Le nouveau vice-président principal de Radio-Canada, Michel Bissonnette, est entré en poste lundi. Le Devoir propose un portrait et une entrevue avec ce vétéran de la télévision qui imposera maintenant ses façons de faire à ce qu’il appelle « la plus grande institution culturelle au pays ».
Claude Legault ne se souvient qu’une seule « chicane » avec Michel Bissonnette, mais « toute une », même s’il ne sait plus à quel sujet précisément. Le comédien et scénariste négociait la création de la série Minuit, le soir (2005-2007, à ICI Radio-Canada) avec le patron de la maison de production Zone et, cette journée-là, les échanges ont tourné en eau de boudin.
« La réunion avait été assez difficile et le problème avait laissé un froid, raconte M. Legault. Je ne me rappelle plus le sujet. Ça pouvait être l’argent ou la gestion de production, ou autre chose. Mais une des forces de Michel Bissonnette, c’est de ne pas laisser pourrir les problèmes. Il est revenu à la charge après s’être calmé de son bord et nous du nôtre. Et après ça, on s’est toujours très bien entendus avec Michel Bissonnette. »
Ce qui semble être le lot de bien du monde. Et l’ancien producteur, lui, se souvient de l’objet du litige : une question de statut, puisque les agents des scénaristes réclamaient une position de producteurs au contenu avec un droit de regard sur les budgets de la série. « Je ne pouvais pas me retrouver avec trois poursuites policières et quatre cascades qui feraient péter le budget », dit-il.
L’entrevue a eu lieu mercredi dans ses bureaux vétustes de la vieille Maison de Radio-Canada à Montréal. Michel Bissonnette, 49 ans, a été nommé en novembre après des mois d’un long processus de sélection pour prendre la vice-présidence des services français, prenant le relais de Louis Lalande. Il est entré en fonction lundi.
Deux qualités
« Le comité a été assez costaud, je pense, et je comprends pourquoi Michel a été choisi : c’est un dirigeant exceptionnellement doué », dit André Larin, président de Zone 3, joint sur une île du Sud où il est en vacances. Lui et Michel Bissonnette ont cofondé en 2000 la compagnie qui allait devenir la plus importante du secteur au Québec avec plus de 50 productions l’an dernier. « Je suis content pour Radio-Canada et désolé pour Zone 3. »
Louise Lantagne se réjouit aussi pour la société d’État, où elle a passé presque deux décennies avant de devenir vice-présidente (fiction, long métrage et documentaire) chez Attraction image, en 2014. Elle pilotait le secteur des dramatiques de la télé généraliste quand Michel Bissonnette, producteur de la maison Zone 3, est venu lui proposer Minuit, le soir.
« Michel Bissonnette a deux qualités fondamentales qui en font un excellent dirigeant, dit-elle. C’est un homme extrêmement stratégique, brillant, analytique et, en même temps, c’est un homme capable d’émotion et de compassion. Pour moi, c’est très important pour gérer la création et pour occuper la fonction qu’il occupe maintenant. À la télé, les créateurs ont besoin d’être aimés et soutenus, et il faut avoir le talent pour le faire tout en sachant les orienter stratégiquement. Il faut aimer gérer la folie dans un sens, dans le sens de l’audace et de la marge. »
Le public de l’info
Mme Lantagne a donc fait le parcours inverse de M. Bissonnette entre le privé et le public. Elle parle de Radio-Canada comme de « l’institution culturelle la plus importante du Québec et du Canada français ». Son nouveau dirigeant reprend la formule en entrevue.
Seulement, ce consortium médiatique d’État (quatre chaînes télé, des dizaines d’antennes radio, plusieurs nouvelles plateformes, dont tou.tv) fait aussi face à d’énormes défis numériques, publicitaires et même ontologiques, son mandat étant en réévaluation.
« Le plus grand défi de Michel Bissonnette, à mon avis, c’est de garder la focalisation sur ce que doit être le service public, dit Mme Lantagne. Un service public n’a pas à être indûment en concurrence commerciale avec tout le monde autour de lui, mais il doit quand même demeurer pertinent et être écouté. Le gouvernement n’hésitera pas à fermer un service public sans public. Radio-Canada doit jouer sur une ligne fine, et c’est pour garder cette ligne qu’il est subventionné. »
Un autre défi évident concerne l’information. Par tradition, sauf erreur, les prédécesseurs de M. Bissonnette avaient tous de l’expérience journalistique, le mandat de base de Radio-Canada l’obligeant à divertir et à informer la population.
