Mythes et réalités ...

Tribune libre

Par André Parizeau (*)
Toute la fin de semaine, les grands médias n'en avaient que pour le congrès du NPD où Thomas Mulcair fut finalement élu chef de cette formation politique, non sans au préalable la tenue de 4 tours de scrutin. Et d'ores et déjà, il y en a pour dire qu'il sera le prochain premier ministre du Canada. Certains le voient également comme étant le prochain grand sauveur du Canada face aux politiques des Conservateurs; d'autres le voient également comme le seul qui pourrait du même souffle sauver ce pays face à l'autre "menace" toujours bien présente et qui est constitué par le mouvement souverainiste au Québec, tandis que pour d'autres ils seraient lprobablement les deux en même temps.
N'en déplaise à tous ces gens, la réalité est un peu plus complexe que cela, et pas aussi caricatural. Ce qui me frappe surtout, au sortir de ce congrès, c'est de voir comment les deux principales formations politiques, se présentant toutes deux comme étant la meilleure alternative face aux politiques des Conservateurs, commencent à se ressembler de plus en plus. Même leurs chefs se ressemblent. Eh oui !
Tous deux sont en effet des transfuges. L'un est un ex-chef provincial du NPD (en Ontario) et dirige maintenant le Parti libéral du Canada; c'est Bob Rae. L'autre est un ex-ministre libéral au Québec, et dirigera désormais le NPD sur la scène fédérale. En soi, cela est assez impressionnant.
Le premier qui était, à un moment donné, un des grands favoris pour prendre la tête des libéraux fédéraux, en tant que principal candidat de l'establishment, fut par la suite tassé, lors d'une mémorable course à la chefferie chez les libéraux, pour finalement revenir en force comme une sorte de nouveau sauveur; c'est Bob Rae. L'autre, soit Thomas Mulcair, n'était pas au départ le candidat de l'establishment dans le NPD, mais cela ne l'a pas empêché de triompher malgré tout en fin de semaine.
Les deux se disent être très différents l'un de l'autre; c'est normal car tous deux tiennent souvent le même genre de discours; mais les deux finissent malgré tout par se ressembler pas mal. C'est comme pour leur parti respectif; les deux disent ne rien vouloir savoir d'une éventuelle fusion, mais tous deux visent finalement le même genre de clientèle, avec des programmes assez similaires, et risquent donc aussi de se piler pas mal sur les pieds. D'autant que selon les sondages, y compris au Québec, ils ne sont pas non plus trop loin l'un de l'autre.
Le principal atout de Thomas Mulcair réside dans l'impression que les gens ont, à l'extérieur du Québec, ainsi qu'au sein du NPD, du personnage, à savoir qu'il serait le seul à pouvoir préserver dans le futur les sièges du NPD au Québec. C'est d'ailleurs aussi un des atouts que continuent encore d'entretenir, de son côté, Bob Rae face à un éventuel retour des libéraux fédéraux au Québec.
Sauf que cet atout de Thomas Mulcair représente aussi son principal talon d'Achille, car il est encore très loin d'être assuré qu'il réussira effectivement à maintenir lors des prochaines élections fédérales une équipe de députés et de députées suffisamment importante en provenance du Québec. La même chose pourrait aussi être dite pour les libéraux fédéraux, avec Bob Rae, sauf que dans ce dernier cas un éventuel échec risquerait, toute proportions gardées, de faire pas mal moins mal que dans le cas du NPD, ne serait que parce que ces libéraux sont déjà pas mal au fond du baril et pourrait donc difficilement faire pire au Québec.
Aussi bien du côté du NPD, que des libéraux fédéraux, leur capacité ou non de percer au Québec et/ou de conserver leurs acquis très fragiles (dans le cas du NPD) jouera forcément un rôle majeur dans leur capacité ou non de détrôner les Conservateurs, d'autant que tous disent écarter au moins pour le moment toute possibilité de même faire une alliance.
Au delà de toute la ferveur engendrée par le dernier congrès NPD et qui parfois tendance à faire en sorte que certaines personnes oublient la réalité concrète de la scène politique, aussi bien au Québec, que dans le reste du Canada, il importe de se rappeler un certain nombre de faits importants :
-** 1.- Si on fait abstraction de l'opinion des Québécois et des Québécoises, un partie très importante de la population au Canada anglais continue toujours d'appuyer le gouvernement Harper, indépendamment de toutes les politiques de ce gouvernement, toutes plus réactionnaires les unes que les autres. S'il est vrai qu'une très nette majorité de gens, à travers tout le Canada, ont voté contre Harper et son parti, lors des élections de 2011, cette majorité est pas mal moins claire quand on met de côté le Québec.
-** 2.- La bulle orange, engendrée par les résultats des dernières élections du 2 mai, est d'ores et déjà en train de s'estomper au Québec; les plus récents sondages le montrent; le Bloc Québécois, même s'il ne peut compter que sur 4 députés, au grand total, est déjà retourné en première position, au niveau des intentions de votes à travers le Québec, bien en avance par rapport au NPD et aux libéraux, sans parler des Conservateurs qui sont de leur côté dans le fin fonds du baril.
