Ottawa -- Le budget-bonbon de Stephen Harper est en voie de se retourner contre lui et ses troupes conservatrices. Le reste du pays rage à l'idée que l'argent du fédéral servira à financer un cadeau électoral de Jean Charest. Sans compter que la décision d'Ottawa, lundi, de financer un vaccin contre le cancer du col de l'utérus est peut-être le fruit d'un lobbying exercé... par un ancien conseiller du premier ministre agissant désormais pour le compte du seul fabricant canadien de ce traitement.
Décidément, la journée a été difficile pour les troupes conservatrices hier, qui ont essuyé les feux nourris de l'opposition. Le Bloc québécois a encore une fois reproché au gouvernement de tenter d'influencer l'issue du scrutin québécois. Les libéraux ont accusé les conservateurs de dresser les régions du pays les unes contre les autres.
Mais ce qui a surtout marqué la journée d'hier, c'est la hargne que le budget fédéral, qui devait marquer un temps fort dans la campagne électorale provinciale québécoise, a soulevé ailleurs au pays. Des politiciens de l'Ouest sont montés aux barricades ainsi qu'un grand nombre de chroniqueurs anglophones qui manquaient de mots pour dénoncer le cynisme politique du duo Charest-Harper.
«Le spectacle irritant d'un Charest arrachant 700 millions de son butin de 2,2 milliards à peine 24 heures après avoir été mis au parfum de l'aumône fédérale pourrait bien refaire du dénigrement systématique du Québec un sport national», écrit le chroniqueur Don Martin dans le National Post.
Le Post est considéré comme trop à droite? Alors il faut lire le Toronto Star, publication progressiste s'il en est. «Quiconque suit la trace de l'argent [...] arrivera à la conclusion que ce premier ministre et son acolyte provincial se sont entendus pour faire les poches des contribuables pour s'acheter quelques élections», écrit [James Travers->5458].
Le ministre des Finances de la Saskatchewan, Andrew Thompson, y est lui aussi allé d'une critique acerbe. Sa province s'est déjà dite flouée par la réforme du système de péréquation contenue dans le budget de lundi. «Tout le monde craignait que le premier ministre fasse ce qu'il a fait: utiliser l'argent provenant des ressources pétrolières de l'Ouest pour acheter des votes au Québec, a-t-il confié au Toronto Star. Mais personne ne s'attendait à ce que cela soit aussi flagrant.»
Le chef du Bloc québécois a dit comprendre les racines de ce salissage. Mais, a insisté Gilles Duceppe à sa sortie de la Chambre des communes, «ce n'est pas le Québec qu'ils doivent critiquer, c'est Jean Charest qu'ils doivent critiquer». «M. Charest, pendant des années, a dit -- comme les autres chefs de parti -- qu'il avait des défis énormes en santé et en éducation et qu'il n'avait pas les moyens d'y faire face. Il a trahi la position qu'il prenait en utilisant cela à d'autres fins; alors, je comprends ceux qui l'ont écouté pendant des années d'être choqués», a-t-il ajouté. «Je pense que ça le disqualifie s'il voulait négocier avec le reste du Canada», parce que les autres premiers ministres ne lui feront plus confiance.
Histoire de vaccin
L'autre élément dérangeant de ce budget qui ne fait pas l'unanimité, c'est la somme de 300 millions de dollars consentie pour cette année afin d'immuniser les jeunes femmes contre le virus du papillome humain, cause du cancer du col de l'utérus.
Cette décision n'était attendue par personne. L'Agence de santé publique du Canada n'est même pas en mesure d'affirmer qu'elle en avait fait la recommandation au ministre de la Santé. Or on apprend qu'un ancien conseiller de Stephen Harper, Ken Boessenkool, est devenu le 16 janvier 2007 lobbyiste auprès du premier ministre et son entourage pour la compagnie pharmaceutique Merck and Frosst, le seul fabricant canadien du vaccin.
Selon le registre public des lobbyistes, M. Boessenkool, qui a été conseiller de M. Harper jusqu'en 2004, a pour responsabilité de «surveiller les politiques de santé et d'immunisation, en particulier celles touchant à la Stratégie nationale d'immunisation». Merck and Frosst est le seul fabriquant canadien de ce vaccin.
Le député libéral Raymond Simard s'interroge sur le bien-fondé de cette décision. «C'est certainement une bonne cause, lutter contre le cancer cervical, on n'est pas contre cela, dit-il. Mais quand on regarde qui est responsable du lobbying, ça laisse planer un nuage sur toute l'affaire.»
M. Simard se rappelle que les conservateurs avaient refusé d'amender leur Loi sur la responsabilité pour empêcher d'anciens conseillers politiques de faire du lobbying auprès du gouvernement. «Aujourd'hui, on a des personnes du côté conservateur qui ont beaucoup d'influence et qui ont peut-être d'autres projets comme ça de centaines de millions de dollars. Quand on considère que la personne qui a fait du lobbying auprès du gouvernement était très proche de M. Harper, ça soulève la question: pourquoi investit-on une somme aussi énorme? C'est ça qui arrive quand on ne fait pas les choses comme il faut.»
Chez Merck and Frosst, on s'indigne qu'un doute soit soulevé quant au lien entre les activités de lobbying de M. Boessenkool et l'obtention des 300 millions de dollars. «Wow! Et cette question vient d'une femme? "Come on!" Excusez-moi, mais êtes-vous au courant de l'importance de ce vaccin?», a demandé Sheila Murphy, porte-parole de l'entreprise basée à Montréal. «Si vous pensez que c'est juste l'action d'un lobbyiste qui a convaincu un premier ministre de prendre cette décision... Peut-être que c'était plus la femme de M. Harper qui était convaincue?»
Le vaccin a été homologué par Santé Canada en juillet dernier, mais aucune province ne le subventionne encore, en tout ou en partie. Seule l'Île-du-Prince-Édouard a indiqué qu'elle l'offrirait à la suite de l'annonce d'Ottawa lundi. Au Québec, le vaccin fait l'objet d'une analyse par le comité d'immunisation, explique la porte-parole du ministre de la Santé, Philippe Couillard. Les provinces de l'Ontario et de la Nouvelle-Écosse ont dit cette semaine craindre de s'embarquer dans l'aventure parce que le coût à long terme serait à leur charge. Le financement fédéral est ponctuel pour cette année seulement.
Environ 1350 nouveaux cas de cancer du col de l'utérus ont été dépistés en 2006 (contre plus de 20 000 pour le sein), et environ 390 décès y sont reliés (ce qui le classe au treizième rang parmi les cancers les plus mortels chez les femmes). Le traitement de Merck and Frosst, nécessitant trois doses, coûte environ 400 $. Le budget fédéral permettrait donc d'immuniser environ un million de femmes. Jusqu'à présent, Merck and Frosst a distribué 30 000 doses de son vaccin à travers le pays (on ne sait pas combien de femmes l'ont acheté).
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