Le 17 septembre dernier, Justin Trudeau a servi au Québec un nouveau camouflet, un autre!
Il n’entend pas étendre la loi 101 aux entreprises de juridiction fédérale. Évidemment, dire non au Québec peut lui faire perdre des appuis chez nous. Le chef des fédéraux a donc utilisé comme prétexte la COVID-19 pour justifier sa fin de non-recevoir. Il faudrait toutefois être naïf pour croire que si ce n’était pas de l’épidémie actuelle, le premier ministre canadien acquiescerait aux demandes québécoises.
Censurer le débat constitutionnel pour étouffer les souverainistes
On se rappellera d’abord qu’en 2017, quand Philippe Couillard a présenté sa timide Politique d'affirmation du Québec et de relations canadiennes, Trudeau a fermé la porte à toutes revendications constitutionnelles québécoises en refusant sur le champ d’en parler. Le fédéral voulait plutôt s’occuper des soi-disant «vraies affaires», c’est-à-dire d’économie, comme si on ne pouvait pas marcher et mâcher de la gomme en même temps.
Quand ils étaient au pouvoir, les conservateurs n’ont pas agi différemment. En 2013, j’ai publié La Bataille de Londres et un scandale éclatait concernant mes révélations sur le rôle scabreux de la Cour suprême lors du rapatriement constitutionnel. Ces révélations étaient tirées d’informations venant des archives britanniques. Les fédéraux, eux, m’avaient remis des photocopies d’archives constitutionnelles qui étaient largement caviardées. À la suite de cette publication, l’Assemblée nationale du Québec a voté unanimement une motion demandant l’accès à toutes les archives fédérales concernant la Constitution de 82. Harper a immédiatement dit non à cette demande toute simple.
Le gouvernement d’alors, appuyé sans surprise par les libéraux, a justifié cette décision en disant qu’il n’avait pas l’intention de «rouvrir les vieilles chicanes constitutionnelles», tout en utilisant cette vieille cassette, suivant laquelle «la priorité, c’est l’économie». Qu’on me permette de soulever l’absurdité de prétendre que la publication de documents pourrait nuire à l’économie. En fait, cette parade entendue mille et une fois pourrait même se retourner contre le fédéral: le contenu des documents qu’on nous cache est-il si subversif qu’il mettrait en danger l’économie canadienne?
Bref, la rengaine change sur la forme, mais demeure sur le fond. Toutes les excuses sont bonnes pour dire non au Québec: hier c’était l’économie, aujourd’hui c’est la COVID-19. Pourquoi les fédéraux ne veulent-ils pas discuter des demandes québécoises? Parce qu’ils sont parfaitement conscients d’une chose. Chaque fois que les pouvoirs du Québec sont ramenés à la table de négociation, infailliblement lorsqu’on discute de constitution, ne serait-ce que des archives constitutionnelles, les forces indépendantistes prennent de la vigueur. Les innombrables refus d’Ottawa visent en réalité à empêcher tout débat constitutionnel pour mieux étouffer le mouvement souverainiste.
Certains pourraient s’attendre à ce que le gouvernement prétendument nationaliste de la CAQ se tienne debout face à un gouvernement fédéral sourd aux demandes de Québec. Dans les dernières semaines, Simon Jolin-Barrette a promis gros avec un plan de la protection de la langue française qui reste à être dévoilé. Il a aussitôt déçu, toutefois, en s’engageant à ne pas évoquer la clause dérogatoire qui protégerait partiellement une nouvelle loi 101 d’une invalidation par les juges fédéraux. On peut ainsi s’attendre à ce que les belles promesses de Jolin-Barrette soient charcutées par la Cour suprême dans les prochaines années, comme elle l’a fait si souvent en matière linguistique.
Legault doit livrer bataille
Un gouvernement nationaliste digne de ce nom ne devrait pourtant pas reconnaître la légitimité de la Charte canadienne, qui nous est imposée sans notre consentement dans nos champs de compétence. La dérogation devrait aller de soi pour les lois votées démocratiquement par l’Assemblée nationale. La CAQ l’a fait pour la loi 21, elle doit continuer dans cette voie.
François Legault a promis à maintes reprises de livrer bataille pour obtenir plus d’autonomie d’Ottawa, notamment en matière de langue. Il a le pouvoir de forcer une négociation constitutionnelle sur cet enjeu (et sur d’autres également), suivant une règle en vigueur depuis 1998, mais qui n’a jamais été utilisée. Philippe Couillard a refusé d’y recourir en 2017, mais le chef caquiste n’est pas obligé d’imiter son prédécesseur. Invoquer l’obligation de négocier donnerait à coup sûr au Québec un rapport de force. Si notre premier ministre refuse de le faire, il doit à mon sens laisser sa place à quelqu’un qui n’hésitera pas à forcer la main des fédéraux et celle du Canada anglais.
– Frédéric Bastien
Candidat à la chefferie du Parti québécois