Malgré l’absence d’entente avec Québec, le gouvernement fédéral a commencé à dépenser directement les fonds de la Stratégie nationale sur le logement sur le territoire, a pu constater Le Devoir. Une situation qui dérange le gouvernement Legault.
Ces derniers mois, le ministre fédéral du Développement social, Jean-Yves Duclos, a fait des annonces un peu partout au Québec en matière d’habitation. Le 26 juin, il annonçait à Québec un prêt de 750 000 $ visant la construction de deux immeubles de logements abordables. Le 17 avril, à Montréal, il accordait un financement de 3 millions de dollars à une nouvelle résidence étudiante de 160 places à l’Université Concordia. Et le 15 mars, il s’est rendu à Rivière-Rouge dans les Laurentides pour annoncer 3,8 millions de dollars d’investissements dans des logements destinés aux aînés.
Tous ces projets ont été financés via les fonds de la Stratégie nationale sur le logement lancée par le gouvernement Trudeau il y a deux ans. Or, comme le rapportait Le Devoir mercredi, Québec et Ottawa ne se sont pas encore entendus sur la façon dont ces fonds seront dépensés au Québec.
Au gouvernement de la CAQ, on n’apprécie guère ces annonces. « C’est sûr qu’on est préoccupés à chaque fois que le fédéral annonce des sommes dans nos champs de compétence » a mentionné mercredi au Devoir l’attachée de presse de la ministre des Relations canadiennes, Sonia LeBel, Nicky Cayer. « Dans le cas du ministre Duclos, on est surtout préoccupés parce qu’on négocie pour en arriver à une entente asymétrique qui vise à respecter le mieux possible nos champs de compétences ».
Invité à expliquer cet apparent paradoxe, le ministre Duclos s’est défendu d’avoir empiété sur les compétences du Québec. « Notre gouvernement a toujours misé sur un fédéralisme ouvert, basé sur la collaboration entre les provinces et le gouvernement fédéral », a-t-il répondu par écrit.
Avec la Stratégie nationale sur le logement, ajoute-t-il, le gouvernement Trudeau « réaffirme [son] engagement envers les familles et les citoyens les plus vulnérables. »
Une aide bienvenue sur le terrain
Lancée en 2017, cette Stratégie prévoit des investissements de 55 milliards $ sur dix ans en logement abordable, mais aussi dans la lutte contre l’itinérance. Seuls la Nouvelle-Écosse et le Québec n’ont pas encore conclu d’ententes avec Ottawa à ce sujet.
Pour le Québec, des sommes importantes sont en jeu mais lesquelles ? L’information n’a pas été rendue publique, le montant fait justement l’objet de négociations, explique-t-on du côté de Québec comme d’Ottawa.
Questionnée sur les négociations mercredi, la ministre québécoise responsable de l’Habitation, Andrée Laforest, a indiqué que les échanges se poursuivaient. Une rencontre entre les sociétés d’État qui gèrent les programmes en logement à Québec et à Ottawa doit d’ailleurs avoir lieu ce jeudi, a-t-elle signalé en parlant de la Société d’habitation du Québec (SHQ) et la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL).
« On va attendre le dénouement de cette rencontre-là, a-t-elle dit. C’est certain que nous, ce qu’on veut, c’est avoir la compétence provinciale. […] On est vraiment bien placé pour savoir où on a besoin d’unités de logement, où on doit construire, dans quelles régions. »
Par contre, les groupes qui réalisent les projets en logement social sont bien contents de pouvoir compter sur les nouveaux fonds du fédéral. « C’est une bonification qui nous a donné un peu d’air pour réaliser des projets qui n’auraient pas été viables autrement », fait valoir Éric Cimon, de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec (AGRTQ).
Les groupes de ressources techniques sont des organismes à but non lucratif qui réalisent des projets de logements sociaux pour le compte d’autres organismes qui n’ont pas l’expertise pour le faire.
Les maires impatients
Pendant ce temps, les municipalités craignent que l’absence d’entente ne finisse par les priver d’opportunités de développement de nouveaux logements sociaux. Le 10 juin dernier, le maire de Gatineau Maxime Pedneault-Jobin a écrit au ministre Duclos au nom du caucus des grandes villes de l’Union des municipalités du Québec : « Nos membres attendent impatiemment la signature d’une entente bilatérale avec le Québec qui leur permettra d’offrir du logement décent et de lutter contre la pauvreté et l’itinérance », a-t-il écrit.
Dans sa lettre, le maire de Gatineau signale aussi que certains volets de la Stratégie nationale viennent bientôt à échéance (en avril 2020) sans que le Québec ait eu sa part, notamment dans le cadre de l’Initiative fédérale de logement communautaire (IFLC). « En effet, lorsque l’on considère les différents délais administratifs ainsi que la période électorale qui approche, dit-il, il s’avère primordial de définir la suite de l’IFLC dès maintenant et ainsi s’assurer que les sommes prévues soutiendront adéquatement les familles canadiennes ayant besoin de cette aide. »
La Stratégie nationale sur le logement de Justin Trudeau marque un changement important pour le gouvernement fédéral, qui avait délaissé le domaine du logement social en 1996, transférant toutes les responsabilités en ce domaine au Québec. C’est à la suite de cela que le gouvernement du Québec avait développé ses propres programmes, dont AccèsLogis.
Une version précédente de cet article, qui indiquait erronément que Jean-Louis Duclos était le ministre fédéral du Développement social, a été corrigée.