«Notre culture n’est pas à vendre», avait rétorqué Romeo Saganash à Lise Bacon, qui était ministre de l’Énergie et des Ressources en 1990 et qui avait suggéré qu’il en coûterait 1 milliard de dollars pour «acheter» le consentement des Cris. Il militait alors contre le Projet Grande-Baleine, une initiative d’Hydro-Québec qui impliquait la construction de trois centrales hydroélectriques à la Baie-James.
En entrevue à Emmanuelle présente..., M. Saganash s’est souvenu de cette lutte farouche. «J’avais dit à Mme Bacon “Si vous étiez venue voir les Cris, si vous aviez dit: voici le projet qu’on a, y a-t-il moyen de s’entendre? l’histoire de Grande-Baleine aurait été très différente. Vous avez fait la même chose au début des années 70: annoncer en grande pompe le projet du siècle sans avoir parlé aux Cris. Vous allez payer pour.” Et c’est ce qui est arrivé.»
S'apprêtant à quitter la vie politique après huit ans au Parlement canadien, le député du NPD s’est souvenu des raisons qui l’ont poussé à aller en politique.
«Jack (Layton) ne m’a jamais dit non, mais quand j’ai dit que je voulais me présenter à Québec, il m’a dit “Tous les défis que nous avons à travers le monde: les changements climatiques, la protection de l’environnement, notre défi par rapport à l’eau, les Autochtones, le Nord, l’avenir de l’Arctique, tous ces défis, se retrouvent également dans cette circonscription d’Abitibi–Baie-James–Nunavik–Éyou”. Il a dit: “Mon ami, je t’invite à ce que tu retournes chez toi.”»
Commencer quelque part
C’est le désir de changer les choses de l’intérieur qui a gardé M. Saganash en poste et il est fier de son parcours, notamment parce qu’il a accompli les deux mandats qu’il s’était donnés au départ: déposer le projet pour que les lois canadiennes respectent la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et avoir la capacité de pouvoir s’exprimer dans sa langue dans les institutions gouvernementales (il s’exprime en cri au Parlement).
La traduction crie sera d’ailleurs incluse dans les registres de débats. «Comment ça se fait qu’une langue qui est parlée depuis 7000 ans, avant même que le français ou l’anglais soient entendus ici en ces terres, ne puissent pas être reconnue», questionne-t-il.
«Je ne suis pas Québécois ni Canadien d’ailleurs, dit M. Saganash quand on le questionne sur son identité. Je suis profondément Cri et profondément conscient de qui je suis.»
D'une génération à l'autre
Il a abordé la grande fierté qu’il éprouve par rapport aux parcours de ses enfants, sa fille Maïtée Labrecque-Saganash étant d’ailleurs très impliquée médiatiquement.
«Elle a une maturité qui est exceptionnelle pour son âge», croit le député.
Interrogé au sujet des problèmes de mal de vivre dont souffrent de nombreux membres de la communauté autochtone, M. Saganash a accepté de revenir sur les tentatives de suicide de sa fille. «La dernière fois qu'elle a fait une tentative de suicide, c’était en pleine campagne électorale. J’ai manqué un débat, j’ai passé quatre jours avec elle. On m’a reproché d’avoir manqué le débat. J’ai dit “Si je perds mon élection à cause de ça, ça ne me dérange pas. C’est mon enfant”», a-t-il raconté avec un trémolo dans la voix.
Après la politique
M. Saganash se souvient clairement de la peine qui l’habitait lorsqu’il était reclus au pensionnat dans son enfance et qu’il voyait passer les outardes dans le ciel. «Je savais exactement où elles s’en allaient: sur mon territoire.» C’est d’ailleurs là qu’il a le plus envie de se retrouver après son détour en politique. «Je vais retourner vivre en forêt, assure-t-il. Cette bouffe me manque, ils ne servent pas d’outarde ou de castor à la cafétéria ici», a-t-il ajouté en riant.
La lecture qui occupe Romeo Saganash ces jours-ci, c'est les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. «On peut y lire: “Tu auras toujours tort quand tu auras raison trop tôt.” Ça me fait penser à moi. Je sais que dans une génération ou deux, les gens vont me remercier parce que mon projet de loi va amener une réconciliation.»
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