Mon voisin le barbare

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Le monde sans limites






Scène d’époque.




Il y a quelques jours, je lis dans un café à deux pas de chez moi lorsque je constate que mes deux voisins se pensent dans leur salon.




Le premier écoute sur YouTube une vidéo. C’est peut-être un vidéoclip. Le volume est au maximum. Chanceux que nous sommes, tous les autres clients du café peuvent l’écouter avec lui.




À côté de lui, son copain joue à un jeu vidéo et là aussi, nous pouvons l’accompagner dans ses péripéties.




Je les regardais sans trop savoir que faire. En d’autres circonstances, je me serais levé pour leur demander de baisser le volume.




Pas cette fois.




Sans-gêne




Leur sans-gêne était tel que j’étais stupéfait et même un peu paralysé.




Mais la scène me semblait terriblement représentative de notre époque et de la nouvelle violence invisible qui domine notre vie quotidienne.




J’ai jonglé avec trois hypothèses.






Je chercherai à ne pas nuire à mon voisin, qui s’imposera la même contrainte.










Ceux qui s’en rendent coupables sont-ils absolument inconscients de la présence de leurs voisins? Est-ce qu’ils sont tellement dans leur bulle qu’ils en oublient tout simplement le monde extérieur? Ce n’est pas impossible.




C’est l’hypothèse la plus généreuse.




Autre possibilité: ils étaient conscients d’être dérangeants mais s’en fichaient un peu. Ils seraient alors moins inconscients qu’insouciants.




Troisième hypothèse, la pire, évidemment. Au fond d’eux-mêmes, ils savaient ce qu’ils faisaient. Ils arrivent dans un lieu public, ils s’étalent, prennent toute la place et l’occupent de manière sonore pour dire: nous sommes les maîtres, soumettez-vous à nos désirs.




Dans ce cas, ils agissaient comme de petits barbares fiers de marquer leur territoire, de dominer les autres clients. Il y a quelque chose d’animal dans cette agressivité.




Pourquoi est-ce que je raconte cette scène?




Parce qu’elle est désormais quotidienne dans les grandes villes.




Un trop grand nombre de nos contemporains adoptent le comportement d’un tyran en territoire conquis. Leurs désirs et leurs caprices sont des droits et les autres doivent s’y soumettre.




Sans quoi, ils pleureront en disant qu’on les persécute.




Nuisance




De plus en plus de gens ne se contentent plus de se parler discrètement au téléphone. Ils veulent se voir en même temps.




Alors ils s’installent sur une table centrale et avec leur téléphone intelligent, ils se parlent en se donnant en spectacle à la terre entière. Ou encore, ils gesticulent sur Skype de la même manière.




À moins qu’ils ne marchent dans la rue en hurlant dans leur machine.




On me traitera peut-être de grognon.




Mais rappelons un fait élémentaire: à l’origine de la société, il y a un pacte. Je chercherai à ne pas nuire à mon voisin, qui s’imposera la même contrainte.




Autrement dit, vivre en société, cela ne consiste pas à exprimer son identité et ses désirs sans réserve ni nuances. Cela consiste d’abord à se soucier de son prochain, à ne pas l’écraser ou l’incommoder.




L’école contemporaine croit le contraire et inculque aux jeunes générations l’idéal d’un monde sans limites. Elle transforme le moindre désir en absolu. Elle exacerbe le petit moi.




Elle fabrique des barbares fiers d’eux-mêmes.



 




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