Vrai que la question nationale risque d’être léguée à l’arrière-plan lors de la prochaine élection québécoise; doit-on s’en réjouir? Non.
Les uns disent que les Québécois « sont passés à autre chose »; les autres disent que la question constitutionnelle « ne relève pas des vraies affaires », ce qui en soi, est une insulte à ce qui fonde, définit et guide les nations.
Dans les faits, les Québécois sont fort probablement essoufflés, las, tannés d’en entendre parler. Ils se sont habitués aux « limbes constitutionnelles ». À cet état de non-nation dans laquelle ils se trouvent. Ni dans le Canada, ni en dehors.
Le temps qui passe s’occupera du reste.
L’indépendance sublimée
Il m’arrive parfois de discuter avec des gens qui se complaisent dans une vision sublimée de l’indépendance pour palier le fait que le Québec n’ait jamais encore réussi à accomplir son indépendance nationale.
Dans son livre Défense et illustration de la langue québécoise, la poète et écrivaine Michèle Lalonde exprime de manière claire, brutale, comment la situation historique du Québec « non-indépendant » le condamne à l’oubli, à « l’intimité ». Une lecture récente pour moi mais un livre écrit en 1979, à l’aube du premier référendum. Une lecture si pertinente encore aujourd’hui. Un extrait :
« Je ne vois pas les Québécois réunis sous un sceptre audacieux capable de les mener très, très loin. Mais au contraire, à peine peuvent-ils s’aventurer hors de leur demeure sans être cernés de toutes parts par des puissances étrangères, tantôt Anglaise, tantôt Américaine [...] qui les repoussent à leur bon plaisir et les soumettent à leurs lois et privilèges [...]
Je ne les vois pas davantage formant d’ores et déjà aux yeux du monde une Nation même malaisément et modestement souveraine; et quoique une foule d’entre eux se proclament fièrement Québécois et se sentent déjà tout indépendants dans leur for intérieur, je ne sache pas que cette excellente disposition psychologique soit bel et bien reconnue par aucune disposition de nos lois ou proclamation d’Indépendance très réelle et claire, entendue des Nations-Unies.
Pour parler brièvement et brutalement, c’est mettre la charrue devant les bœufs de l’Histoire que de vouloir fêter l’autonomie de la langue Kébécoise du futur, quand la nation qui veut la parler ne parvient même pas au jour d’aujourd’hui à conjuguer ses forces au présent de l’indicatif...
En mon âme honnête et conscience, je ne puis donc m’imaginer plus longtemps dans la peau confortable de Du Bellay, qui soutenait avec optimisme une nation autonome en plein essor économique, politique et culturel, déjà affirmée à haute voix de par le monde; mais je dois plutôt me sentir dans la peau de chagrin de celui qui entreprend la défense héroïque d’un peuple faible et assiégé, qui n’a le verbe haut que dans l’intimité de sa cuisine... »*
Je sais, certains trouveront ces mots très durs. D’autres hurleront que le Québec rayonne de par le monde, déjà, et en moult disciplines. Ce n’est pas faux. Mais sur le plancher des vaches, peut-on croire que la nation québécoise est au point de se vouloir naître?
Est-elle sur le déclin ou en plein essor quand au moment crucial d’un choix démocratique important, une large part de sa population semble vouloir cautionner le « démantèlement tranquille » des institutions qui ont forgé son identité, sa spécificité, sa distinction?
Quand, sur la question essentielle de la langue commune, cette nation accepte, par dépit, que sa métropole, inéluctablement, s’anglicise et se sépare, s'obstinant même d'afficher le drapeau de la nation; qu’elle refuse d’assumer pleinement sa langue officielle par des dispositions législatives qui déplairont à quelques uns, mais qui assureront la pérennité de la langue commune de l’ensemble...
Quand la réussite politique des élites qui tendent à vouloir la gouverner s’incarnent par la négation pure et simple de son affirmation nationale? Ce qui conduira inéluctablement à son assimilation. Car le statu quo n’existe pas dans le développement socio-démographique des nations. Soit on tend vers l’autodétermination, soit on glisse vers l’assimilation.
Ceux qui vous affirment le contraire par le truchement de mantras bêtes comme « Québec fort dans un Canada uni » vous mentent. Et ils le savent qu’ils vous emmènent en bateau.
On peut bien être tannés, écoeurés d’entendre parler de la question nationale mais faire le choix de ne pas régler la situation constitutionnelle du Québec c’est, intrinsèquement, prendre position.
*Dans son ouvrage, Michèle Lalonde usait de la forme de l’ancien français, celui de l’époque de Du Bellay, j’ai francisé certains termes pour la clarté du propos.