Les particularités du fédéralisme belge doivent s’appréhender sur la base d’une carte que le Gouvernement belge met à notre disposition ici même. Je recommande d’y jeter un coup d’oeil, cela éclaire les choses en une seconde.
Dans la collection “Que sais-je?”, il y a un volume intéressant consacré aux partis régionalistes en Europe, parlant du régionalisme bruxellois comme d’un régionalisme “atypique”. En effet, Bruxelles est la capitale d’un Etat-nation, la Belgique. Or, en général, les régionalismes (terme européen pour “nationalisme” en réalité, à quelques nuances près), sont souvent opposés au centralisme de l’Etat dans lequel leur population est intégrée et contre lequel ils réclament leur autonomie. Dans les difficultés qui opposent Flamands et Wallons, la population bruxelloise (10% de la population belge), peut avoir tendance à adopter non le parti de l’une ou de l’autre des deux populations, mais un point de vue spécifique. Elle vit dans l’espace élargi de la capitale belge: 200 km2 et 1 million d’habitants, très largement francophones (à plus de 90%), mais qui ne veulent pas être identifiés aux Wallons.
Dans un ouvrage récent sur les projets fédéralistes wallons depuis 1900, Pol Delforge notait que tous ces projets ont toujours prévu un statut spécifique pour Bruxelles et il est vrai que la revendication wallonne d’autonomie a toujours été celle de trois Etats en Belgique. C’est sous l’influence flamande que, à ce régionalisme wallon, s’est opposée une autre logique, celle de deux communautés (de langue), logique à laquelle les Wallons surtout ont opposé la logique fédéraliste de trois Régions (référant à l’espace). Le mélange des deux logiques rend évidemment le fédéralisme belge relativement complexe. Les Wallons sont dans la Communauté française, les Flamands dans la Communauté flamande, les Bruxellois néerlandophones relevant pour les matières culturelles de la Communauté flamande et les Bruxellois francophones (les plus nombreux) de la Communauté française. Et il existe trois Régions correspondant aux trois espaces régionaux: Flandre, Wallonie, Bruxelles.
Un combat contre la Communauté française
Comme je l’ai souvent dit ici, le fait que la logique des deux Communautés tend à faire des Wallons de “simples” Belges francophones sans identité autre que par rapport à la Belgique, a mené la plupart des militants wallons que je connais et entre autres la revue TOUDI que je dirige à plaider pour la suppression de l’institution “Communauté française” qui regroupe Bruxellois francophones et Wallons, au détriment de ces deux entités régionales (la wallonne et la bruxelloise). Quand on dit régionale, pour la Wallonie, c’est évidemment d’un pays qu’il s’agit, pour Bruxelles d’une grande Ville, d’une Ville-Etat.
Or ce mercredi, le journal bruxellois Le Soir publiait un manifeste bruxellois signé par plusieurs dizaines de personnalités bruxelloises de premier plan dans le domaine de la culture (François Schuiten par exemple, Jacques De Decker), dans le domaine universitaire (les philosophes Philippe Van Parijs et Jean-Marc Ferry), dans le monde de la magistrature (le Procureur du Roi Dejemeppe, l’avocat G-H Beauthier), associatif (la Secrétaire Générale du Mouvement ouvrier chrétien, Véronique Oruba), etc. Et d’autres noms aussi importants sinon même plus.
J’avoue que, après avoir pris connaissance de ce texte, j’ai aussitôt écrit au “Soir” pour dire que j’approuvais l’intention des auteurs qui m’ont ensuite contacté pour signer le texte, ce que j’ai fait. Même si certaines manières de s’y exprimer me semblent un peu trop belges, je pense que ce texte a le mérite de mettre l’accent sur les trois composantes essentielles de la Belgique, soit la Flandre, la Wallonie et Bruxelles que les institutions appelées “Communautés” ont tendance à occulter. Depuis plus de vingt ans, je lutte de toutes mes forces pour la suppression de la Communauté française dont le français à Bruxelles et en Wallonie n’a strictement aucun besoin, je m’empresse de le dire. Manifestement, les médias tendent à occulter ce texte qui ne fait pas plaisir aux présidents des partis francophones belges amenés, en raison de la logique flamande qui oppose deux langues, à épouser la logique de l’affrontement entre communautés linguistiques. Manifestement aussi (c’est le cas de le dire), les Wallons ne se retrouvent pas dans ce conflit binaire - on le savait - , mais les Bruxellois non plus - et ils viennent de le faire savoir.
