Montréal vient d’honorer la mémoire de Mordecai Richler en donnant son nom à une bibliothèque.
Encore hier, la chose aurait été impensable. Écrivain génial, on savait surtout qu’il vomissait les Canadiens français. L’insulte était récente et, de toute façon, les Québécois avaient encore trop de fierté. On avait même hué son nom au Bye Bye 1991!
Au-delà des préjugés
Tant mieux, en un sens. La blessure est refermée. C’est une bonne chose de ne pas réduire un écrivain aux passages malheureux qui traversent son œuvre, aux idées abjectes qu’il pouvait avoir. Richler avait beau mépriser les Québécois, il n’a pas à recevoir un certificat de bonne vertu pour mériter notre admiration. Une grande œuvre transcende les préjugés mesquins qui s’y trouvent.
Je devine, dès lors, que plus personne ne nous empêchera de célébrer la mémoire du chanoine Lionel Groulx. Qui était vraiment Lionel Groulx? D’abord, un historien majeur, qui a permis aux Québécois de se réapproprier leur passé, alors qu’ils s’étaient fait imposer la vision historique du conquérant. Mais surtout, Groulx a redonné du tonus au peuple québécois alors qu’il était avachi. Ajoutons qu’il était un grand écrivain, avec du souffle.
C’est, à bien des égards, un des pères intellectuels de la Révolution tranquille, lui qui plaidait pour que notre peuple devienne maître chez lui. Son influence commence à s’étendre dès les années 1920. Dans les années 1960, même s’il était passé de mode, il avait laissé une trace profonde. On sacrifiait la moitié de sa pensée pour embrasser l’autre. Sa part catholique fut abandonnée. Elle ne nous disait plus rien.
Mais sa part nationaliste fut embrassée: son effort de plusieurs décennies avait fini par nous convaincre que l’heure de la libération était venue. À la fin des années 1970, René Lévesque le célébrait en parlant «de ce Québécois dont la victoire principale fut de redonner assez de fierté à assez de Québécois pour qu’on doive le tenir pour l’un des principaux semeurs de la moisson d’avenir qui lève aujourd’hui au Québec».
C’est une bonne chose de ne pas réduire un écrivain aux passages malheureux qui traversent son œuvre
Diabolisation
Pourquoi je parle de Groulx aujourd’hui? C’est que depuis vingt ans, il a été victime d’une odieuse diabolisation. Car on trouve dans son œuvre quelques passages antijuifs. Ils sont malheureux, regrettables. Ils sont aussi très rares, même mineurs dans son œuvre. Ils ne la structurent aucunement. Mais la rumeur a été dévastatrice. On l’a transformé en idéologue antisémite ayant pollué le nationalisme canadien-français. Le grand historien est devenu un monstre.
On me voit venir. Si nous pouvons célébrer Richler malgré ses propos antiquébécois orduriers, on peut célébrer l’œuvre du chanoine Groulx malgré ses pages malheureuses sur le peuple juif. Il ne s’agit pas d’oublier ces phrases, mais de ne plus y réduire son œuvre. En un mot, on peut lire les grands écrivains sans les enfermer dans la part sombre de leur œuvre.
On ne cherchera pas chez Groulx une idéologie à ressaisir. Mais on le célébrera comme on rend hommage à des hommes qui ne sont plus de notre temps, que nous ne comprenons plus complètement, mais dont la voix trouve un écho intime dans nos consciences.
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