-** 3.- Sur la scène provinciale, le total des appuis aux différents partis souverainistes avoisinnerait à nouveau les près de 40%. Plus significatif encore est le niveau d'appuis à la cause de la souveraineté du Québec qui friserait de son côté les 45%, alors que nous ne sommes même pas en campagne sur le sujet. C'est tout dire ! Du jamais vu.
Depuis son élection, les journalistes ont commencé à demander à Thomas Mulcair comment il allait envisager la prochaine période pour justement s'assurer que les chiffres remontent pour le NPD au Québec.
Sa réponse parle d'elle-même. D'un côté, il dit être convaincu que les Québécois et les Québécoises ne voudront pas se relancer dans une grande bataille pour souveraineté et, d'autre part, il pense aussi que la grande majorité de ceux-ci n'ont plus aucun intérêt dans les débats constitutionnels. La belle affaire ! Je ne sais pas si monsieur Mulcair lie les même sondages que nous, mais si tel est le cas, alors peut-être devrait-il songer aller suivre des cours de rattrapage en mathématiques 101 (une fois que les grèves étudiantes sereont évidemment finies) parce que dans mon livre à moi, ainsi que dans le livre de la majorité des gens, 45% d'appuis revient à dire qu'on n'est qu'à 6% d'une majorité simple dans l'opinion publique.
Selon un autre sondage, 71% des Québécois et des Québécoises voudraient que les prochains gouvernements du Québec réactualise le débat constitutionnel, soit en relancant la bataille pour l'indépendance du Québec, soit en déposant devant les autorités fédérales de nouveaux projets pour amender la Constitution et ainsi mkieux refléter la réalité québécoise. Cela, c'est tout près de 3 Québécois et Québécoises sur 4 !
Si on revient d'autre part à l'actuel niveau d'appuis au projet de souveraineté, c'est quand même pas mal plus que ce qui existait en 1995, juste avant que la campagne autour du 2e référendum ne commence; on n'était alors qu'à 35% !
Une chose est en même temps de plus en plus claire. Plus la cause de la souveraineté continuera à monter et moins l'intérêt des Québécois et des Québécoises pour les aléas de la politique fédérale, à Ottawa, y inclus ce qui pourait ressortir du NPD, les intéressera d'autant que d'obtenir une pleine et entière indépendance sera toujours plus intéressant que les mirages laissées par les belles promesses de partis fédéralistes qui, de toute manière, se ressemblent de plus en plus.
En bout de ligne, l'accession de Thomas Mulcair à la tête du NPD est très certainement très bon pour l'ego personnel de ce politicien. Sauf que s'il devait ne pas être capable de livrer la marchandise au fil des trois prochaines années, tout cela pourrait aussi finir par se transformer en cauchemar pour lui. Un peu comme ce fut le cas, avant lui, du côté des libéraux fédéraux, avec Stéphane Dion et Michael Ignatieff...
Certains diront que Thomas Mulcair pourrait au moins aider son parti à faire meilleure figure face aux Conservateurs, ainsi que face aux Libéraux. S'il faut cependant se fier à ce que fut la première journée de Thomas Mulcair en Chambre des Communes, en tant que nouveau chef de l'opposition officielle, et si on met de côté le "standing ovation" qu'il a eu des deux côtés de la Chambre (ce qui sousentendait un geste magnanime de la part des Conservateurs), il faut reconnaître que le député libéral Denis Coderre a pas mal plus volé la vedette, lors du débat sur le sort des travailleurs d'Aveos. En comparaison, l'intervention de Thomas Mulcair faisait plutôt dure. Au moins, du côté de Denis Coderre, on sentait qu'il était vraiment en colère devant l'inaction des Conservateurs. Cela ne transpirait pas vraiment des interventions de Thomas Mulcair.
Sans doute Thomas Mulcair voulait-il, pour la première journée de son retour à la Chambre des Communes, démontrer qu'il pouvait également être beaucoup moins "abrasif" que ses adversaires le prétendent. On verra avec le temps et on verra surtout ce qu'il fera.
Cela me fait quand même penser à ce qui s'était passé au lendemain de la fermeture d'Aveos. Le chef du Bloc Québécois, Daniel Paillé, ainsi que le député libéral, Denis Coderre, s'était rapidemment retrouvés sur les lignes de piquetage des travailleurs et des travailleuses pour leur signifier leurs appuis. Mais où étaient alors les députés du NPD ?... Cela faisait d'autant plus dur de la part du NPD que celui-ci continue encore de se dire pro-travailleurs. On aura beau dire que tout cela pouvait s'expliquer à cause de fait qu'on était alors dans les derniers milles de la campagne à la chefferie, mais cela ne s'aurait tout expliquer.