« Il vient de la production privée, observe Mme Lantagne. Il n’a pas dirigé le secteur de l’information. Mais il a été très actif politiquement. Il a déjà été président des jeunes libéraux du Québec. Qui dit politique dit société et grands enjeux. Je reviens à son côté stratégique. Ce n’est pas lui qui va écrire les nouvelles, mais c’est lui qui pourra défendre le service public tant pour le secteur général que pour l’information. Je pense qu’il a suffisamment frayé avec ce milieu pour avoir l’intelligence de cet écosystème. »
De la politique
Michel Bissonnette a dirigé la Commission-Jeunesse (CJ) du PLQ de 1989 à 1991. Un certain Mario Dumont l’a ensuite remplacé avant de claquer la porte du parti en 1992.
La nouvelle députée libérale de Verdun, Isabelle Melançon, l’a connu en 2003. « Michel Bissonnette a été un très, très grand président de la CJ, dit-elle. On me demande parfois ce qu’apporte la politique. Je réponds que cette discipline apprend à définir une pensée en se fondant sur des valeurs. »
Elle ajoute qu’elle ne connaît pas d’ennemis au nouveau v.-p. de Radio-Canada. « C’est le gars intelligent et sympathique que tout le monde aime et respecte. Il a aussi un pif exceptionnel pour reconnaître les qualités d’un scénario ou d’une personne. Il en fallait, par exemple, pour oser produire Minuit, le soir. »
Mettre l’accent sur le numérique
C’est un chasseur de têtes qui vous a approché pour le poste. Aviez-vous déjà manifesté un intérêt à RC ?
Non, c’est la première fois. Mais c’est drôle, quand j’étais petit, on habitait sur la Rive-Sud, et on passait en auto devant Radio-Canada. Je pensais vraiment que les personnages de La Ribouldingue et de toutes les émissions habitaient dans chacun des étages ! […] Il y a quelque chose que j’idéalise ici, et la marque de Radio-Canada signifie beaucoup.
Vous arrivez alors que la tempête semble se calmer. Quels sont les défis devant vous ?
Je veux qu’on défende davantage l’importance et la pertinence du diffuseur public, où on va pouvoir pousser davantage sur le numérique. Et qu’on définisse un modèle d’affaires viable financièrement à long terme, et s’assurer qu’on est et qu’on reste un espace de création qui attire les gens.
Pousser le numérique, ça veut dire quoi ?
Je pense à un projet comme Prochaine génération, du journalisme fait par des gens de moins de 30 ans pour une clientèle qui a moins de 30 ans. Sans le numérique, Radio-Canada ne pourrait pas faire ça. Des initiatives du genre, j’ai le goût de les multiplier, pour qu’on puisse tester et apprendre. Et sincèrement, je revendique le droit à l’erreur. Je trouve que c’est un des privilèges de la télévision publique, d’oser des choses, si ça marche bien, tant mieux. Si on a fait une erreur, ben qu’on essaie de ne pas la refaire deux fois.
Le numérique, c’est aussi lutter contre Netflix
Je pense que Tou.tv, ce modèle-là d’un Netflix francophone, répond assurément à un besoin, et c’est important qu’on prenne cette place-là, sinon la clientèle va migrer vers du contenu anglophone, ce qui n’est pas salutaire à mon avis pour l’avenir de notre culture.
Financièrement, quels sont les défis de RC ?
La nouvelle génération se désabonne du câble, qui lui ne contribue plus autant au Fonds des médias, et les annonceurs décident maintenant de dépenser une partie importante de leur argent sur le numérique, mais 80 % de cet argent va à Facebook ou Google. Donc il y a lieu de dire « alerte ». […] Comment on peut générer d’autres revenus, notamment par l’exportation de nos séries ? Tout le dilemme est là.
L’information, c’est un peu votre angle mort, non ?
Je ne pense pas. Ce n’est pas la dominante dans mon background, c’est un profil où je détonne par rapport à mes prédécesseurs, j’en suis conscient. Mais j’aime l’information, et je suis 100 % conscient que l’information à RC, c’est l’élément principal de son ADN, ce qui le définit comme diffuseur public. Dans l’équilibre de notre démocratie, d’avoir cette source d’information, et à travers le pays, c’est capital.
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