Québec solidaire (QS) nuit à la cause indépendantiste, a affirmé Jean-François Lisée en entrevue éditoriale à La Presse, hier. À ses yeux, l'essor du parti profite surtout au Parti libéral (PLQ) et à la Coalition avenir Québec (CAQ), au détriment du « bien commun ».
« Les libéraux sont morts de rire », a-t-il lâché au cours d'une entrevue d'une heure dans nos locaux.
Au fil de la conversation, le chef du Parti québécois (PQ) n'a pas caché sa déception devant la tentative avortée de « convergence » à laquelle il a travaillé l'an dernier. Les deux partis étaient « à un cheveu » d'une « entente historique » pour convenir d'une feuille de route vers l'indépendance, a-t-il relaté.
Le document en question a été signé par deux négociateurs de QS, Andrés Fontecilla et Monique Moisan. Ceux-ci ont toutefois été désavoués par le Comité de coordination, l'instance dirigeante du parti.
Pour le chef péquiste, il est évident que ce rapprochement a été saboté par des solidaires qui « ont une stratégie qui ne met pas l'indépendance avant leurs intérêts partisans ».
« Ils ne voulaient pas faire la convergence avec Pierre Karl [Péladeau], ils ne voulaient pas faire la convergence avec moi, ils n'auraient pas voulu la faire avec Véronique Hivon, a déploré M. Lisée. Ils ne veulent pas. Ce qu'ils veulent, c'est faire accroître le pouvoir de leur parti, point à la ligne. »
« BIEN COMMUN »
Une alliance électorale entre les deux partis progressistes favorables à l'indépendance aurait pourtant servi le « bien commun », estime le chef péquiste. En outre, elle aurait permis de faire contrepoids au PLQ et à la CAQ, qui trônent maintenant en tête des intentions de vote alors que le PQ et QS se trouvent loin derrière, selon un sondage Ipsos-La Presse-Global News qui paraît ce matin.
En fait, la combinaison du vote péquiste et du vote solidaire dépasse largement les appuis des deux autres partis par six points, révèle cette enquête.
« Le bien commun, c'est qu'on n'ait pas quatre ans de plus de Parti libéral, c'est qu'on n'ouvre pas la voie à un parti comme la CAQ, c'est ça, le bien commun. Je pense que ça valait le coup de le faire. » - Jean-François Lisée, chef du Parti québécois
Pour appuyer son propos, il a rappelé l'exemple de Pierre Bourgault, ancien dirigeant du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN). En 1968, il a dissous cette formation politique et appelé ses membres à rejoindre le Parti québécois.
« Il a dit : "Mon objectif, ce n'est pas le pouvoir du RIN, mon objectif, c'est l'indépendance du Québec. Et même si je n'ai aucun atome crochu avec René Lévesque - aucun ! -, je veux que le RIN soit dans le PQ et, de l'intérieur, on fera ce qu'on peut pour le tirer vers la gauche. Mais l'intérêt de notre objectif commun est plus important" », a souligné M. Lisée
Jean-François Lisée a pris tout le monde de court, jeudi dernier, lorsqu'il a profité du dernier débat des chefs pour demander à Manon Massé qui « tire les ficelles » derrière Québec solidaire. Il a depuis multiplié les attaques contre le parti de gauche, l'accusant d'être dirigé par un chef occulte, de cacher ses véritables intentions et d'être noyauté par un courant « sectaire, dogmatique, ancré dans le marxisme ».
COALITION IMPOSSIBLE
Il sera impossible pour un éventuel gouvernement minoritaire de former une coalition afin de gouverner le Québec pour quatre ans, estime Jean-François Lisée. « Les différences sont tellement grandes entre les partis que, ce que je vois, c'est un gouvernement minoritaire qui doit négocier avec les autres partis pour faire passer ses politiques », a-t-il dit. Il a promis de tout faire pour empêcher un gouvernement caquiste minoritaire d'expulser des immigrants. Et si c'est le PQ qui forme un gouvernement minoritaire, M. Lisée a assuré qu'il ne précipiterait pas la tenue d'élections. Il cherchera plutôt à former des alliances de circonstance pendant toute la durée de son mandat.
AUTRES THÈMES DISCUTÉS PENDANT L'ENTREVUE
ÉCOLES PRIVÉES
Les écoles privées devraient accueillir davantage d'élèves en difficulté sous un gouvernement du Parti québécois, a prévenu Jean-François Lisée. Faute de quoi, elles verraient leur financement amputé de manière « significative ». Un gouvernement péquiste ne mettrait pas en cause les programmes enrichis ou les programmes d'études internationales. En revanche, il souhaite davantage d'équité, en particulier dans les établissements privés. « Plus tu fais ta juste part, plus tu gardes ton financement actuel, a résumé M. Lisée. Moins tu fais ta juste part, plus tu perds ton financement, et cet argent-là, on va le mettre dans le secteur public. »
FRANÇAIS : DES « FEUX JAUNES »
Bien qu'il ne craigne pas comme François Legault que « nos petits-enfants » ne parlent plus français, Jean-François Lisée dit voir des « feux jaunes » dans les statistiques sur l'état de la langue. Certes, 94 % des Québécois peuvent tenir une conversation en français, a-t-il noté. Mais six emplois sur dix requièrent la connaissance de l'anglais à Montréal. Et la proportion des lieux de travail où le bilinguisme intégral a cours a doublé pour atteindre 12 %. « Ce sont des tendances qui nous envoient des feux jaunes », a-t-il dit.
NON À UN AUTRE McINNIS
Bien qu'il ait fait partie du gouvernement qui a lancé Ciment McInnis, le projet industriel le plus polluant de l'histoire du Québec, Jean-François Lisée dirait non à une initiative semblable s'il devenait premier ministre. Le chef péquiste a affirmé qu'il n'approuverait aucun projet qui augmente de manière significative les émissions québécoises de gaz à effet de serre (GES). « C'est sûr qu'un projet qui arriverait et qui changerait l'équilibre des GES au Québec ne serait tout simplement pas acceptable, a-t-il dit. Ce n'est tout simplement pas la peine de nous appeler. » Cela dit, il ne se « désolidarise pas » de la décision du gouvernement Marois sur Ciment McInnis.
APPUI À MICHAËLLE JEAN
Jean-François Lisée a causé une certaine surprise, hier, en appuyant la candidature de Michaëlle Jean à la tête de l'Organisation internationale de la francophonie. L'ancienne gouverneure générale a été critiquée pour sa manière de gérer l'organisme. Elle tente de se faire réélire face à la Rwandaise Louise Mushikiwabo, a souligné M. Lisée. « Dans l'état actuel de notre connaissance des dossiers, il y a des choses qui sont discutables, désagréables, qui font qu'on a des réserves sur la candidature de Mme Jean, a convenu M. Lisée. Mais dans ce que j'ai entendu, il n'y a rien qui va au-delà des critiques. » Le gouvernement Couillard appuie lui aussi Mme Jean.