Les dirigeants de l’Otan appréhendent leur sommet avec Donald Trump, mercredi et jeudi à Bruxelles, car ils s’attendent à être mis sous pression, sinon rudoyés, par un président américain vindicatif, exigeant le partage du fardeau financier, au risque d’affaiblir la crédibilité de l’Alliance.
Les Européens craignent même que M. Trump ne cherche à les diviser, par de possibles concessions à la Russie juste avant sa rencontre historique avec Vladimir Poutine le 16 juillet à Helsinki, selon plusieurs analystes.
« Nous avons préparé au mieux le sommet qui chacun sait sera sous tensions et nous savons combien elles sont fortes », a déclaré à l’AFP la ministre française des Armées, Florence Parly, lors d’une réunion ministérielle de l’Alliance début juin.
« Je pense que le président des Etats-Unis mettra une très forte pression sur les Alliés, en particulier européens, pour que ceux-ci paient le fardeau que les Etats-Unis, selon lui, assument », a expliqué Mme Parly.
Fin juin, M. Trump a adressé un courrier comminatoire à neuf membres de l’Otan, dont l’Allemagne, le Canada et la Norvège, pour les sommer de respecter leur engagement de porter leurs dépenses militaires à 2% de leur PIB en 2024.
Le partage des dépenses sera un des principaux points du sommet, a confirmé le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, dont le pays, la Norvège, est au nombre des mauvais élèves fustigés par Washington.
« Un sommet pénible »
« Ce sommet va être pénible », prédit un diplomate européen sous couvert de l’anonymat. « Sa réussite dépendra de l’humeur de Donald Trump », précise un responsable de l’Alliance.
« Avec la présidence Trump, une forme d’incertitude profonde saisit l’ensemble des acteurs européens », souligne l’eurodéputé français Arnaud Danjean, spécialiste des questions de défense.
« Il ne s’agit pas seulement de doutes sur la fiabilité des engagements américains au sein de l’Alliance, mais également des orientations d’une politique étrangère américaine, erratique, pouvant, par isolationnisme comme par aventurisme, heurter plus ou moins directement les intérêts de sécurité européens », analyse-t-il.
En outre, pour Pierre Vimont, ancien numéro 2 de la diplomatie européenne, la première rencontre du président américain avec son homologue russe, quelques jours plus tard, est « beaucoup plus importante pour lui que le sommet de l’Otan ».
« Il va vouloir obtenir quelque chose de sa rencontre avec le président russe, une percée sur le dossier ukrainien, bloqué malgré les efforts déployés par la France et l’Allemagne », estime le diplomate français, chercheur associé au centre de réflexion Carnegie Europe.
En restant récemment évasif sur la question de la Crimée, annexée par la Russie, Donald Trump « a envoyé un message à Poutine », relève Thomas Carothers, vice-président de la Fondation Carnegie.
« L’objectif de Poutine est la division entre les Etats-Unis et les Européens et les divisions entre les Européens. Il va se délecter pendant le sommet de l’Otan », pronostique cet expert américain.
Hantise de la division
L’étalage des divisions est la hantise de Jens Stoltenberg. Le chef de l’Otan ne peut nier les sérieuses divergences opposant les Etats-Unis aux autres membres de l’Alliance. Mais il veut croire qu’elles seront tues pendant le sommet.
Pourtant, l’imprévisibilité du président américain alimente toutes les hypothèses.
« Il pourrait faire annuler l’exercice +Trident Juncture+ prévu à l’automne en Norvège et annoncé comme le plus important jamais réalisé par l’Otan depuis la fin de la Guerre froide au motif que cela pourrait être considéré comme une menace par la Russie et que cela va coûter très cher aux contribuables américains », raisonne ainsi Ian Bond, expert de la Russie du think tank Centre for European Reform (CER).
Au-delà, les doutes entretenus par Donald Trump sur sa volonté réelle de faire intervenir automatiquement les Etats-Unis en cas d’attaque contre un des Alliés, comme le stipule l’article 5 du traité de l’Otan, ou sur un redéploiement des troupes américaines stationnées en Allemagne, poussent désormais certains Européens à accélérer la cadence pour se rendre autonomes.
« L’Europe de la Défense est une construction nécessaire dans ce contexte », soutient Florence Parly.
La France a enrôlé huit membre de l’Union européenne, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni, dans un Groupe européen d’intervention capable de mener rapidement une opération militaire, une évacuation dans un pays en guerre ou d’apporter une assistance en cas de catastrophe.
« Ces efforts sont complémentaires à ceux menés au sein de l’Otan », assure la ministre française.
Mais ni le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo ni le ministre de la défense Jim Mattis ne semblent convaincus.
Donald Trump dira sûrement son sentiment lors de la signature à Bruxelles d’une nouvelle déclaration commune sur la coopération UE-Otan.