L’ex-grand argentier du Parti libéral du Québec, Marc Bibeau, aurait obtenu qu’une commission scolaire renouvelle pour 10 ans son bail dans un immeuble qu’il possède, grâce à son influence politique.
C’est ce qu’allègue l’ex-entrepreneur Lino Zambito dans sa biographie qui paraît aujourd’hui. En plus d’affirmer avoir lui-même participé à la manœuvre, Lino Zambito soutient que le chef de cabinet de l’ex-premier ministre Jean Charest aurait fait pression auprès du directeur de la commission scolaire pour que le bail au profit de Bibeau soit reconduit.
Les faits se seraient déroulés en juin 2009, raconte celui qui a été un des témoins vedettes de la commission Charbonneau.
Selon lui, la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, sur la Rive-Nord (Montréal), hésitait alors entre renouveler le bail de son siège social dans un immeuble de Saint-Eustache appartenant à Bibeau, ou encore acquérir son propre édifice.
Lino Zambito affirme que Bibeau lui a directement demandé de faire jouer ses contacts pour que le bail soit reconduit. En parallèle, indique-t-il, Dan Gagnier, le chef de cabinet de Jean Charest, aurait communiqué avec le directeur de la commission scolaire, Jean-François Lachance, pour le convaincre.
La tentative de Gagnier aurait échoué, mais pas les démarches de Zambito. Ce dernier dit avoir mandaté Claude Brière, conseiller de la mairesse de Boisbriand de l’époque, afin que cette dernière fasse jouer son influence auprès des commissaires scolaires.
«Au bout du compte la décision fut prise par résolution de renouveler le bail avec Bibeau. Brière avait fait du bon travail», raconte Zambito dans son livre.
Retour d’ascenseur
Un service en attire un autre. L’ex-entrepreneur allègue que quelques semaines plus tard, il a raconté à Marc Bibeau qu’il attendait impatiemment une approbation ministérielle pour pouvoir commencer un chantier à Boisbriand.
Bibeau aurait alors appelé Dan Gagnier. «Faut que ce dossier-là débloque», aurait-il commandé au chef de cabinet de Jean Charest.
«Ça a pris une couple de semaines, mais en dedans d’un mois, un mois et demi, le projet a été débloqué», a raconté Lino Zambito en entrevue avec notre Bureau d’enquête, la semaine dernière. «Honnêtement, j’étais un peu mal à l’aise», a-t-il ajouté par rapport à cette intervention de l’argentier libéral.
En plus d’être actif dans l’immobilier et notamment dans les centres commerciaux, Bibeau est actionnaire de Schokbéton, spécialisée dans la fabrication de poutres de béton, et siège au conseil d’administration de la Corporation Financière Power.
Même si son nom revient souvent dans divers documents d’enquête de l’UPAC, il n’a fait l’objet d’aucune accusation criminelle à ce jour.
Reconnu coupable de fraude dans l’octroi de contrats à Boisbriand, Zambito vient de passer une année en détention à domicile. Il révèle ces histoires au grand jour, car il se dit insatisfait du fait que, malgré ses dénonciations à l’UPAC, aucune arrestation n’a été effectuée.
♦ Dan Gagnier a fait la manchette à quelques reprises au cours des dernières années. Il a notamment dû démissionner de ses fonctions de coprésident de la campagne de Justin Trudeau parce qu’au même moment il avait rédigé des conseils pour TransCanada.
Dans votre livre, vous êtes très critique envers le travail de l’UPAC. Pourquoi?
Je peux vous garantir que les enquêteurs sur le terrain font un travail colossal.
Mais une fois que les éléments d’enquête sont ramassés, l’étape suivante, c’est la haute direction de l’UPAC. Il y a quelque chose qui bloque. Combien d’arrestations y a-t-il eu dans la dernière année et demie, à part la gang à Normandeau? Pas beaucoup.
(...) De source sûre, je sais qu’il y a un lien entre (Robert) Lafrenière et le chef de cabinet de (Philippe) Couillard. Ces gars-là se parlent régulièrement, chose qui est totalement inacceptable.
Insinuez-vous qu’il y a des interventions politiques dans le travail de la police?
Je suis convaincu que les enquêtes se font indépendamment, mais quand vient le temps d’accuser, je suis sûr à 100 % qu’il y a des «calls» politiques qui se font: où aller et où ne pas aller.
Votre livre contient des allégations reliées à l’ex-argentier du PLQ Marc Bibeau, qui aurait selon vous utilisé son statut privilégié auprès du cabinet Charest afin de renouveler un bail dans un de ses immeubles. N’avez-vous pas peur que Bibeau vous poursuive?
S’il me poursuit, un jour, on aura la chance de le mettre dans la boîte (des témoins) et de l’interroger. Ça va être sa parole contre ma parole. Quelqu’un qui a collaboré à la commission Charbonneau, et dont 93 % des dires ont été corroborés, contre quelqu’un qui se cache et qui ne veut jamais parler aux médias ou à personne, et qui répond par des mises en demeure.
