Sagard, 3 mars 2009
Vous me connaissez, j’ai pas l’habitude de vous dire quoi faire : je vous paye précisément pour que vous le fassiez tout seuls. Mais le faire tout seuls n’a jamais voulu dire, dans ma bouche, faire n’importe quoi.
Depuis quelques semaines, mon chauffeur, lorsqu’il se rend en ville, en revient tout retourné, on dirait qu’il a perdu un pain de sa fournée. Ce soir, intrigué, je lui ai demandé ce qui le tracassait tant. Il m’a regardé par en-dessous, a toussé trois ou quatre fois, s’est gratté la tête, l’air embêté, puis m’a murmuré : «Patron, je pense que vous vous faites fourrer!»
Évidemment, je me suis mis à rigoler doucement. S’il y en a un capable de tromper les autres, ce serait plutôt moi, non? N’importe qui au Québec sait ça, tellement qu’on me crédite même des mauvais coups que je n’ai pas (encore) faits. On est allé jusqu’à me soupçonner d’être en sous-main l’organisateur de la débarque de la CDP, alors que je m’en sers souvent comme levier pour arriver à mes objectifs sans immobiliser trop de capital... Anyway, je m’éloigne de mon sujet, là.
Après une bonne bouteille, le chauffeur a déballé son sac. Tenez-vous bien : il paraît que la moitié de ses chums, en ville, se sont déjà inscrits, ou sont sur le bord de prendre leur carte, dans des patentes séparatistes. Vous imaginez ça, des loups dans le poulailler! Là, je l’ai regardé dans le blanc des yeux : «Elphège, dis-moi tout! T’es certain que tu te laisses pas un peu trop aller à trinquer, des fois?» Il a protesté violemment. «Ça serait plutôt le contraire! Lorsque j’ai vu ce qui semblait devenu une manie, je les ai fait boire pour qu’ils m’expliquent ce qui leur passait par la tête : vous devinerez jamais quoi!».
Il avait raison. «Ils m’ont tous répondu la même chose : de lire Le Gros Pilon, surtout les papiers d’Alain, André et Lysiane des dernières semaines, que je comprendrais tout seul. Je l’ai fait. Tenez, je les ai découpés et rangés dans un cartable. Attendez, je vais le chercher...»
Vous le savez, jamais je ne lis vos affaires puisque je sais d’avance que vous allez lessiver les cerveaux dans le sens de ce pourquoi je vous ai engagés. En tout cas, jusque-là, je croyais le savoir... Lorsqu’Elphège est revenu avec le cartable, je me suis mis à lire.
Plus j’avançais, plus je comprenais ce qui arrivait. Non, mais ça s’peutu! Les mêmes trucs, les mêmes arguments, si on peut les appeler des arguments, que des deux watts utilisaient v’la quarante ans pour faire peur aux ptites vieilles dans les foyers, des affaires que même un décrocheur du secondaire trois ne croirait pas aujourd’hui. Encore une chance que vous ne leur vantiez pas la beauté des Rocheuses ou que, comme Michelle Tisseyre en 1980, vous ne menaciez pas les retraités de ne plus pouvoir recevoir leurs oranges de Floride si l’indépendance se réalisait! On dirait que vous vous imaginez que le coup de la Brink’s pourrait marcher une deuxième fois... Je sais bien que les Québécois branlent dans le manche, que la plupart ne se renseignent pas beaucoup et préfèrent ne pas avoir d’histoires, que même lorsqu’ils crient fort, ils oublient aussi vite pourquoi, mais ils ne sont quand même pas si niaiseux que vous avez l’air de le penser.
Je vous le dis franchement, plus je lisais, plus je me mettais à la place de vos lecteurs et plus l’envie me prenait de devenir séparatiste, c’est dire!
Je commence à me demander si vous avez jamais été autre chose que ce que vous étiez à vos débuts, à ce qu’il paraît : des séparatistes, pis un trotskyste en plus! Un trotskyste, c’est souvent un agent double : Jospin, par exemple; c’est pas Nicolas qui me ferait ça, han?
Savez-vous, il me vient une idée. Puisque vous n’êtes pas capables de trouver autre chose que des patentes qui repoussent au lieu d’attirer, j’ai trouvé un meilleur moyen de vous utiliser pour la bonne cause. Demain, j’appelle Bourgeois et je lui fais une offre qu’il ne peut pas refuser. Une fois Le Québécois entre nos mains, je vous transfère là-bas. Vous écrirez tous les articles que vous voudrez en faveur de l’indépendance, pis vous organiserez des manifestations. Si ça suffit pas, j’achète Vigile itou. Comme ça, dans six mois, tous les séparatistes qui les lisent vont retourner leur chemise. Enfin, on-va-gagner!
Paul D.
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