Le gouvernement du Québec ne pourrait avoir recours à la clause dérogatoire pour maintenir la disposition de la loi 101, jugée inconstitutionnelle par la Cour d'appel, qui restreint l'accès à l'école anglaise pour les enfants ayant fréquenté des écoles anglaises privées non subventionnées.
Dans leur jugement rendu public mercredi, les juges Allan Hilton et Pierre Dalphond concluaient que la loi 104, qui stipule que la fréquentation d'une école anglaise non subventionnée ne donne pas accès au certificat d'admissibilité à l'éducation en anglais, contrevenait à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, garantissant «le droit à l'instruction dans la langue de la minorité».
Si l'appel de Québec en Cour suprême ne permettait pas de renverser le jugement, le gouvernement ne pourrait maintenir la mesure en ayant recours à la clause dérogatoire, comme l'ont suggéré plusieurs intervenants cette semaine. La dérogation -- aussi appelée «clause nonobstant» -- peut être utilisée uniquement pour les articles 2 ainsi que 7 à 15 de la Charte.
Selon l'ancien mandarin de l'État québécois Louis Bernard, qui était aux côtés de René Lévesque lors des négociations constitutionnelles du début des années 1980, c'est précisément une des raisons expliquant le refus du fondateur du Parti québécois de faire adhérer le Québec à la Constitution canadienne, une politique qui a été maintenue par les gouvernements successifs jusqu'à ce jour. «M. Lévesque a dit à plusieurs reprises que l'Assemblée nationale perdait une partie de sa compétence sur l'éducation, ce qui était inacceptable», souligne M. Bernard.
La clause dérogatoire peut être invoquée essentiellement lorsqu'il est question de libertés fondamentales, de garanties des droits juridiques et de protection contre la discrimination. «Les droits linguistiques, politiques et en lien avec la liberté de circulation, soit le droit des citoyens à s'établir partout au Canada, ne peuvent être soumis à la clause dérogatoire. Lorsqu'on regarde ce qu'ont en commun ces articles, on constate qu'ils sont tous liés à la construction de l'identité canadienne», note le professeur de droit constitutionnel José Woerling, de l'Université de Montréal.
Ce dernier estime qu'il y a de bonnes chances que la Cour suprême renverse le jugement de la Cour d'appel en faisant appel à une interprétation contextuelle du texte plutôt que littérale, puisque le législateur visait essentiellement à garantir la mobilité des citoyens entre les provinces.
Si toutefois ce n'était pas le cas, une des seules avenues possibles pour que Québec colmate la brèche dans la loi 101 serait d'assujettir les écoles privées non subventionnées à la loi 101, exigeant que seuls les élèves ayant déjà un certificat d'admissibilité à l'école anglaise puissent s'y inscrire. Cette hypothèse avait été évoquée par le juge Pierre Dalphond dans le texte de sa décision. «Cela s'est déjà fait en Suisse ou dans certains États américains», note M. Woerling.
Le juge qui a signé la décision majoritaire, Allan Hilton, a toutefois écarté cette possibilité, estimant qu'elle poserait d'autres problèmes juridiques. La professeure de droit constitutionnel Eugénie Brouillette, de l'Université Laval, estime elle aussi que le jeu pourrait être risqué juridiquement. «Sur le plan politique, ce serait une première dans l'histoire de la législation que de remettre en cause le libre choix des parents à l'école privée non subventionnée», fait-elle observer.
Depuis son adoption par neuf des dix provinces en 1982, la Charte canadienne a permis d'invalider plusieurs dispositions de la loi 101. Ce fut notamment le cas pour l'affichage unilingue français et l'obligation pour les enfants de Canadiens ayant fréquenté des écoles anglaises à l'extérieur du Québec de poursuivre leur scolarité en français au Québec.
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