« Je suis convaincu que les enquêtes (de l’UPAC) se font indépendamment, mais quand vient le temps d’accuser, je suis sûr à 100 % qu’il y a des «calls» politiques qui se font. » – Lino Zambito
Détenez-vous encore des secrets, ou avez vous tout dit publiquement?
Je pourrais faire un autre ou deux autres livres (sourire en coin). Mais il y a des enquêtes qui sont en cours, et j’ai espoir que ces enquêtes-là débouchent. Ceux-là (les cas dans le livre), j’en parle, parce que j’ai l’impression que ces enquêtes-là ont été tablettées, et qu’il n’y a pas la volonté de les faire déboucher.
Sur quoi portent ces informations que vous gardez encore secrètes?
Du politique. Beaucoup de politiciens. À l’interne, à la SQ. La façon d’agir de certains policiers à l’interne. Un jour, si ça aboutit, ou si ça n’aboutit pas, on donnera l’information aussi.
Pourquoi devrait-on vous croire? Après tout, vous avez vous-même reconnu avoir commis des crimes.
Tout ce que j’affirme est déposé à l’UPAC. C’est des déclarations assermentées devant notaire. Quel intérêt j’aurais à mentir? Si je mens, je suis dans la merde. Pis, je sors de cinq années de problèmes et de poursuites. Je n’ai aucun intérêt (à mentir).
Vous êtes un des sonneurs d’alarme les plus connus au Québec. Que pensez-vous des récentes histoires d’espionnage des journalistes par la police?
Je pense que c’est totalement inacceptable. (...) Si on a eu une commission d’enquête, c’est grâce au travail acharné des journalistes d’enquête. Et ces gens-là, sans sources, ils n’auraient pas la moitié de l’information qu’ils ont eue. C’est inconcevable que la police s’immisce, suive les journalistes ou les mette sous écoute. Je pense qu’on a crevé l’abcès, mais je suis convaincu que c’est une pratique qui se fait depuis longtemps.
Vous purgez depuis un an une peine de prison à domicile. Comment vivez-vous ça?
Ce n’est pas évident. Tu es habitué d’avoir une liberté, et à un moment donné, tu es restreint, il faut que tu donnes tous tes déplacements (à la police). Mais en bout de ligne, c’est correct. J’aurais pu être en dedans, derrière les barreaux. Je n’ai pas à me lamenter, j’assume totalement.
Avez-vous de projets maintenant que votre sentence de prison à domicile est terminée?
On est en train de monter des conférences avec une équipe. Moi, je veux que la population soit sensibilisée. Au Québec, on chiale beaucoup, mais à un moment donné, on reste passif. (...)
En 2009, les bandits c’était les entrepreneurs. Aujourd’hui, on approche du politique, du provincial. Mais il faut dénoncer. Quand on viendra à bout des responsables, on passera à autre chose.
Une fuite en provenance de l’UPAC ?
Dans sa biographie, Lino Zambito laisse entendre que l’ex-procureur en chef adjoint de l’UPAC, Sylvain Lépine, aurait souhaité que soient coulées aux médias des informations compromettantes pour l’ex-ministre Sam Hamad et le Parti libéral du Québec. Sa théorie est que Lépine, un militant péquiste qui songeait alors à se présenter pour la CAQ, aurait eu tout intérêt à ce que le Parti libéral soit éclaboussé. Selon Zambito, c’est Sylvain Lépine lui-même qui fait part de ses souhaits lors d’un déjeuner avec un avocat que connaissait aussi l’ex-entrepreneur.
Radio-Canada a éventuellement obtenu les informations compromettantes, mais l’origine de la fuite n’est pas précisée.
Zambito dit même avoir été interrogé à ce sujet par deux hauts gradés de la Sûreté du Québec, Michel Pelletier et Michel Forget.
Par la suite, Sylvain Lépine a été nommé juge en octobre 2012 par le ministre péquiste de la Justice Bertrand Saint-Arnaud.
Encore en poste malgré la collusion
Lino Zambito ne s’en est jamais caché: il ne porte pas dans son cœur la mairesse de Boisbriand Marlène Cordato. Or, dans son livre, il en rajoute une couche.
Il affirme que dans le cadre du procès pour fraude de l’ex-mairesse Sylvie Saint-Jean, une déclaration signée par les procureurs de la Couronne, ainsi que ceux de Mme St-Jean, établit que Mme Cordato a participé à une entente de partage des contrats.
«On n’a pas porté d’accusations contre elle, en échange de son témoignage. Jusque-là, ça va. Mais qu’une personne qui s’est livrée à la collusion et qui a donné des mandats à ses amis ait eu le droit de se présenter à un poste électif, et demeure encore aujourd’hui mairesse d’une ville, me dégoûte profondément», écrit-il.
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