L'humeur maussade du premier ministre Charest n'était pas feinte à l'issue du souper auquel Stephen Harper avait convié ses homologues provinciaux au 24 promenade Sussex, vendredi soir dernier. À tous égards, le programme fédéral pour venir en aide au secteur forestier et à l'industrie manufacturière est décevant pour le Québec.
Il n'y a pas si longtemps, M. Charest aurait pourtant réussi à y voir un «pas dans la bonne direction» ou encore une «ouverture à la négociation», comme Benoît Pelletier l'a fait l'automne dernier quand M. Harper a proposé une limitation au pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dont les modalités en faisaient un véritable attrape-nigaud.
Il est vrai que le premier ministre canadien semble penser qu'il en a assez fait pour démontrer l'ouverture de son fédéralisme, mais plusieurs de ses initiatives avaient déjà un caractère largement symbolique.
L'octroi au Québec d'une toute petite place au sein de la délégation canadienne à l'UNESCO ne valait certainement pas ces cris de joie. Habitués à l'intransigeance qui caractérisait les libéraux, on a semblé prendre pour une grande concession ce qui relevait plutôt de la simple bienséance.
Certes, le ton est plus conciliant, mais la reconnaissance de la nation québécoise par la Chambre des communes n'a pas plus de portée juridique que la motion de Jean Chrétien sur la «société distincte». Cela ne saurait compenser la perte de poids politique qui résultera de la diminution relative du nombre de députés en provenance du Québec.
La grande différence depuis quelque temps est que M. Charest semble avoir décidé qu'il ne tentera plus de faire passer les vessies pour des lanternes, laissant plutôt à Mario Dumont le soin de faire l'apologie du gouvernement fédéral.
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On peut comprendre que M. Harper ait été irrité de voir les 700 millions supplémentaires accordés au Québec au titre de la péréquation engloutis dans des baisses d'impôt. Cet épisode a manifestement été un tournant dans les relations entre Québec et Ottawa. Par la suite, on n'a plus entendu M. Harper vanter les mérites de M. Charest et l'importance de sa contribution au maintien de l'unité canadienne.
Après des années de lamentations sur le déséquilibre fiscal, le premier ministre canadien a sans doute eu la désagréable impression d'avoir été le dindon de la farce. Il n'est pas étonnant qu'il se montre maintenant si pingre et tienne à ce que les fonds fédéraux destinés aux provinces soient répartis sur une base par personne.
Si M. Harper a été indisposé par cette affaire, M. Charest peut aussi avoir le sentiment de ne pas avoir tiré tout le bénéfice politique qu'il pouvait espérer de son amitié avec son homologue fédéral.
Un an de lune de miel avec les conservateurs a abouti à l'élection d'un gouvernement libéral minoritaire à Québec. Soit, le bilan mitigé du premier mandat a sérieusement hypothéqué la campagne libérale, mais il faut bien constater que montrer les dents devant Ottawa ne semble choquer personne, bien au contraire.
Un des principaux handicaps de Jean Charest depuis qu'il est devenu chef du PLQ a été de ne pas être perçu comme un défenseur suffisamment acharné des intérêts du Québec par rapport au reste du Canada, et plus particulièrement par rapport à Ottawa. À des degrés divers, ses prédécesseurs ont eu le même problème, mais aucun n'a vu sa loyauté envers le Québec remise en question à ce point.
Il est vrai que, pendant des années, la crainte d'apporter de l'eau au moulin souverainiste a eu un effet paralysant sur le PLQ. M. Charest avait été expédié à Québec précisément pour barrer la route à Lucien Bouchard, et la perspective d'un autre référendum était comme une épée de Damoclès qui retenait les fédéralistes québécois de dénoncer, comme plusieurs en auraient eu envie, les exactions des libéraux de Jean Chrétien.
Cette menace étant écartée pour l'avenir prévisible, M. Charest a tout le loisir de se faire l'écho du consensus québécois avec d'autant plus de crédibilité que personne ne peut l'accuser de sabotage.
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Mario Dumont a claqué la porte du PLQ en 1992 parce qu'il trouvait que Robert Bourassa avait trahi les intérêts du Québec en signant l'accord de Charlottetown, mais on a parfois l'impression que la proximité du pouvoir le rend lui-même moins exigeant.
Au moment au l'ADQ était au sommet de sa popularité, en septembre 2002, il avait semé la consternation au Québec et la joie à Toronto en déclarant devant les membres du Canadian Club que la question constitutionnelle avait disparu de son écran radar.
On croyait que la leçon avait porté. Jouer au béni-oui-oui ne lui réussira pas mieux qu'en 2002. Depuis qu'il est devenu chef de l'opposition officielle, on a bien du mal à retrouver les accents autonomistes d'avant les élections du 26 mars. Devant le gouvernement Harper, il semble avoir perdu tout sens critique.
À l'annonce du plan conservateur, jeudi, le leader parlementaire de l'ADQ, Sébastien Proulx, était ravi: «J'ai compris que M. Harper avait donné suite à l'engagement qu'il avait pris à Rivière-du-Loup.» Si M. Charest trouvait qu'il n'y avait pas assez d'argent pour le Québec, il n'avait qu'à mieux négocier!
Vendredi, quand il s'est rendu compte que tout le monde au Québec sauf l'ADQ jugeait l'aide fédérale insuffisante, M. Dumont a senti le besoin de corriger le tir. Il faudrait 100 millions de dollars de plus pour le Québec, convient-il maintenant, mais il appartient à M. Charest de plaider pour les obtenir. Autrement dit, s'il échoue, ce sera sa faute et non celle de M. Harper. Pas fort.
mdavid@ledevoir.com
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