Médicaments : facturer trois fois ses honoraires pour un seul et même geste

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Racket des pharmaciens : une surfacturation délirante permise par le régime d'assurance-médicament


Au Québec, si vous êtes couvert par le régime public d'assurance médicaments et que vous souhaitez renouveler votre ordonnance pour trois mois, votre pharmacien vous facturera trois fois ses honoraires. Explications.




Philippe Mackay est un jeune retraité. Il est couvert par le régime public d’assurance médicaments. Sa santé est bonne, mais sa pression artérielle est un peu trop élevée. Il doit prendre des médicaments au quotidien pour le restant de ses jours.


Pour faire des économies, il demande à son pharmacien de lui donner son médicament pour une période de trois mois.



Ce sont des pilules pour la haute pression. Ce ne sont pas des anxiolytiques, ce n’est pas de la morphine, des choses qui se revendent sur le marché noir.


Philippe Mackay


Facturer trois fois les honoraires


À son grand étonnement, il réalise, en regardant sa facture, que le pharmacien lui a facturé trois fois ses honoraires.


Philippe Mackay.Philippe Mackay Photo : Radio-Canada / La facture


C'est une chose que je trouve aberrante qu'on puisse nous charger [...] de multiples fois, alors qu'il fait un seul geste. En réalité, le pharmacien a regardé mon dossier une fois, et il a pris trois petites boîtes et il a mis ça dans un sac. Moi je me dis : "Tu poses un geste, charge-moi une fois".


Philippe Mackay


Pour savoir si toutes les pharmacies fonctionnent de la même façon, il décide de mener son enquête.



Des réponses surprenantes


Philippe Mackay arrive au comptoir d’une pharmacie et cherche à se procurer son médicament pour 12 mois. « Vous allez payer les honoraires de pharmaciens 12 fois », lui dit-on au comptoir. Facturer 12 fois les honoraires, ce n’est pas possible. Mais ça, Philippe Mackay l’apprendra plus tard.



Dans une autre pharmacie, il demande une estimation pour l’achat de son médicament pour 12 mois. Il veut savoir combien il économiserait sur les honoraires. On lui répond : « Il faudrait faire votre dossier et avoir votre ordonnance. C'est tout informatisé. C'est pas nous qui calculons. »



Philippe Mackay est stupéfait. « Elle ne peut pas me dire d'avance combien ça va me coûter. Si on fait réparer sa voiture [ou si] on appelle un plombier, ils vont nous faire un devis. »


Il se présente dans une quatrième pharmacie, où il remet son ordonnance au comptoir. À sa grande surprise, le pharmacien accepte de lui servir six boîtes de pilules, pour six mois. Et il facture seulement trois fois les honoraires : « Il y a un maximum; je peux vous charger trois mois d'honoraires. »


Peu de gens le savent, mais trois mois d’honoraires, c’est aussi le maximum qu’un pharmacien peut vous facturer.


« À ce stade-ci, je sauve trois mois d'honoraires de pharmacien. Je trouve que ça valait la peine », lance Philippe Mackay.


Une vingtaine de dollars d’économies pour un seul médicament. Imaginez si Philippe Mackay en avait plusieurs.


Des honoraires approuvés par le gouvernement


Les honoraires des pharmaciens, quand on est assuré par le régime public d’assurance médicaments, sont négociés par le gouvernement du Québec et l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP).


Des honoraires qui tournent généralement autour de 9 $ par médicament.


Facturer trois fois, pour un seul et même geste, fait partie de cette entente. C’est officiellement approuvé par le gouvernement. L’AQPP a refusé de nous expliquer sa position. La ministre québécoise de la Santé, Danielle McCann, a également refusé notre demande d’entrevue.


Des économies substantielles


Quand ça ne pose aucun risque pour la santé, certaines provinces encouragent le renouvellement de médicaments tous les trois mois. Mais au Québec, le renouvellement mensuel est une pratique bien ancrée.



« Grosso modo, c'est comme si je vous obligeais à faire votre changement d'huile tous les mois », note Marc-André Gagnon, professeur à l’École d’administration et de politique publique de l’Université Carleton, à Ottawa. Ce spécialiste des politiques pharmaceutiques croit qu’il est grand temps de revoir le régime d’assurance médicaments au Québec.


Marc-André Gagnon.Marc-André Gagnon, professeur à l’École d’administration et de politique publique de l’Université Carleton Photo : Radio-Canada / La facture


Les études ont montré qu'on pouvait économiser autour de 364 millions de dollars par année. Ça, ce sont les frais supplémentaires qu'on dépense pour avoir le renouvellement mensuel.


Marc-André Gagnon, professeur à l’Université Carleton




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