Monsieur le Sénateur Boisvenu,
La semaine qui vient de se terminer a vu une montée aux barricades des tenants et des opposants à la peine de mort. On a qu’à lire et entendre autour de nous le bon peuple sur ce sujet pour constater à quel point celui-ci est écartelé entre un désir de justice et une soif de vengeance.
J’ai écrit deux textes (dont un a été publié sur le Net) pour exprimer mon indignation face à votre prise de position et j’ai malheureusement employé trois mots : Ta gueule Boisvenu !!! que je désire retirer, tout comme vous avez retiré certains de vos propos.
Je ne vous connais pas et j’ai pour habitude de vouvoyer ceux qui ne sont pas partie de mes proches. Donc, cet égard de langage n’a pas de place dans une véritable discussion quelque en soit la teneur. Même si vous n’avez probablement pas pris connaissance du texte publié, je m’excuse de mon impolitesse, car la colère de l’un ne justifie en rien celle de l’autre.
Par contre, je demeure tout aussi indigné quand j’entends vos collègues excuser votre prise de position sous le prétexte que votre histoire personnelle - l’agression et la mort de votre fille, plus la perte d’une deuxième dans un accident - vous autorise à procéder ainsi.
Vous avez été choisi par le gouvernement Harper (je crois même que vous êtes instrumentalisé par ce même gouvernement) à cause du superbe travail que vous avez effectué comme défenseurs des victimes. Grâce à votre pugnacité (dans le bon sens du terme) vous avez fait accomplir de grands pas dans la bonne direction en sensibilisant le public à la réalité des victimes de crimes. Pour cela, je vous accorde mon appui sincère.
Je suis tout aussi d’accord que l’on applique une justice « juste » qui met les criminels hors d’état de nuire sans aller jusqu’à souhaiter qu’on les élimine physiquement que ce soit d’une manière directe ou pas. La justice n’est pas vengeance et elle doit servir de facteur de protection de la société en assurant un arrêt d’agir implacable suivi d’une réhabilitation menée adéquatement en prenant tout le temps et les moyens nécessaires pour y arriver.
La réhabilitation lorsque menée dans les règles de l’art donne d’excellents résultats. À titre d’exemple, la société doit reconnaître l’apport positif de repentis tel Michel Dunn. Cet avocat qui a tué son associé est devenu un actif important pour la société. Il fait réaliser tant aux criminels qu’au public qu’un changement de mentalité est possible en prenant les bons moyens pour réintégrer un être qui admet l’horreur et les conséquences de l’irréparable geste qu’il a posé.
En tant que sénateur, responsable du dossier de la justice (criminalité), vous agissez comme porte-parole et principal porteur des orientations gouvernementales dans le monde francophone. À ce titre, vous devez faire preuve de retenue dans vos propos, surtout quand ceux-ci vont à l’encontre de la loi actuelle et d’une décision unanime de la Cour suprême qui déclaré inconstitutionnelle la peine de mort que ce soit pour les meurtriers reconnus au premier degré, que ce soit pour des personnes qui font l’objet d’un mandat d’extradition dans un pays où existe la peine de mort, ou pour ceux que vous qualifiez d’assassins en série.
Il semblerait que la majorité de la population soit d’accord avec vos malheureux propos. Cela m’attriste et je m’attends à ce que vous exerciez votre leadership autrement. Il y a des circonstances ou un législateur (élu ou pas) doit prendre des décisions qui peuvent aller à l’encontre des velléités de la populace. Je m’attends aussi à ce que vous contribuiez à élever les cœurs et les esprits au lieu d’encourager le public à exercer une vengeance qui n’a plus sa place dans une société aussi évoluée (?) que la nôtre.
Vous avez évoqué le coût de la Justice pour inciter certains individus à s’auto-éliminer selon leurs désirs. Je crois que les raisons économiques ne doivent JAMAIS être considérées pour souhaiter la mort d’un autre être humain, aussi vil, aussi malade soit-il !
Quand j’étais adolescent, je me rappelle avoir lu dans les journaux comment se déroulait le rituel de la condamnation à mort par le juge représentant la société du temps. Je me souviens avoir vu des images montrant le moment où le juge se couvrait la tête d’un tricorne et mettait des gants pour condamner des humains à la potence.
