La Ville de Montréal réclame 23,6 millions de dollars à Construction Frank Catania, qui s’est engagée dans un processus de liquidation judiciaire en septembre dernier. Montréal allègue que la collusion a gonflé le prix de 23 contrats octroyés à l’entreprise et souhaite récupérer les millions qu’elle estime avoir payés en trop, a appris Le Devoir.
Réunis à huis clos mercredi dans le cadre de la séance hebdomadaire du comité exécutif, les élus ont entériné une résolution visant à présenter une réclamation auprès du liquidateur désigné dans cette affaire, PricewaterhouseCoopers.
Selon le document remis aux élus et que Le Devoir a pu consulter, Montréal justifie le montant réclamé en s’appuyant sur les révélations entendues à la commission Charbonneau selon lesquelles Construction Frank Catania (CFC) aurait participé à un stratagème de collusion dans l’octroi de certains contrats par la Ville. Elle évoque le témoignage de l’entrepreneur Lino Zambito, ainsi que ceux des ex-fonctionnaires Gilles Surprenant et Luc Leclerc.
Lors d’une enquête qu’elle a effectuée, la Ville a dénombré 23 contrats décrochés par Construction Frank Catania. Certains auraient été obtenus à la suite d’appels d’offres entachés par des manoeuvres de collusion entre les soumissionnaires. Les prix d’autres contrats auraient été gonflés avec la complicité de Gilles Surprenant qui avait réalisé les estimations des travaux à effectuer, précise-t-on.
La valeur de ces 23 contrats totalise 99,7 millions, mais la Ville soutient avoir payé 20,7 millions en trop. « Dans un marché libre de corruption et de collusion, les 23 contrats octroyés à CFC, que nous avons été en mesure d’identifier, auraient normalement donc dû être octroyés pour une somme totale approximative de 79 038 476,39 $», précise le sommaire décisionnel. « La différence s’élève donc à 20 735 183 $. »
À cette somme s’ajoutent des montants liés à des travaux non complétés de pavage, de construction de trottoirs et d’électricité que devait effectuer Construction Frank Catania dans le cadre du Faubourg Contrecoeur. Ces travaux devront donc être réalisés par la Ville et celle-ci estime à 2,9 millions la facture qu’elle devra assumer.
Éclaboussé par les scandales, le Groupe Catania avait entrepris en septembre dernier des procédures devant la Cour supérieure afin de liquider ses actifs. Dans le cadre de cette opération, les créanciers de Construction Frank Catania doivent déposer leur réclamation avant le 14 novembre pour espérer récupérer les sommes auxquelles ils jugent avoir droit.
Série de déboires
Autrefois très présente sur le marché de la construction à Montréal, Construction Frank Catania était habituée de décrocher des contrats auprès de la Ville de Montréal. Entre 2006 et 2009, elle avait obtenu pour 104,6 millions de contrats, devançant Construction Louisbourg et Entreprises Catcan à ce chapitre.
La prospérité de l’entreprise a commencé à être mise à mal lorsqu’a éclaté le scandale du Faubourg Contrecoeur, un projet immobilier dans l’est de Montréal. Puis, en mai 2012, son président, Paolo Catania, s’est fait arrêter par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) en lien avec cette affaire.
Rappelons que six autres personnes font aussi face à des accusations dans ce dossier, dont Frank Zampino, ancien bras droit de Gérald Tremblay. Ils sont soupçonnés d’avoir fait gonfler la facture de la décontamination du terrain que la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) avait vendu à l’entreprise en 2007.
Paolo Catania et ses associés font également face à 989 chefs d’accusation de Revenu Québec qui leur réclame 12,5 millions de dollars. Ils sont accusés d’avoir fait de fausses déclarations et d’avoir illégalement obtenu des crédits et des remboursements entre 2005 et 2009.
Bref, les affaires n’étaient plus aussi florissantes pour le Groupe Catania, qui avait cessé de solliciter des contrats à la Ville de Montréal. Les entreprises du Groupe ne détenaient même pas d’autorisation de l’Autorité des marchés financiers pour l’obtention de contrats publics. En septembre dernier, le liquidateur désigné, Christian Bourque, associé au sein du groupe Transactions de PricewaterhouseCoopers, avait indiqué au Devoir que dans ce contexte, il était devenu difficile pour les entreprises du Groupe Catania de poursuivre leurs activités.
L’argent de la corruption
Depuis le début des travaux de la commission Charbonneau, la Ville a entrepris des démarches sur plusieurs fronts pour récupérer l’argent englouti dans la corruption et la collusion. Elle a notamment déposé des griefs contre le syndicat représentant les ex-fonctionnaires Luc Leclerc et Gilles Surprenant qui, devant la commission Charbonneau, avaient reconnu avoir touché à des pots-de-vin. En juillet dernier, une entente à l’amiable a été conclue avec le syndicat et la Ville a pu récupérer 344 800 $ des deux anciens employés.
La Ville a également déposé une poursuite de 300 000 $ contre l’entrepreneur Lino Zambito, d’Infrabec, et contre l’ingénieur Michel Lalonde, de Genius conseil, pour de faux « extras ». En août dernier, elle a abandonné les procédures en échange de la collaboration des deux hommes.
COLLUSION ET CORRUPTION
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