Comme je le disais plus haut, l'avenir nous dira comment tout cela évoluera. À la longue, et à condition que le NPD prenne effectivement plus sa place, cela pourrait effectivement nuire aux libéraux, notamment au Québec, sauf que l'impact réel de tout cela, au delà des sphères plus traditionnellement gagnées au discours pro-fédéraliste, risque néanmoins de rester assez limité.
Certains auront beau dire également qu'il pourrait être utile d'avoir ultimement un gouvernement NPD à Ottawa, advenant que la lutte pour l'indépendance referait effectivement l'avant scène au Québec. Mais même là, ce ne serait pas si sûr. Premièrement, le NPD continue encore aujourd'hui à défendre officiellement la loi sur la clarté référendaire (ils n'ont jamais renié le vote qu'ils avaient alors pris lors de l'adoption de cette fameuse loi); deuxièmement, il faut aussi se rappeler que Thomas Mulcair n'a jamais été un ami, même timide, des droits nationaux du Québec. N'oublions pas qu'il fut même, à une certaine époque, l'avocat du groupe Alliance Québec. N'oublions pas non plus que le NPD a toujours été un parti très pro-centralisation à Ottawa, quoique la déclaration de Sherbrooke puisse prétendre.
D'ores et déjà, on pouvait entendre Bob Rae, dès le lendemain de l'élection de Thomas Mulcair à la tête du NPD, fortement suggérer que le parti devienne beaucoup plus clair quant à une éventuelle victoire du mouvement souverainiste à Québec et une relance du processus d'accession à l'indépendance; il voulait ainsi suggérer que le NPD se déclare de manière beaucoup plus dure face aux souverainistes. Au delà du caractère très clairement partisan d'une telle déclation, on peut quand même déduire de celle-ci le fait que rien ne serait forcément plus facile (d'un point de vue québécois) avec un gouvernement NPD.
Là où l'arrivée de Thomas Mulcair pourrait, avec le temps, néanmoins faire assez mal, sur la scène provinciale, ce serait du côté de Québec solidaire. Il faut en effet savoir que le NPD fédéral s'est toujours refusé, au cours des 15 à 20 dernières années, à vouloir se réimpliquer sur la scène provinciale, au Québec. Depuis déjà longtemps, le NPD fédéral n'a plus d'aile provinciale ici; c'est d'ailleurs le seul endroit au Canada où le NPD n'a pas d'aile provinciale. Sauf que Thomas Mulcair a déjà laissé entendre qu'il pourrait vouloir remettre ce choix en cause, question de vouloir en même temps consolider encore plus ses assises et son organisation au Québec. S'il devait le faire, il est clair que cela pourrait alors affaiblir par la bande Québec solidaire, dans la mesure où l'aile plus modérée (et moins souverainiste) de Québec solidaire pourrait alors être tentée d'aller de ce côté là.
Si cela devait se produire, la situation ne serait alors pas sans une certaine ironie puisque ceux et celles, au sein de Québec solidaire, qui avaient appuyé le NPD lors des dernières élections fédérales, et qui continuent encore à appuyer cette option sur la scène fédérale (par rapport à ceux et celles qui appuient plutôt le Bloc), et qui disaient grosso modo que cela pourraient même être utile pour l'avenir des choses pour Québec solidaire, pourraient alors se retrouver avec une mine bien basse. D'autant que plusieurs d'entre eux se disaient et se disent toujours de fervents indépendantistes.
Ce qui pourraient rendre les choses encore plus absurdes, en même temps que plutôt tristes, est le fait que bon nombre de ces mêmes gens s'objectaient jusqu'à tout récemment à toute forme d'alliances avec le PQ et/ou Option Nationale. Aujourd'hui, alors même où Québec solidaire semble perdre une bonne partie des gains qu'elle avait pu faire au cours des 3 ou 4 dernières années (puisque ses niveaux d'appuis seraient redescendus jusqu'à 5% selon un des plus récents sondages), cela pourrait même devenir assez dramatique.
Et comme pour coiffer le tout, toute future propositon d'alliance avec le PQ et/ou Option Nationale -- une chose que j'ai toujours appuyé et continue encore de faire parce qu'il en va de l'avenir même de la cause de l'indépendance du Québec -- pourrait ultimement et parralèlement se révéler pas mal plus coûteuse pour Québec solidaire, à cause justement de toutes ces pertes, au niveau de ses appuis appréhendés.
Mais comme on dit, on est encore loin de tout cela... Choses certaines, et pour revenir à Thomas Mulcair, rien n'est vraiment sûr pour lui quand on regarde le moindrement l'avenir des choses au Québec.
De notre côté, nous continuerons à dire haut et fort que nous ne croyons pas au "mirage NPD" et que la meilleure chose que le mouvement souverainiste pourrait et devrait faire dans les circonstances serait de poursuivre ses efforts pour faire de ce mouvement une force encore plus forte et influente, en même temps que la plus unie possible pour l'avenir. C'était encore hier la meilleure approche qu'on pouvait suivre et cela demeure encore aujourd'hui la meilleure chose à faire.
(*) André Parizeau est le chef du Parti communiste du Québec (PCQ); ce texte peut aussi être lu sur le site du PCQ au www.pcq.qc.ca .

