Migrants tamouls - Contre la langue de bois antiterroriste

Ottawa — tendance fascisante


Près de 500 migrants tamouls sont arrivés le 13 août dernier, à bord du MV Sun Sea.
La crise actuelle au sujet de l'accueil des réfugiés tamouls a permis au gouvernement conservateur de réaffirmer sa conception des relations internationales, laquelle est moins guidée par l'éthique et le droit que par de soi-disant préoccupations sécuritaires. Comme dans de nombreux autres dossiers, la langue de bois antiterroriste est au Canada encore en usage, et cela sera le cas tant et aussi longtemps que la raison et la justice ne seront pas revenues à l'ordre du jour à Ottawa.
Il existe au moins deux types de raisonnements qui devraient nous amener à accorder un peu plus d'attention au sort des 492 migrants tamouls arrivés, le 13 août dernier, à bord du MV Sun Sea, qui sont aux prises avec nos services de sécurité depuis leur apparition près de la côte ouest du pays. Premièrement, nous avons vite réglé la question de la guerre civile au Sri Lanka en disant qu'elle est maintenant terminée. Deuxièmement, cette vision des choses nous permet trop facilement d'échapper à nos obligations morales et juridiques à l'égard des réfugiés, puisque s'ils ne fuient pas un conflit violent, on ne voit pas pourquoi nous aurions des devoirs à leur égard.
Guerre illégitime
Si la guerre prit officiellement fin en 2009, le moins qu'on puisse dire est que le cessez-le-feu n'a pas annoncé une nouvelle ère de justice. Il n'est absolument pas question ici d'exonérer l'une ou l'autre des parties de ses responsabilités. Ce fut, sans l'ombre d'un doute, une sale guerre. Mais enfin, si le gouvernement est sorti victorieux du conflit, la légitimité de son pouvoir dépendait de mesures politiques visant à empêcher toute forme de représailles et à garantir que justice soit rendue, quitte à ouvrir toutes grandes ses portes à des commissions internationales chargées de vérifier les accusations de crimes de guerre commis par l'un ou l'autre des belligérants.
Or, jusqu'ici, rien n'indique que de telles mesures existent. Pire encore, de nombreuses organisations, dont Amnistie internationale et Human Rights Watch, ont dénoncé le sort subi par les populations civiles tamoules depuis 2009. Selon ces organisations, on rapporte des milliers d'arrestations préventives — sans chefs d'accusation autres que le simple soupçon d'appartenir à des mouvements séparatistes —, sans parler des allégations de torture et de la répression de la liberté de pression et d'opinion. Une guerre n'est légitime que si elle débute pour une juste cause, par exemple la défense en riposte à une agression; que si elle respecte les conventions internationales du droit de la guerre; et que si elle prend fin dans des conditions acceptables.
Ce dernier point est encore trop souvent négligé, comme si les marques de la guerre disparaissaient une fois les accords de paix signés. Or, il n'y a pas de paix durable si elle suppose l'absence de discrimination entre les chefs politiques et militaires, d'une part, et les populations civiles, d'autre part. Il n'y a pas de paix stable si elle est faite au détriment des droits fondamentaux des vaincus. Il n'y a pas de paix viable sans que les criminels de guerre soient traduits en justice.
Contraire aux normes
Selon toutes les informations dont nous disposons, les membres de la communauté tamoule ont toutes les raisons de vouloir fuir leur pays à la recherche d'une terre d'accueil. On ne saurait donc disqualifier d'emblée les demandes des migrants du navire MV Sun Sea sous prétexte de sécurité nationale. Les repousser vers leur pays d'origine où ils feront l'objet des pires persécutions est contraire aux normes internationales, dont la Convention relative au statut des réfugiés, que le Canada a signée. On ne peut refuser à une personne le statut de réfugié politique sur la base de critères partiaux, de procès d'intention et de généralisations grotesques. Encore une fois, le gouvernement tire prétexte du manque d'information de la population pour afficher une attitude où le pouvoir exécutif l'emporte sur les législations en place.
Même si le Canada respectait ses obligations juridiques, nous ne pourrions faire fi du sort des réfugiés tamouls. Ce que nous nous devons les uns les autres ne s'arrête pas aux frontières de notre pays. Du point de vue du droit international, un réfugié est un réfugié, et si tel est le cas, il doit être traité comme tel. Moralement, nous devons notre aide à toute personne en détresse, quelle qu'elle soit. Devant l'étalage de cette détresse, nous avons habituellement le loisir de changer de chaîne de télé et de regarder ailleurs lorsque l'actualité internationale ne nous plaît pas. Mais dans le cas présent, nous ne pouvons pas même évoquer le prétexte d'un monde lointain et distant sur lequel nous n'avons aucune emprise. Nous ne le pouvons pas lorsque ce monde frappe à notre porte. Il faut, semble-t-il, le rappeler à ce gouvernement.
Respect des lois
Il y aurait tout un débat à faire sur le sens qu'il convient d'accorder au statut de réfugié, car les normes juridiques en vigueur ne sont peut-être pas encore à la hauteur de nos devoirs moraux. Pour le moment, tout ce que nous demandons ici au gouvernement est d'agir dans le respect des lois, et ce, en toute transparence.
S'il n'est pas vrai que tout Tamoul est une innocente victime et que nous devons donc lui accorder asile sans enquête ni vérification de ses dires, il est tout aussi irresponsable de cautionner l'amalgame scandaleux qui fait de tout Tamoul un dangereux terroriste. Le droit d'asile suppose une procédure longue et complexe, car ce ne sont pas de groupes mais d'individus dont il est question. On peut dénoncer des délais trop longs dans les examens de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, mais on ne peut pas lui reprocher de faire son travail. Encore faut-il qu'elle puisse le faire.
Jusqu'ici, la crise du MV Sun Sea a été gérée comme s'il s'agissait ni plus ni moins d'une équipée de pirates prêts à tout pour infiltrer le pays. Il serait naïf d'attribuer cette dérive au zèle de quelques fonctionnaires bornés. Tout porte à croire qu'il s'agit d'une énième manifestation de la manière dont ce gouvernement entend gérer les affaires du pays.
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Christian Nadeau - Professeur au Département de philosophie de l'Université de Montréal
et Martin Provencher - Chercheur invité au Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal

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Chercheur invité au Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal





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