« Que diable allaient-ils faire dans cette galère ? », aurait dit Molière. Car la guerre en Ukraine ne leur suffit pas. Après la Russie, ce sera donc la Chine. Les Européens prétendent ne pas vouloir déclencher de Troisième Guerre mondiale, ils se laissent pourtant entraîner par les États-Unis dans ce qui y ressemble de plus en plus.
Lors du dernier sommet de l’OTAN, à Madrid, les 29 et 30 juin derniers, les membres de l’Alliance ont redéfini leurs priorités stratégiques pour les dix prochaines années. La presse française s’est principalement axée sur les déclarations relatives à la volonté de renforcer la défense du flanc est de l’Europe.
Le nouveau document présenté à cette occasion, intitulé « Concept stratégique », contenait pourtant une évolution majeure en évoquant pour la première fois la Chine et en la présentant comme une menace directe à la sécurité de l’Alliance : « La République populaire de Chine affiche des ambitions et mène des politiques coercitives qui sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs. […] Ses opérations hybrides ou cyber-malveillantes, sa rhétorique hostile et ses activités de désinformation prennent les Alliés pour cible et portent atteinte à la sécurité de l’Alliance. » Sachant que le même document précisait que « les opérations hybrides menées contre des Alliés pourraient atteindre le seuil correspondant à une attaque armée et conduire le Conseil de l’Atlantique Nord à invoquer l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ».
C’est, en réalité, une révolution géostratégique qui se dessine sous nos yeux dans un silence assourdissant. Depuis quelques années, les États-Unis font pression sur l’Alliance pour qu’elle se conforme à leurs propres priorités et agenda qui font de Pékin l’enjeu numéro un.
La déclaration du sommet de l’OTAN, à Londres, en décembre 2019, présentait « l’influence croissante et les politiques internationales de la Chine » comme des « opportunités et des défis ». En juin 2021, lors du sommet de Bruxelles, la formule de « défi systémique » était retenue. Le document de 2022 la reprend mais l’infléchit et la durcit en évoquant, désormais sans ambiguïté, les menaces que Pékin ferait peser sur l’Alliance.
Ce qui pose le problème d’un décentrement de l’OTAN de son ancrage nord-atlantique vers la zone indopacifique. Pour écarter d’éventuelles objections, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait indiqué en 2019 : « Il ne s'agit pas de déplacer l'OTAN dans le Pacifique, mais de répondre au fait que la Chine se rapproche de nous. »
Une souveraineté européenne qui s'éloigne
En réalité, il n’y avait pas unanimité des membres de l’Alliance sur ce point. En juin 2021, Emmanuel Macron avait déclaré : « Pour ma part, la Chine ne fait pas partie de la géographie atlantique, ou alors ma carte a un problème » (Le Monde, 11//6/2021). La France et l’Allemagne se refusaient à un alignement sur les positions américaines. Sans succès. Emmanuel Macron avait alors mis en avant la nécessaire « souveraineté européenne » qui supposait l’« indépendance quand il s'agit de notre stratégie à l'égard de la Chine ». On voit ce qu’il en reste aujourd’hui.
Il ne fait pas de doute que les États-Unis ont profité du contexte de la guerre en Ukraine, qui fragilise toute velléité d’indépendance européenne, pour faire monter d’un cran l’alignement de l’OTAN sur leurs objectifs. On notera que pour la première fois, à Madrid, l’Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la République de Corée participaient à un sommet de l’OTAN. Tout un symbole. On ne peut qu’émettre l’hypothèse d’une volonté américaine de souder ses partenariats transatlantiques et transpacifiques dans la perspective d’une prochaine confrontation avec la Chine.
Il y a cependant plus. Ce ne sont pas les seules frontières géographiques de l’OTAN qu’il s’agissait de redéfinir mais aussi ses frontières fonctionnelles. Le cadre militaire n’est plus suffisant, comme en témoigne la confrontation avec la Russie qui nécessite d’inclure également des moyens politiques, économiques et technologiques. D’où l’importance d’interfacer au maximum l’OTAN avec l’Union européenne. Et, donc, d’aligner aussi cette dernière sur les priorités stratégiques américaines.
En mars 2022, l’Union européenne a publié sa propre feuille de route dans un document intitulé « Boussole stratégique ». Plusieurs passages étaient consacrés à la région indopacifique avec, notamment, la volonté exprimée des Européens d’y accroître leur présence et leur contribution en matière de sécurité. Comme elle semble lointaine, alors, cette « souveraineté européenne » invoquée par Emmanuel Macron.