L’establishment politique belge contrarié
Il me semble que les Wallons doivent soutenir ces Bruxellois qui me paraissent avoir abandonné une partie de leur unitarisme belge étroit et reconnaître la quête d’identité wallonne (et flamande) comme légitime. Si les Bruxellois acceptent d’avoir l’ambition (qui les honore), de valoriser leur Ville sans prétentions sur les deux autres peuples, alors les Wallons ne peuvent à mon sens qu’applaudir.
Si les présidents des partis francophones (qui se taisent), ne doivent nullement aimer ce manifeste bruxellois, c’est pour deux raisons.
La première, c’est que ces présidents de partis se situent dans une logique électoraliste qui fait que leur électorat se situe à 75% en Wallonie et à 25% à Bruxelles (qui est francophone à 90%). Les présidents de partis veulent voir ces deux électorats unifiés, ce qui est contraire à la logique démocratique, car les Régions la définissent mieux, mais des chefs de partis aiment à s’adresser à un public plus homogène.
La deuxième raison pour laquelle les présidents de partis francophones belges ne doivent pas aimer ce texte, c’est qu’ils savent que les signataires de celui-ci représentent vraiment le sentiment populaire à Bruxelles qui n’est pas contraire au sentiment populaire wallon, moins que je ne l’ai dit dans mon avant-dernière chronique. Les Bruxellois peuvent donner parfois le sentiment qu’ils sont toute la Belgique (et dans ce cas, les Wallons comme moi ne peuvent l’accepter), ou alors donner le sentiment qu’ils s’en tiennent à valoriser leur Ville et, à ce moment, c’est plus démocratique: les Wallons, je crois, approuvent.
Enfin, si mes lecteurs peuvent souhaiter que les projets de suppression des deux Communautés aboutissent, c’est, au-delà de leur sympathie pour les Wallons, le fait que le fédéralisme belge sera alors cent fois plus facile à expliquer.
José Fontaine
TEXTE
NOUS EXISTONS !
100 BRUXELLOISES ET BRUXELLOIS
DE TOUTES ORIGNES ET DE TOUS HORIZONS
LANCENT UN APPEL
AUX RESPONSABLES POLITIQUES
ET A TOUS LEURS CONCITOYENS
Des négociations se préparent. Elles vont engager l'avenir de la Belgique et donc aussi l'avenir de Bruxelles.
Elles vont se dérouler entre partis flamands et francophones, pas entre les représentants des trois Régions du pays.
Nous, habitants de Bruxelles-Capitale, refusons que notre sort soit fixé de cette manière.
Parce qu'il est grand temps d'affirmer que la population bruxelloise ne se laisse pas réduire à deux groupes, « Flamands » d'un côté, « Francophones » de l'autre.
Parce qu'il est grand temps de laisser pour de bon derrière nous une Belgique où deux Communautés se font face, pour permettre que les trois Régions du pays s'épanouissent côte à côte, chacune avec une identité propre et des institutions efficaces.
Nous, habitants de Bruxelles-Capitale, sommes nombreux à être nés ailleurs qu'en Belgique. Nous parlons pour la plupart plus d'une langue et, au sein même de nos familles, les langues cohabitent fréquemment. A mesure que l'Europe s'y installe davantage, Bruxelles devient une ville toujours plus internationale et plus complexe, une ville-région de plus en plus différente de la Wallonie et de la Flandre.
