Le 27 juin dernier, je lançais dans cette même page un appel aux constitutionnalistes québécois pour qu'ils nous expliquent en quoi imposer le régime général de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées porterait atteinte à la liberté garantie par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Cet appel est resté sans réponse. Je le réitère au moment où une commission parlementaire vient d'entreprendre ses travaux sur le projet de loi 103. Libéraux et péquistes s'entendent sur le fait que l'on ne peut appliquer la loi 101 aux écoles privées non subventionnées sans faire l'économie d'une clause dérogatoire. Mais il ne s'agit pas seulement de le claironner, il faut en faire une démonstration raisonnable.
Et si, de fait, on devait convaincre les citoyens qu'on ne peut faire autrement, j'estime que le gouvernement fait fausse route en proposant la loi 103. Mieux vaudrait explorer sérieusement la voie d'une modification constitutionnelle à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Légitimité de la loi 101
L'obstacle est d'abord politique. Mais à notre avis, il pourrait être possible de convaincre les autres provinces et Ottawa. Car de quoi s'agit-il? De les convaincre de la légitimité des objectifs de la loi 101 compte tenu de sa situation unique au Canada? La Cour suprême l'a déjà reconnue deux fois plutôt qu'une. Les provinces l'ont elles-mêmes reconnu implicitement en 1982 en acceptant que le critère de la «langue maternelle» prévu à l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 en matière de langue d'enseignement ne s'applique pas au Québec.
Sur le plan juridique, le problème essentiel à résoudre est celui du libellé de l'alinéa 23(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, dont le texte a été revu et corrigé subrepticement en 1982 de manière à satisfaire la communauté italo-québécoise. Ce libellé lui permettait d'espérer que ses enfants, qui avaient illégalement suivi l'enseignement en anglais sous la loi 22, puissent profiter de la nouvelle version de l'article 23(2), dont voici le texte:
«Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.»
Le Québec faisant partie du Canada, on comprend que la Cour suprême n'ait pas voulu aller contre un texte dont le libellé est clair. Il lui a donc fallu faire une gymnastique juridique pour conclure que, malgré la légitimité de l'objectif de la loi 101, le moyen arrêté par la loi 104 de ne pas comptabiliser les années passées à l'école privée non subventionnée était disproportionné par rapport à l'objectif. D'où cette invention du «parcours authentique»!
Droit à la mobilité
Il faudrait donc aller à la racine du problème, c'est-à-dire revoir le texte même de la Constitution. Il suffirait, pour se sortir de l'impasse, d'ajouter après l'article 23(2) ce qui suit (ou tout autre formule au même effet):
«Le précédent paragraphe ne s'applique, en ce qui concerne le Québec, qu'aux enfants qui ont reçu ou qui reçoivent leur enseignement dans la langue de la minorité anglophone dans une autre province ou un autre territoire du Canada.»
Cette formule devrait être acceptable aux autres provinces du Canada, car elle ne leur enlève strictement rien. En effet, elle ne porte pas ombrage au principe du droit à la mobilité des citoyens d'une province à l'autre, principe que le Québec avait déjà lui-même reconnu en 1977 en intégrant dans la loi 101 même le principe de réciprocité en matière de langue d'enseignement pour les minorités.
Est-il politiquement possible de convaincre les autres provinces? L'histoire des 30 dernières années, et surtout des années d'après Meech, rend indubitablement un tel projet difficile. Les libéraux appréhenderont au surplus qu'un échec ravive la flamme souverainiste. Mais ils doivent redouter encore plus les imbroglios qu'annonce à coup sûr le projet de loi 103. L'histoire de la loi 22 devrait leur servir de leçon à cet égard.
Rien à perdre
Aussi, toute l'Assemblée nationale devrait, au-delà des considérations stratégiques ou tactiques, se rallier autour de cet objectif commun prioritaire auquel tous disent solennellement souscrire: celui de faire du français la langue commune de tous les Québécois et Québécois, nouveaux comme anciens, objectif auquel concourt de façon primordiale le régime relatif à la langue d'enseignement.
Fort d'un consensus ferme de l'Assemblée nationale de voir modifier l'article 23 dans le sens des intérêts primordiaux du Québec, et ce, sans porter atteinte à ceux des autres Canadiens, il n'y a rien à perdre et tout à gagner de tenter de convaincre les autres provinces. Et s'il faut du temps pour y arriver, demander un sursis à la Cour suprême, faisons-le. Mais il faut avant tout de la volonté politique.
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Jean-Pierre Proulx - Journaliste et professeur à la retraite
Projet de loi 103
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