par Tommy Chouinard
La commission Grenier, chargée de faire la lumière sur la contribution d'Option Canada au camp du NON en 1995, remettra son rapport en mars 2007, avec un an de retard, parce qu'elle est tombée sur un enchevêtrement de transactions complexes.
Selon ce qu'a appris La Presse, parmi ses constats étonnants, la commission Grenier a découvert qu'au moment même où il dirigeait le bureau québécois du Conseil de l'unité canadienne, Alfred Pilon se trouvait également derrière une entreprise qui a touché 22 250 $ de la part d'Option Canada en 1995. La propriétaire de cette entreprise était son ex-conjointe, qui a servi de prête-nom.
C'est ce qui ressort d'un témoignage qu'elle a livré aux enquêteurs en juin.
D'autres personnes auraient été payées par Option Canada à titre de consultants tout en gérant des sociétés qui facturaient le même organisme. La commission Grenier fait donc face à un travail plus compliqué et à un dossier plus touffu que prévu.
Lors de l'arrivée de Jean Charest sur la scène provinciale au printemps 1998, Alfred Pilon a quitté le Conseil de l'unité canadienne pour devenir directeur de cabinet du nouveau chef de l'opposition officielle à l'Assemblée nationale.
Les 22 250 $ s'ajoutent à une autre vingtaine de milliers de dollars qu'Alfred Pilon a reçus de la part d'Option Canada comme remboursement de dépenses. Option Canada était une entité issue du Conseil de l'unité canadienne.
«Je considère que je n'ai rien à dire là-dessus. La conversation va s'arrêter ici», a répondu Alfred Pilon lorsque La Presse a tenté d'obtenir sa version des faits. M. Pilon est à la tête de l'Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) depuis l'arrivée au pouvoir des libéraux de Jean Charest.
L'entreprise en question se nomme le Groupe de relations publiques et gouvernementales LID. Créée le 14 septembre 1995, elle a fermé ses portes deux ans plus tard.
Selon le Registraire des entreprises, cette entreprise avait un seul administrateur, Françoise Boudreault. Les enquêteurs de la commission Grenier ont eu la surprise d'apprendre qu'il s'agit de l'ex-conjointe d'Alfred Pilon. L'adresse figurant au Registraire des entreprises le 1505, de la Poudrerie, à Sainte-Foy correspond aussi au domicile du couple à cette époque.
Cette adresse se retrouve d'ailleurs dans le rapport du Directeur général des élections sur les finances des partis politiques de 1996. Cette année-là, Alfred Pilon a versé 370 $ au Parti libéral du Québec, une contribution inscrite à cette même adresse dans le rapport.
Les documents comptables d'Option Canada, rendus publics par les auteurs Normand Lester et Robin Philpot au début de l'année, révèlent que le 22 septembre 1995, le Groupe LID, enregistré la semaine précédente, a reçu deux chèques d'Option Canada, qui venait de devenir une entité distincte du Conseil de l'unité canadienne. Le premier chèque s'élève à 6562,50 $; le second, à 14 687,50 $. Le 12 décembre 1995, le Groupe LID a reçu un troisième chèque d'Option Canada, cette fois de 1000 $. Toutes ces sommes ont été comptabilisées comme salaires.
Les enquêteurs de la commission Grenier ont rencontré Françoise Boudreault en juin dernier. Selon des sources, l'ex-conjointe d'Alfred Pilon a nié avoir fait quelque travail que ce soit pour le compte d'Option Canada. Elle a servi de prête-nom, et n'a jamais participé aux décisions touchant la firme, d'après le témoignage fait aux enquêteurs.
À cette époque, Alfred Pilon faisait partie du personnel du Conseil de l'unité canadienne à titre de directeur général pour le Québec, comme le démontre son curriculum vitae distribué aux médias lors de sa nomination à l'OFQJ.
Selon ce qu'a constaté la Commission Grenier, Option Canada était financé «presque à 100 %» par des fonds publics provenant du ministère fédéral du Patrimoine, a-t-on dit à La Presse.
Alfred Pilon refuse de commenter l'affaire. «Il y a beaucoup de monde qui s'intéresse à ces dossiers-là. Ça fait plusieurs années et tout Je n'ai pas du tout l'intention d'embarquer dans le dossier. Si on m'y embarque, bien, écoutez, qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Je vais laisser les gens spéculer. Mais moi, je n'ai rien à dire là-dessus», a-t-il affirmé à La Presse.
Alfred Pilon a rencontré les enquêteurs de la commission jeudi dernier. Il passera devant le commissaire Bernard Grenier en janvier.
Les enquêteurs ont interrogé dans un premier temps, au cours des derniers mois, des employés contractuels et des fournisseurs à partir des chèques et des états de compte fournis par le tandem Lester-Philpot. Ils remontent maintenant vers «le haut de la pyramide», a-t-on expliqué.
C'est la raison pour laquelle ni l'ancien directeur général du Conseil de l'unité canadienne, Jocelyn Beaudoin, ni l'ancien président honoraire d'Option Canada, Claude Dauphin, n'ont encore été interrogés par le commissaire Grenier. En janvier dernier, M. Beaudoin a été suspendu, avec solde, de son poste de représentant du Québec à Toronto. M. Dauphin est quant à lui maire de l'arrondissement de Lachine et membre du comité exécutif de la ville de Montréal.
Les deux hommes et M. Pilon feront partie de «la troisième et dernière vague de rencontres», qui doit débuter après les Fêtes.
Selon ce qu'a appris La Presse, d'autres personnes auraient été payées par Option Canada comme consultants tout en gérant des entreprises qui facturaient le même organisme. Les contrôles étaient insuffisants compte tenu de l'importance des sommes qui sont passées par Option Canada, a affirmé une source.
Les enquêteurs de la commission Grenier ont rencontré un administrateur, Réjean Roy, qui avait le portrait d'ensemble de la comptabilité du Conseil de l'unité canadienne et d'Option canada. Ils ont obtenu bien des informations de cet acteur qui «n'a pas quitté en bons termes» le Conseil de l'unité canadienne, a-t-on confié à La Presse.
Pour se retrouver dans toutes ces transactions, la commission Grenier a décidé, dès sa formation, de faire appel aux juricomptables Johanne Faucher et Pierre St-Laurent. Ce sont ces deux limiers qui ont alimenté les procureurs de la commission Gomery sur le scandale des commandites. Ils ont la réputation d'avoir le crayon bien aiguisé.
Rappelons que la Commission Grenier cherche à savoir si Option Canada, qui a bénéficié de 4,8 millions en subventions de Patrimoine Canada, a payé des dépenses pour favoriser le camp du NON lors du référendum de 1995 en contravention de la loi électorale québécoise.
Les découvertes récentes des enquêteurs, notamment sur M. Pilon, dépassent le mandat premier de la commission. Mais Bernard Grenier pourrait bien décider d'aborder le sujet dans son rapport final, attendu en mars. «Le mandat s'avère beaucoup plus substantiel que ce que le Directeur général des élections avait à l'esprit», a souligné une source proche du dossier.
En janvier dernier, le directeur général des élections du Québec, Marcel Blanchet, a décidé de former une commission d'enquête, dirigée par le juge Bernard Grenier, à la suite des révélations contenues dans le livre Les secrets d'Option Canada, de MM. Lester et Philpot.
Commission Grenier
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