Cette complexité constitue un défi. Mais il serait absurde d'essayer de l'enfermer dans le carcan bicommunautaire.
Bien gérée, cette complexité est une richesse dont nous pouvons être fiers et qu'il nous faut mettre au service du dynamisme de Bruxelles et, par là, des régions voisines et de l'Europe entière.
Dans cet esprit, nous, habitants de Bruxelles-Capitale, désirons faire de notre ville un lieu où des personnes aux origines les plus diverses puissent être heureuses d'habiter, de travailler et de circuler, de se rencontrer et de se divertir, d'étudier et de se faire soigner, de grandir et même de vieillir, une ville démocratique, qui associe tolérance et solidarité, efficacité et convivialité. Pour être à la hauteur de cette ambition, nous devrons innover.
Nous devrons doter notre ville internationale d'un mode de gouvernement efficace, en remodelant les compétences des communes et des Communautés.
Nous devrons mettre en place, avec les deux autres Régions, un organe capable de repenser en profondeur la répartition de l'emploi et du logement entre la Région bruxelloise et sa périphérie brabançonne, et d'organiser en conséquence l'affectation du sol et la mobilité dans l'ensemble de ce territoire.
Nous devrons amplifier les efforts déjà entrepris pour réhabiliter l'espace public dans toute la ville, pour y développer l'habitat, pour y promouvoir la mixité des fonctions et le mélange des populations, pour y domestiquer la circulation automobile et y favoriser les déplacements doux.
Nous devrons prendre à bras le corps les problèmes particuliers et les inégalités énormes qui caractérisent l'enseignement bruxellois et y associer tous les réseaux d'enseignement.
En particulier, nous devrons mobiliser la richesse linguistique de la ville pour rendre la plupart des jeunes qui y grandissent compétents en trois langues - celles qui prévalent respectivement à Bruxelles, en Belgique et en Europe -, et ainsi les aider à trouver un emploi à Bruxelles et ailleurs.
Nous devrons multiplier les initiatives - de la Zinneke (*) parade aux journées sans voiture - qui associent toutes les composantes de la population bruxelloise dans le même plaisir d'habiter une ville cosmopolite et conviviale, à la fois respectueuse et fière de ses minorités, et opposée à toute forme de ségrégation.
Plus que jamais, il importe aujourd'hui que la communauté formée par l'ensemble des habitants de Bruxelles prouve son existence à ceux qui prétendent la nier, qu'elle se mobilise autour d'un projet réaliste mais ambitieux, qu'elle contribue activement à façonner son sort.
Il s'agit avant tout du bien-être des femmes et des hommes qui, comme nous, ont choisi ou choisiront de s'installer à Bruxelles ou d'y rester.
Il s'agit aussi du rôle de Bruxelles comme capitale de ce pays étrange mais captivant qu'est la Belgique et comme foyer d'un dynamisme profitant aux trois Régions du pays.
Il s'agit enfin, et chaque jour davantage, de la mission confiée à Bruxelles comme capitale de l'Union européenne, cette expérience historique sans précédent à laquelle le destin de notre ville est désormais intimement lié.
Les signataires de cet appel invitent toutes les Bruxelloises et tous les Bruxellois qui partagent leur analyse et leur ambition à les rejoindre en signant à leur tour cet appel et en le diffusant autour d'eux.
Ils invitent aussi tous les mandataires politiques bruxellois, quelles que soient les langues qu'ils parlent, à prendre acte de l'existence d'une véritable communauté des Bruxellois et à se donner pour tâche de la représenter dans sa totalité.
Enfin, ils invitent tous les participants aux négociations institutionnelles qui s'annoncent à faire droit aux revendications exprimées dans cet appel et à accorder à Bruxelles, comme aux autres Régions, le pouvoir de forger son avenir.
(*) Zinneke est un terme du langage populaire bruxellois qui veut dire bâtard (soit à la fois francophone et néerlandophone).
Naissance d’un “nationalisme” bruxellois?
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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