Même si j’étais bien jeune, je ne comprenais pas pourquoi on devait aller jusque-là et lorsque le juge mettait ses gants noirs, cela signifiait pour moi qu’il se lavait les mains de ce qui allait s’ensuivre. Je me disais que passer toute une vie au pénitencier était une punition suffisamment sévère pour les meurtriers…
Vous avez affirmé que les Shafia vont nous coûter jusqu’à 10 millions pour les garder en prison durant au moins 25 ans. Au sein de notre société, le geste posé en complicité par le père, la mère et un fils est odieux et ne peut faire l’objet d’un assentiment par quiconque. Je me suis demandé, vous qui êtes une victime, ce que vous pourriez faire pour les autres enfants qui sont aussi des victimes et qui vivent un cauchemar qui se répète sans cesse depuis deux ans.
Ces trois enfants (sans oublier les autres membres de la famille élargie) vivent deuil par-dessus deuil : l’arrestation, la mise en accusation et enfin la reconnaissance de culpabilité assortie il va de soi d’une peine minimale de 25 ans de prison sans possibilité de remise en liberté. Ces jeunes qui entendent vos propos doivent-ils continuer à vivre dans l’indignité et la honte d’être les enfants de parias de la société ? Est-ce que leur sort ne doit être considéré qu’à partir d’une question d’argent ?
Les familles des tueurs en série, ces malades mentaux dont vous avez cité les noms en exemple, doivent-elles s’enfoncer encore davantage dans la honte qui les envahit chaque fois qu’un homme public y fait allusion ? Les familles des prisonniers qui se sont suicidés (père, frère, mère, sœur, enfants) méritent-elles de se faire rappeler cet événement ?
Des spécialistes du milieu criminogène sont d’accord pour affirmer qu’un véritable tueur en série (le psychopathe tant honni) vit dans un monde fantaisiste empli de fantasmes dont on ne peut imaginer la teneur. Ce n’est pas lui qui se pendra avec la corde laissée dans la cellule et le risque est infiniment plus grand qu’il puisse la passer au cou d’un autre plutôt que du sien.
Par contre, le meurtrier qui prend vraiment conscience du geste posé, celui qui est en plein désarroi, celui qui a perdu espoir de s’en sortir, celui qui n’a plus d’avenir envisageable, celui-là pourrait prendre la corde et la porter à son cou.
Devons-nous nous laisser envahir par une émotion aussi animale qui est celle d’appliquer la Loi du Talion ? Une vie pour une vie ? Certes pas.
Par contre, en ce qui concerne un agresseur sexuel incapable de se contrôler, je suis favorable à l’utilisation de la castration chimique, et dans les cas les plus lourds, le recours à la castration physique peut aussi être un moyen approprié. Je ne suis tout de même pas naïf au point de penser qu’on ne peut rien faire d’autre que l’enfermement à perpétuité ou la peine de mort ! La science des comportements évolue et le « malade » d’hier, exécuté à cause de son incontrôlable agressivité pourrait demain, devenir un citoyen capable de fonctionner à nouveau en société. Ce monde est cruel et le restera probablement encore longtemps. On n’est certes pas obligé de collaborer à le maintenir dans cet état.
Monsieur le sénateur, vous dites être d’accord à accorder une autre chance - même à l’agresseur de votre propre fille - pourquoi donc devriez-vous la refuser à d’autres ?
Il faut cesser d’opposer ceux qui croient en la réhabilitation à ceux qui veulent tout mettre en œuvre pour améliorer le sort des victimes. Nous devons travailler à abaisser considérablement la criminalité de tout genre. Être pour la réhabilitation des criminels, même les plus coriaces, ce n’est pas être contre les victimes. Tout cela peut se faire dans la dignité et le respect de tous.
L’application sévère des lois fait partie des solutions à continuer à mettre en place et je souscris, entre autres moyens, à la fin de l’automatisme en matière de remise en liberté (un sixième de la peine). De plus, nous devons au minimum favoriser le resserrement et l’équilibre des peines et effectuer un suivi plus serré en matière probatoire.
Bien sûr, la Justice ne peut être entre les mains des criminels et elle ne peut davantage être uniquement entre les mains des victimes qui ont bien besoin d’affecter toutes leurs énergies à se remettre des torts qui leur ont été causés.
Vous avez été victime d’un système trop indulgent vis-à-vis certains crimes. Cela est plus que déplorable et un changement doit continuer à s’effectuer dans le bon sens. Rendez-vous service à vous-même et laissez à d’autres le soin de continuer ce juste combat.
Je me doute bien qu’on ne peut faire taire aisément une profonde souffrance telle celle qui vous accable. C’est pourquoi en tout respect pour vous, Monsieur le Sénateur, je crois le temps venu de vous occuper à soigner vos propres blessures.
Malgré nos divergences d’opinions, je vous remercie du travail effectué auprès des familles et des victimes.
Serge Longval, Longueuil
Lettre ouverte à un père meurtri et en colère
Monsieur le Sénateur, je crois le temps venu...
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