La Suède a été le premier pays au monde à instaurer et à garantir par loi la liberté de presse, mais aussi en même temps le droit d’accès à l’information. C’était en 1776, année de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, en plein siècle des Lumières.
Dans une célèbre formule, le philosophe Jürgen Habermas lie la diffusion des idées et des opinions libres par la presse qui se développe alors au « principe de publicité » décrit comme « l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison ». L’espace public ainsi constitué devient « une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir d’État », mais aussi un moyen d’établir des normes de conduite par une « communication rationnelle ».
Les lumières n’éclairent pas beaucoup du côté d’Hydro-Québec, où le principe de publicité semble uniquement conçu dans la perspective des agences de marketing. La promotion de l’entreprise publique, d’accord. La critique publique, non merci.
La société d’État s’entête depuis bientôt cinq ans à ne pas divulguer les informations réclamées par un journaliste. William Leclerc, en poste à Ottawa pour Gesca, a demandé le 13 juin 2008 « la ou les listes de tous les contrats octroyés depuis le 1er janvier » par le très gros donneur d’ouvrage. Il réclamait aussi copie des « études, rapports et sondages » commandés par l’entreprise d’État qui a mis un petit mois pour rejeter les demandes. En août, M. Leclerc s’est donc adressé personnellement à la Commission d’accès à l’information pour faire réviser la demande. Il se défendait tout seul, comme d’habitude et comme un grand.
Les fin finauds d’Hydro ont alors sorti un hideux joker de leur jeu malicieux en défendant l’irrecevabilité de la démarche sous prétexte que la requête signée par M. Leclerc en son nom propre arrivait en fait du média qui l’emploie. En conséquence, ont défendu les avocats de la société d’État, le journaliste devait se faire représenter par un avocat. La Commission a tranché en faveur du reporter, Hydro-Québec a contesté la décision en appel et la Cour a finalement maintenu la décision dans un jugement rendu la semaine dernière.
Dans sa décision, le juge Serge Champoux rappelle le principe de base de la Loi d’accès à l’information, soit « l’accessibilité du renseignement » et « son caractère public ». Il évoque le principe de publicité quoi, et il souligne que l’identité du demandeur ou ses motivations n’ont rien à voir, un point, c’est tout.
Principe de précaution
La cause est à ce point importante qu’une coalition de médias (comprenant Le Devoir) alliée à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec s’est formée pour appuyer la démarche de La Presse. Le Barreau du Québec est aussi intervenu dans cette bataille où s’entremêlent les intérêts corporatistes et les principes fondamentaux.
La possibilité de poursuivre le combat à un palier juridique plus élevé demeure. Hydro-Québec dit maintenant « prendre connaissance de la décision » et étudier ses options. La société a 30 jours pour lancer de nouvelles procédures.
La triste affaire pourrait donc perdurer. La demande initiale date déjà de quatre ans et demi. Plus de 66 longs mois de blocage pour ne pas diffuser publiquement une liste des contrats négociés et des sondages commandés par une entreprise publique avec de l’argent public. Il a fallu à peu près le même temps de pression médiatique, populaire et politique pour forcer la main du gouvernement qui a finalement mis en place la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction.
La transparence administrative est et demeure un des principaux obstacles à la corruption et à la collusion. Sans elle, les rapports d’affaires entre l’État et les entreprises privées peuvent s’enfermer dans le secret et multiplier les occasions de magouilles. L’idée, ce n’est pas que tout est mauvais et que les coquins sont partout. L’idée, c’est plutôt qu’il vaut mieux se méfier en appliquant un simple principe de précaution permettant à chacun de surveiller ceux qui dépensent l’argent de tous.
L’entêtement d’Hydro-Québec, qui a toutes les apparences d’une tentative de bâillon, rappelle aussi les immenses faiblesses de la loi québécoise sur l’accès aux documents gouvernementaux. L’an dernier, l’Association canadienne des journalistes a encore remis le bonnet d’âne au Québec dans son étude comparative des lois provinciales et fédérale sur l’accès à l’information. Avec le temps, après trois décennies, comme le résumait récemment le rédacteur de cette législation, Me Jules Brière, « l’intérêt public a été assujetti à l’intérêt privé ».
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé