La déclaration du premier ministre Stephen Harper est limpide: Oubliez ça, les boys, la guerre en Afghanistan est perdue d'avance.
C'est à un journaliste de CNN que Stephen Harper a fait cette renversante déclaration. «Nous ne remporterons pas cette guerre seulement en restant là, a-t-il dit. (...) Jamais nous ne battrons les insurgés.»
Serge Chapleau, La Presse 3 mars 2009
Stephen Harper n'a pas été piégé par un méchant journaliste qui lui aurait posé 43 fois la même question dans l'espoir de lui arracher une déclaration controversée. Bien au contraire.
Stephen Harper aurait pu corriger le tir, car le journaliste a poursuivi: «Comme ça, nous ne battrons jamais les insurgés. Le mieux qu'on puisse faire, c'est d'entraîner les troupes afghanes pour prendre la relève, puis de nous retirer?»
«Exactement», a répondu Stephen Harper.
Clair et limpide.
Pourquoi envoyer des soldats mourir dans le fin fond de l'Afghanistan si tout est perdu d'avance? Quel soldat sera prêt à prendre le risque de sauter sur une mine s'il sait que le Canada a jeté l'éponge? Les 1400 soldats québécois qui s'apprêtent à partir pour Kandahar doivent avoir le moral dans les talons.
Et pourquoi rester encore deux ans si les jeux sont faits? Pourquoi continuer à engloutir des milliards dans une guerre de plus en plus sanglante? Pire que l'Irak, ce qui n'est pas rien. Depuis 2005, la violence a augmenté de 550% en Afghanistan.
Mourez pour rien, chers soldats. C'est ça que Stephen Harper leur a dit dimanche.
Autre question troublante: pourquoi M. Harper a-t-il fait une déclaration aussi controversée aux États-Unis? Pourquoi pas au Canada? Voulait-il envoyer un message à Barack Obama? Si oui, pourquoi passer par CNN, alors qu'il aurait pu appeler la Maison-Blanche?
Bizarre.
Hier, à la Chambre des communes, l'opposition a demandé des comptes au premier ministre. Pourquoi cette volte-face? Stephen Harper a répondu avec des mots creux, en brassant deux ou trois évidences. Il a conclu en disant: «Nous sommes fiers du travail de nos troupes.»
Merci, M. Harper. Très éclairant.
Stephen Harper a dit la vérité. Oui, la force internationale ne peut pas gagner cette guerre. Oui, le Canada s'enlise dans un conflit qu'il ne peut que perdre. Les Afghans n'ont jamais accepté d'être dominés. Les Russes et les Britanniques n'ont pas réussi à s'imposer dans ce pays mille fois plus complexe que l'Irak.
Pourtant, les Russes se sont accrochés pendant 10 ans et ils y ont mis le paquet. L'OTAN, avec ses 70 000 soldats, ne fait pas le poids.
Stephen Harper n'est pas le premier à baisser les bras.
En octobre, le chef de l'armée britannique en Afghanistan, le général Mark Carleton-Smith, a dit: «Nous n'allons pas gagner cette guerre.»
L'automne dernier, le New York Times a publié un rapport des services secrets américains qui confirmait que l'OTAN a très peu de chances de battre les talibans.
Le chef des troupes américaines en Afghanistan et en Irak, le général David Petraeus, en a rajouté en déclarant qu'il fallait négocier avec les talibans. Le président afghan, Hamid Karzaï, a même amorcé des négociations avec le chef des talibans, le mollah Omar.
Alors, si tout le monde se doute que la communauté internationale court vers la défaite, pourquoi s'offusquer devant la déclaration de Stephen Harper qui a dit tout haut ce que bien des gens - et pas des moindres - pensent tout bas?
Parce qu'un chef d'État engagé dans une guerre ne peut pas concéder la victoire au milieu de la bataille. S'il le fait, il doit agir en conséquence, c'est-à-dire se retirer ou négocier avec l'ennemi. Il ne peut pas continuer à envoyer des soldats au front, mine de rien, en sachant que leur mort ne rimera à rien. La guerre tournera à vide, car elle n'aura plus d'objectifs. Si l'OTAN ne peut pas gagner, le premier ministre sacrifie des vies inutilement.
Les morts ne serviront qu'à remplir une promesse faite aux Américains. Ça frise l'indécence.
La guerre n'est pas une partie de plaisir. J'ai passé quatre jours avec des soldats canadiens dans une base avancée dans la province de Kandahar. J'ai mal mangé - des rations, des rations et des rations -, j'ai mal dormi - sur un lit de camp, dans un dortoir poussiéreux avec une dizaine de soldats et autant de souris -, je me suis baladée dans un blindé, la peur au ventre, et j'ai patrouillé avec une tonne d'équipement sur le dos en m'imaginant voir des talibans derrière chaque arbre, chaque maison. La galère, la vraie, celle qui transforme quatre jours en éternité.
M. Harper a lancé sa bombe aux États-Unis. Pourtant, on ne confie pas une telle énormité à un journaliste étranger entre deux recettes sur l'économie canadienne. Et on ne lance pas un tel ballon pendant que des soldats risquent leur vie. On assume.
Mais M. Harper n'a jamais assumé grand-chose dans cette guerre, en commençant par la torture des prisonniers afghans capturés par les soldats canadiens. Il a toujours nié que la torture existait jusqu'à ce qu'on lui mette le nez dans ses mensonges.
Aujourd'hui, qui a envie de croire M. Harper?
Pour joindre notre chroniqueuse: michele.ouimet@lapresse.ca
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