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Chef du Parti communiste du Québec (PCQ), membre fondateur de Québec solidaire, membre du Bloc québécois, et membre de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal (SSJBM)





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1 commentaire

  • Frédéric Picard Répondre

    29 mars 2012

    En effet, QS et ON n'ont pas le choix de s'allier (lire, fusionner) à moyen terme, car les "fédéralistes" solidaires, eux, sont déjà en train de voir un NDP Quebec dans leur soupe. C'est une question de temps avant que regaillardis par les apports néo-démocrates, ils lancent un assaut sur le crédo "souverainiste" voir nationaliste de QS. Il serait étonnant d'ailleurs que s'ils subissent une défaite, ils se rallient.
    La question est: Est-ce que les solidaires détestent plus Harper et la drette canadian ou le Canada point ?
    Khadir est un indépendantiste reconnu dont le support à notre cause n'est plus à prouver.
    Françoise David est une des raisons majeures qui explique mon aversion envers QS ... En plus du ton prêcheur, "J'ai raison, les autres sont des méchants", elle met de côté l'option ou le nationalisme au nom d'une vision féministe 2e vague.
    Le schisme solidaire m'apparait inévitable. Surtout que QS semble tiraillé depuis ses débuts entre une vision anarcho-socialiste (Bakouninienne) et une vision plus marxiste de l'état (toujours social démocrate, néanmoins). Le débat sur l'UPA en est un reflet.
    Évidemment, de tels tiraillements risquent d'affaiblir QS. Ils devront avoir lieu après la prochaine élection générale, si QS veut tenter de conserver Mercier.