible que les États-Unis évoluent vers le fascisme d'Etat policier ?


John Pilger : Certains diraient que cela est d’ores et déjà le cas.